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La haine au jugement des bienveillants
©BERTRAND GUAY / AFP

Loi contre les propos haineux

Dans la république flower power de M. Macron, la haine sera bientôt interdite. Il nous faut désormais attendre, en toute logique et les âmes remplies d’espoir, une loi portant devoir universel d’amour.

Radu Portocală

Radu Portocală

Radu Portocală est un écrivain et journaliste français, né en 1951 en Roumanie, pays dont il fut exilé par le pouvoir communiste en 1977. En tant que journaliste, il a collaboré depuis 1985 avec divers organes de presse en France : RFI, Le Point, Le Quotidien de Paris, Libération, etc. En sus de sa bibliographie roumaine, il est l’auteur de plusieurs ouvrages en français : Le vague tonitruant (Kryos, 2018), L’exécution des Ceaucescu (Larousse, 2009), Autopsie du coup d’État roumain, (Calmann-Levy, 1990).
Diplômé en Relations internationales, il fut directeur de l’Institut culturel roumain de Paris.
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Certes, on est en droit de se demander s’il est possible, s’il est rationnel de légiférer contre un sentiment, fût-il très puissant (le Dictionnaire de l’Académie française définit ainsi la haine : « Violente aversion qu’inspire quelqu’un »). Surtout lorsque nous savons les avatars qu’a connus la haine durant l’histoire, ses visages qui s’opposaient souvent pour former comme une tête de Janus. N’a-t-elle, parfois, été considérée comme une passion légitime ?
Le cri « À la lanterne ! » qui résonnait dans les rues de France qu’était-il sinon l’affirmation d’une haine qui n’avait pas toujours lieu d’être ? Et le « Serment de haine à la royauté » instauré par la loi du 10 mars 1796 ? Dans sa concision, il était on ne peut plus explicite : « Je jure haine à la royauté, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. » La République, donc, ne se pouvait concevoir en dehors de la haine envers l’ancien régime. En ce temps-là, cette haine était un sentimentjuste, positif, républicain.
Et au front, dans le face-à-face des soldats, n’y a-t-il pas haine réciproque, et chaque camp ne trouve-t-il pasnaturel de haïr celui d’en face ?De part et d’autre, ils jugent avoir raison et, même si l’Histoire donne tort aux uns, ils croiront toujours que leur cause était la bonne.
Légiférer contre la haine c’est, implicitement, établir le domaine du Bien et celui du Mal, séparés par une frontière lumineuse d’une part, sombre de l’autre. Il suffirait donc d’être haï pour être classé automatiquement parmi les bons. Calcul inepte dont seuls des illuminés peuvent prétendre détenir la solution. Après avoir édicté le vrai, le régime Macron, toujours en veine démiurgique, prétend nous séparer en bons et mauvais – créer une déchirure de plus, morale cette fois, dans le corps de la société.
Logiquement, la notion d’ennemi devrait, elle aussi, disparaître par l’effet de cette loi. Ce serait l’avènement du lumineux monde nouveau. Toutefois, le gouvernement, affirmant l’existence des affreux qu’il lui faut faire taire, reconnaît que ce fantasme n’est pas encore réalisable.
Mais quelle est la limite inférieure de la haine ? Une foule d’émotions la précèdent, dont l’intensité est difficile à ranger avec quelque précisionsur une échelle : mésestime, mépris, répugnance, ressentiment, répulsion, animosité, hostilité, antipathie et bien d’autres. La loi s’embarrassera-t-elle à distinguer entre toutes ces nuances, à tenir compte de leur complexité ? Sans doute, non. Tout cela portera l’étiquette « Haine », et tout cela sera punissable d’une mise au silence plus ou moins longue, sinon définitive. La pensée sera amputée de toute opinion négative. Et le législateur ne semble pas entrevoir les désastres que cela provoquera ni les haines dont l’interdiction de la haine sera la cause.
Une censure terrible s’installe, donc, censure morale qui n’est que la prémisse de l’inévitable constitution du délit d’opinion. Mais qui seront les officiants de ce nouveau rituel stérilisateur ? Des employés des grandes plateformes Internet, juges improvisés de la vertu générale, dotés de pouvoirs exorbitants et soumis, sous peine d’amende, à l’obligation d’un haut et pernicieux rendement. Nul ne sait quelles seront leurs compétences intellectuelles ni quels critères guideront leur action. Dans les écrits des uns et des autres, ils décèleront, moyennant rétribution mensuelle, le bon et le mauvais – ce qui les placera d’emblée au-dessus des auteurs, sur lesquels ils auront un inadmissible ascendant : celui de leur pureté présumée. À travers eux, le gouvernement nous protégera de nous-mêmes et de nos errances scabreuses dans le monde des ténèbres.
Supposons que la question de la « haine » sur Internet sera ainsi réglée. Mais il restera toujours l’écrit sur papier – les journaux, les livres. Le gouvernement ne peut ignorer ce domaine qui garde encore son importance. Celui qui ne peut plus exprimer son animosité sur les « réseaux sociaux » pourra l’enfermer entre les couvertures d’un livre. Que feront les bienveillants de la majorité dans ce cas ? Pensent-ils à une nouvelle loi mettant en place un autre système de censure, dirigé, celui-là, contre les rédactions et les éditeurs ? Ce serait parfaitement logique, quoique plus difficile à mettre en œuvre. Il faudra faire chanter les journaux – enfin, les subventions de l’État montreraient leur utilité – et menacer les maisons d’éditions de représailles assez faciles à imaginer.
Reste, bien entendu, cette aversion que d’aucuns qualifieraient de « positive ». Celle, par exemple, qu’éprouvent les féministes radicales contre les hommes. Ou l’autre – non pas positive, certes, mais justifiée, donc excusable – que certaines communautés expriment sans aucune retenue à l’égard de la France et des Français. Les cerbères ne devront pas se tromper : il s’agit là du droit inaliénable à la liberté d’expression. De tels propos sont, en vérité, du domaine de la colère, contre laquelle le gouvernement ne prévoit ni sanctions ni censure, puisqu’elle est de nature à équilibrer la société. Elle s’exprimera, donc, librement et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles

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