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Entre propagande et câlinothérapie, le travail de l'ombre des diplomates pour la COP 21
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Bonnes feuilles

Stéphane Gompertz publie "Un diplomate mange et boit pour son pays" aux éditions Odile Jacob. Le métier de diplomate est multiple : il réunit analyse, représentation, négociation, action humanitaire et communication. Fondé sur l’expérience personnelle de l’auteur, ce livre est une défense et illustration d’une profession vouée au dialogue entre les peuples. Extrait 1/2.

Stéphane Gompertz

Stéphane Gompertz

Stéphane Gompertz est normalien, agrégé de Lettre classiques, énarque. Il a enseigné la littérature médiévale avant de se tourner vers la diplomatie. Il a été directeur d'Afrique au Quai d'Orsay, ambassadeur en Ethiopie et en Autriche. Il est conseiller d'un fonds d'investissement à impact et travaille comme bénévole pour plusieurs associations. 

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Deux mois avant de prendre officiellement ma retraite, je reçus un coup de fil d’un bon collègue, Philippe, qui avait été ambassadeur aux Seychelles pendant que j’étais directeur d’Afrique et de l’océan Indien ; il était maintenant l’adjoint du chef de l’équipe interministérielle qui préparait la COP21. La France s’était proposée pour assurer la présidence de la conférence ; aucun autre pays ne s’était porté candidat. Philippe me demanda si j’accepterais de faire quelques missions, trois ou quatre, en Afrique pour aider à la préparation de la COP. Je savais à peine ce qu’était la COP. Je savais vaguement que cela avait quelque chose à voir avec la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite convention de Rio. COP veut dire conference of the parties (« conférence des parties ») à la convention. La cause était belle et l’idée de faire quelques missions en Afrique me séduisait. En fait, je n’en fis pas trois ou quatre mais une trentaine. Le ministre avait décidé d’appointer cinq ambassadeurs pour jouer, en sus des responsables politiques, les missi dominici de la future présidence dans une région particulière dont ils étaient familiers : Asie, Afrique, Amérique latine, Europe (au sens large, y compris les anciennes républiques d’URSS), Afrique du Nord et Moyen-Orient. Mon collègue en charge de cette région n’étant plus disponible, on me proposa d’ajouter son empire au mien. En plus du Bénin, du Congo ou du Zimbabwe, je visitai donc aussi l’Arabie saoudite, Oman et l’Iran. Pour nous aider à nous familiariser avec le sujet, l’équipe COP21 organisa à notre intention une série de conférences et nous donna une clef USB contenant une masse de documents à assimiler, y compris (ou surtout ?) un lexique des termes techniques et des abréviations, en français et en anglais – bref, la COP pour les nuls. Munis de ce viatique, nous parcourûmes le monde. 

Notre mission était double : elle associait la propagande à la câlinothérapie. Nous devions expliquer à nos interlocuteurs – chefs d’État parfois, ministres souvent, fonctionnaires, industriels, représentants des ONG et de la société civile, étudiants, journalistes – les ambitions, les attentes et les intentions de la future présidence française (nous n’assumerions officiellement la présidence qu’au début de la conférence). Notre mission comportait donc une bonne part de diplomatie publique. Nous étions encouragés à parler aux jeunes et aux médias. Comme mes homologues, j’ai donné des conférences dans les universités, dans nos centres culturels ou dans les Alliances françaises. Je garde un souvenir ému de l’Université de Kinshasa, bondée, suffocante, passionnée. J’ai parlé à la radio et à la télévision. Avec ma collègue ambassadrice à Cotonou, je fus invité à 7 heures du matin par la télévision béninoise. Il pleuvait à torrents. Nous vîmes arriver en mobylette le journaliste qui devait nous interviewer, en ciré, short et sandalettes : à l’écran, grâce au plateau, on ne verrait que le dessus, impeccable, chemise blanche, veste sombre et cravate. Je résistai au fou rire, j’oubliai vite sa tenue disparate quand il me posa ses questions, très professionnelles. 

