Lagarde, Macron, von der Leyen et Merkel : qui est le personnage le plus puissant de l’Union Européenne ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Lagarde, Macron, von der Leyen et Merkel : qui est le personnage le plus puissant de l’Union Européenne ?
©FRED DUFOUR / AFP

Jeu de trônes

Depuis la nomination du duo Ursula von der Leyen - Christine Lagarde à la tête de la Commission et de la Banque centrale européenne, le jeu des pouvoirs et influences à Bruxelles a été quelque peu rebattu.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Certains observateurs, dont l'auteur de cet article, ont pu penser que Christine Largarde ne s'en sortirait pas à Bercy : ils ont eu tort. Ils ont pu penser, comme l'auteur, qu'elle ne s'en sortirait pas au FMI : ils ont eu tort. Ce qu'ils devraient aujourd'hui penser, c'est qu'il s'agit d'un excellent recrutement pour la BCE (nous aurions pu récolter un Jens Weidmann !!) et espérer ne pas se tromper, car cette fois-ci, c'est un poste important...

Recapitulons les épisodes précédents : les banquiers centraux indépendants ont pris le pouvoir économique partout, et en zone euro en particulier où les Etats sont mous et divisés. Ils décident des taux d’intérêt, des taux de changes, de la gestion de la crise à la « périphérie », de la liquidité et de la supervision des banques commerciales (je tiens à rester politiquement correct), de la pression à mettre (ou pas) sur les dérapages budgétaires, etc. Et ils décident sans appel, sans cassation, sans pétitions : à la fois juges, bourreaux, flics, assistantes sociales. Les marchés financiers, qui sont payés (plutôt au dessus du SMIC) pour deviner quels sont les vrais rapports de force, ont parfaitement compris : depuis 2008, ils ne s’intéressent plus à rien d’autre qu’à l’étude du comportement des banques centrales, ils se moquent complètement des réalités de terrain (puisque nous vivons dans une vaste crise macro, une crise de la demande agrégée) et se contrefoutent royalement de la Commission européenne et autres machins, car garder une vision des rapports de force digne des années 90 est une façon assez sûre de perdre de l’argent. En poussant Lagarde vers la BCE au prix d’une allemande à la Commision (une ministre de la Défense d’un pays militairement passager clandestin !!), Macron a probablement réussit un coup magistral, pour une fois : le clan germanique se retrouve avec un poste largement démonétisé (et il faut qu’Ursula von der Leyen soit confirmée par le Parlement), alors que les colombes de la politique monétaire (France et pays du Sud en tête) se retrouvent avec un digne successeur de Draghi, et probablement même mieux. Les marchés ont aussitôt salué la nomination de Lagarde : les taux ont encore baissé, et les actions montent encore, bravo, habemus Lagarde. Examinons tout cela plus en détail (on refait le match) :

1/ Pourquoi je m’acharne à dire que la Commission ne sert pratiquement plus à rien ?

Depuis quand a-t-elle fait bouger une ligne sur les marchés ? Son enfant, le Pacte de Stabilité, a été violé dans tous les sens, par tout le monde. Depuis, elle erre sans but dans le dédale des institutions, corn érisée par le Conseil des ministres, et avec la BCE qui lui a piqué notament son rôle de gendarme des déficits (demandez à Berlusconi et à Papandréou qui a eu leur peau… et de nos jours, l’Italie a peur d’un revirement d’un ou de plusieurs pontes de Francfort, ils ont bien moins peur de Moscovici !). Reste la direction de la concurrence, me direz-vous. En effet, c’est un rôle sectoriel et microéconomique sensible, mais il se trouve que la Commission est un peu coincée : d’un côté, elle doit appliquer un droit indispensable mais assez intransigeant, et en même temps elle doit éviter le reproche lancinant du sabotage dans la construction de géants européens, à une époque où des géants américains ont constitué des fiefs oligopolistiques bien clotués dans de nombreux domaines d’avenir. En bref, cette mission de la concurrence est importante, mais ne lui laisse pas tant de marges discrétionnaires que cela. Alors restent l’agriculture (la PAC, un tiers du budget communautaire…) et les aides structurelles, qui comme leur nom l’indique n’ont pas vocation à jouer un grand rôle dans la gestion du cycle. Le pouvoir normatif n’est plus celui de l’époque de constitution du marché unique ; et le reste du budget européen est epsilonesque, ne permet pas de jouer dans la cour des grands de la macroéconomie. Quand les banques ont besoin de 500 milliards d’euros de liquidités tous les deux ou trois ans, quand les marchés ont besoin de 2000 milliards de QE tous les trois ou quatre ans, ils savent où s’adresser, et ce n’est pas à Bruxelles.

2/ Pourquoi la tâche de Lagarde ne sera tout de même pas facile du tout ?

A Bercy comme au FMI, elle avait su s’appuyer sur les équipes locales, compétentes : les cadors de l’ancienne direction de la prévision (Henri Lamotte…), des chefs économistes d’envergure mondiale (Blanchard, Obstfeld…). Mais à Francfort ? les équipes ne sont pas du tout compétentes, avec 300 économistes qui massacrent les prévisions depuis des années, un board composé de barons notoirement azimutés, et tout un surmoi teutonnique qui ne permet pas de comprendre les pressions déflationnistes depuis 2007. Bon courage, Christine ; il va falloir prendre du conseil à l’extérieur. Auprès de qui ? Christina Romer, Adam Posen, Scott Sumner, Lars Svensson, Narayana Kocherlatoka, les rares qui ont eu raison au cours de cette crise sur la politique monétaire. Mais bien entendu cela ne va pas faciliter l’intégration de notre française dans la citadelle des eurozonards ; il faudra faire dans la discrétion, et donner des gages, hélas. Elle est déjà très suspectée en tant qu’élément exogène, hexagonal et féminin, pensez si en plus elle s’appuie sur des analyses sérieuses !!

