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Le corps des Français : ce bien de consommation (de plus en plus) comme les autres ?
©MARCO LONGARI / AFP

Regard sur soi

Dans une récente enquête Ifop pour Muscle-Up, une grande partie des Français se déclarent pudiques. Une définition de soi qui a un vrai sens politique.

François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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Atlantico : Votre sondage sur le rapport des Français à leur corps et à la pudeur montre que 74% d'entre eux se déclarent "pudiques". Mais pudeur est un terme très subjectif. Qu'est-ce que cette façon de se définir dit du rapport des Français à leur corps dans une société où ce même corps semble être devenu un objet de consommation comme les autres ? Faut-il y voir une forme de protection contre la pression ou une incohérence face à la réalité de l'exposition des corps dans la société actuelle ? 

François Kraus : Il est important de souligner l'effet des cultures nationales dans le rapport au corps et à la nudité, que cela soit au sport ou durant l'été. Nous n'avons pas en France la culture du "corps libre" qui est beaucoup plus répandue dans les pays germaniques ou nordiques que dans des pays latins comme le Après il faut bien prendre en compte que la pudeur a une dimension subjective. En France, ce qu'on observe c'est que la pudeur est une dimension majoritaire avec un différentiel très net entre hommes et femmes car il existe toujours pour les Françaises une forme d'injonction au respect de l'invisibilité de leurs parties jugées potentiellement sexuelles ou susceptibles de susciter des fantasmes. 

La pudeur, c'est aujourd'hui une question politique, comme le montre l'apparition de la "mode pudique", marqueur d'un tournant souvent religieux et moral dans une partie de la population. On l'observe par la diffusion de certaines pratiques dans le sport, notamment avec aujourd'hui le fait qu'on voit de plus en plus dans des vestiaires de sport certains garçons de confession musulmane refuser de se mettre nu par respect de leur éthique religieuse. La religion a cette capacité à susciter une forme de méfiance vis-à-vis de l'exposition des corps.
On a donc divers facteurs qui expliquent les différences : le genre, les cultures et les religions. Et bien entendu le contexte actuel, politico-économique. Il est difficile de voir dans cette importance de la pudeur dans notre société une forme de puritanisme, mais c'est en effet le résultat d'un changement de regard sur les corps qui s'explique aussi paradoxalement par leur exposition permanente. Plus on expose, moins on a envie de montrer.

On observe que cette pudeur est particulièrement importante en Île-de-France ou en Normandie, mais plutôt limitée dans le Nord et dans l'Est. Comment expliquez-cous ces différences ? S'agit-il de facteurs culturels ?

Selon moi, il ne faut pas surinterpréter. La vraie variable sépare le Nord-Est de reste de la France.  Y a-t-il l'impact de la proximité avec les vacanciers hollandais, germaniques ou autres ? Peut-être. La proximité culturelle pousse à faire ce rapprochement en tout cas. L'éloignement de la sphère méditerranéenne traditionellement plus catholique et plus protectrice du corps. 
Mais on pourrait aussi tout autant dire que dans ces contrées où il fait moins beau, on est moins poussé à s'exposer, et donc cette contrainte de protéger son corps s'applique moins et s'explique moins car elle est plus de l'ordre de la sphère privée. 

Quand au fait qu'en Ile-de-France on est plus pudique, il faut envisager une solution d'ordre sociologique : le fait qu'il y ait une population plus aisée pourrait l'exprimer. On sait que plus on en a, moins on le montre, et que la pudeur est une valeur qui va de pair avec l'aisance matérielle. On peut aussi un plus fort risque à la transgression de la pudeur dans une zone concentrée urbainement que dans une région qui l'est moins, car l'exposition est en quelque sorte plus importante, avec un impact plus social. Une femme a plus de chance de connaître un "rappel à l'ordre" dans un milieu urbain, et cela d'entrainer l'intégration d'une forme de pudeur chez les jeunes Franciliennes plus importante que chez les autres. 

Diriez-vous au regard de votre enquête que le corps est devenu un objet d'étude total pour notre société, au point de devenir un sujet politique ou économique de premier plan ?

Je dirai plutôt qu'on est dans une société du spectacle et de l'image qui encourage l'autopromotion du corps. On le voit avec les selfies, les réseaux sociaux, une certaine forme de culture du corps qui progresse aujourd'hui et qui fait que notamment chez les jeunes, l'image de soi et la nécessité de correspondre aux stéréotypes morphologiques dominants, notamment pour les femmes est devenu quelque chose de plus important pour l'estime de soi et l'assurance et interraction sociale que ce qu'on a pu connaître il y a une vingtaine d'années. La société était moins matérialiste et accordait de fait moins d'importance au capital physico-esthétique d'une personne dans le cadre de sa sociabilité aussi bien amicale que sexuelle. L'apparence est devenue fondamentale. Sa valeur sur le marché ne se dément pas d'un point de vue sentimental, matrimonial ou professionnel. C'est un atout à entretenir et à valoriser d'une manière ou d'une autre. 

Les complexes que peuvent susciter les excès de poids, le manque de muscles ou autre "tares" peuvent remettre en cause la confiance en soi mais aussi plus largement les interactions sociales. Ce sont eux qui jouent un rôle sociétal total dans notre société, au point d'avoir un impact dans tous ses aspects.

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