Nous devions aussi percevoir les espoirs, les réserves ou les frustrations de nos interlocuteurs, enregistrer les progrès accomplis, noter les points de blocage, montrer que nous étions à l’écoute. Le ministre Fabius nous avait donné instruction de lui adresser directement de courts rapports après chacune de nos missions. J’ai pu vérifier qu’il les lisait. Notre venue donnait parfois l’occasion à nos interlocuteurs de se concerter, voire de se rencontrer. À l’Institut culturel de Conakry, après mon intervention, le représentant d’une ONG demanda la parole : « On nous a dit qu’il y avait un point focal au ministère de l’Environnement. Mais je ne l’ai jamais rencontré. » Un monsieur se leva quelques sièges plus loin : « Le point focal, c’est moi. » 

L’enjeu était énorme. Toutes les observations scientifiques convergeaient : le changement climatique était déjà à l’œuvre et ne cessait de s’aggraver. Sans accord pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et aider les populations à s’adapter à leurs effets, nous condamnions les générations à venir et même celles qui venaient de voir le jour. Malgré des intérêts à court terme souvent divergents, la nécessité de négocier un accord ne faisait de doute que pour une minorité obtuse. Il était tout aussi clair que l’accord devait être universel : il devait englober tous les pays du monde mais aussi les entreprises et les collectivités locales. C’était un des messages que nous devions faire passer, notamment dans les « petits » pays : sans doute y a-t-il de plus gros pollueurs que d’autres – en tête de peloton, la Chine, les États-Unis et l’Union européenne – et des pays particulièrement menacés, comme les États insulaires et l’Afrique en général, mais il n’y a pas de petits partenaires ; chaque point de vue compte, le vôtre comme les autres, nous sommes tous sur le même bateau. S’il y a jamais eu une négociation visant un résultat à somme positive, c’était bien celle-là. Même les États producteurs de pétrole avaient intérêt à ce que l’accord se fasse. Leurs gisements n’étaient pas éternels, et eux-mêmes commençaient à sentir les effets du changement climatique – tarissement des nappes phréatiques, salinisation de l’eau, accroissement des vents de sable –, on me l’a confirmé, notamment en Iran. 

L’urgence était d’autant plus grande que les précédentes tentatives pour donner un contenu concret à la convention de Rio sur le changement climatique avaient plus ou moins échoué. Le protocole de Kyoto n’avait pas été ratifié par le Congrès américain. La COP15 de Copenhague s’était déroulée dans une mauvaise ambiance et n’avait pas permis de déboucher sur un nouvel instrument. La COP de Paris était considérée comme celle de la dernière chance. Or les circonstances étaient cette fois favorables : les États-Unis (sous présidence Obama) et la Chine avaient pris des engagements, insuffisants certes mais significatifs. Beaucoup d’États avaient soumis des « contributions » (le terme technique, dans l’inimitable jargon des Nations unies, était CPDN, contributions prévues déterminées au niveau national) : les gros émetteurs s’engageaient à plafonner ou réduire leurs émissions ; les pays en développement pouvaient se limiter aux mesures visant à pallier les effets du changement climatique sur les populations, autrement dit l’adaptation. Favorable aussi, surtout, l’évolution des technologies : avions en matériaux composites, voitures à basse consommation, ampoules LED, panneaux solaires à bas prix, réhabilitation de la terre séchée dans l’habitat. La lutte contre le changement climatique devenait une opportunité économique. Ces technologies n’étaient pas réservées aux entreprises de pointe. J’ai fait une de mes plus belles rencontres grâce à Entrepreneurs du monde à Lomé : une marchande, fondatrice d’une association de prévention du sida, qui vendait des lampes solaires et des réchauds à combustion améliorée. J’ai visité l’atelier (ou peut-on parler d’usine ?) où on fabriquait ces réchauds : on voyait arriver les plaques de tôle à l’entrée de chaîne ; à la sortie, les réchauds étaient prêts à l’emploi, ils permettaient d’économiser 30 % de combustible et n’émettaient pas, contrairement à la plupart des réchauds traditionnels, de fumées toxiques. La limitation de l’utilisation de charbon de bois allait de pair avec la protection de la santé des enfants. 

La future présidence française entendait être à la fois ambitieuse et modeste. Ambitieuse : il s’agissait de réussir là où d’autres avaient échoué et éviter de répéter les mêmes erreurs. Laurent Fabius avait réussi à marginaliser Ségolène Royal et avait la maîtrise du jeu : il s’y est employé à fond, avec ses équipes, et a mené la négociation de bout en bout, avec opiniâtreté et habileté. Mais nous savions que nous devions jouer le respect et l’humilité. Nous devions avoir des égards pour tous nos partenaires, les écouter, les consulter, les cajoler au besoin. Nous devions bien sûr prendre en compte leurs lignes rouges. 

Extrait du livre de Stéphane Gompertz, "Un diplomate mange et boit pour son pays", publié aux éditions Odile Jacob.

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