3/ Macron aurait-il compris l’origine de l’échec de ses deux précedesseurs ?

Sarkozy a été tué par Trichet. Une crise américaine et globale qui a eu de longs effets sur nous, en raison d’un euro à 1,5 contre le dollar puis du fait de la crise de 2011 (dite « crise des dettes souveraines », comprendre en réalité : crise du putch BCE contre les pays du Sud) ; il a, certes, commis bien des erreurs sur le fond et sur la forme, mais pour perdre contre un Hollande il fallait une double récession en peu de temps, et cela seul Trichet pouvait sur cette planète délivrer l’exploit (ni les anglais ni les suisses ni les suédois ni les polonais n’ont eu DEUX crises, comme les chinois et les américains ils n’en ont eu qu’une). Hollande aussi a eu sa planche savonné par la BCE, dans une mesure moindre. Certes, Mario Draghi a fait ce qu’il a pu, la baisses des taux, le QE, le « whatever it takes » pour réduire la pression. OK. Mais il a fallu attendre début 2015 pour que les choses sérieuses (QE) s’enclanchent. Entre temps, Hollande a été assez bête pour monter les impôts dans une phase de récession, ce qui était certes stupide mais qui aurait dû être compensé par une politique monétaire plus accomodante. Par la suite, il a fait ce qu’il a pu (pas grand-chose hélas) dans la 2e partie de son mandat, mais le bilan ne pouvait pas redevenir positif et permettre qu’il se représente. Ironie de l’histoire, les envolées littéraires de ces deux anciens présidents (dignes pour Hollande du meilleur stand roman de Carrefour ou d’Auchan) montrent qu’ils n’ont pas compris grand-chose à ce qui s’est joué contre eux et surtout contre la France et contre la zone euro : ils n’incriminent pratiquement jamais la BCE dans leurs mémoires ; soit ils n’ont rien compris au match, soit ils ont été matés et ne veulent pas insulter leurs anciens/futurs arbitres, au cas où. 

Macron est peut-être plus malin. Un homme pétri de sens du service public à 24 ans pour le grand O, chez Rothschild en M&A à 29, chez Hollande-qui-n’aime-pas-les-riches à 33, et à l’Elysée à 39 mais sans Bayrou : forcément, un homme habile. Jusqu’ici, son échec à l’échelle européenne était totale ; sa stratégie était en effet vouée au désastre, comme nous l’expliquions dans ces colonnes vers 2017 : il s’agissait d’amadouer les allemands par une pseudo-politique de l’offre, pour leur extirper ensuite des concessions sur un budget de la zone euro et autres fadaises fédéralistes. Merkel a dit niet, nichte, nada. On pouvait s’y attendre : les allemands ne nous croient pas, et il fallait être bien naïf pour miser sur un retour du SPD. Macron se retrouvait alors encalminé, sans marges de manœuvre après les gilets jaunes, et sans alliés après avoir fait la leçon à la terre entière, à la mi-temps de son mandat raté : et là, il sort soudain gagnant du mercato des postes européens ; il faut reconnaitre le talent, la chance aussi probablement dans ce vaste jeu de chaises musicales, dans ces tirs au but des CV ; et maintenant, espérons que l’opportunité ne sera pas gâchée.   

4/ Qu’en pense le marché ? pourquoi est-il si content depuis mardi soir ?

Le marché sait que l’économie ralentit depuis 16 mois et pour encore un moment. Depuis fin 2018, il réclame des politique monétaires plus douces (il ne se fait pas trop d’illusions sur les politiques budgétaires, moins puissantes, et où les munitions américaines ont pour l’essentiel été tirées). Il était très inquiet l’hiver dernier quand il entendait les propos suréalistes des apparatchiks de la FED à propos de 4 à 5 montées de taux pour 2019 couplées à une réduction de la taille du bilan de la banque centrale, et quand il réalisait qu’au même moment arrivait le retrait du QE par la BCE, sans parler du Brexit, du ralentissement chinois, de la santé lamentable de certaines banques eurolandaises etc. Alors, le marché a éternué. Et il a obtenu, dès janvier, puis plus nettement encore en mai et juin, de beaux retournements de vestes : la FED nous a expliqué qu’elle n’avait pas été bien comprise, que le risque d’inflation était en fait une blague et nullement relié à la taille de son bilan, que l’avis de milliers d’opérateurs décentralisés manipulant leur argent valait peut-être au moins autant que ses prévisions truquées, en bref elle s’est couchée devant Trump en pretextant que c’était pour ne pas agraver les dégâts liés aux tarifs douaniers… de Trump. La BCE a été plus lente à réagir, comme d’habitude, et ses prévisions restent bien trop optimistes, mais elle a laissé entendre que la hausse des taux arriverait à la Saint Glinglin, et qu’elle pourrait même reprendre son QE à l’hiver prochain, car figurez vous que l’exegèse d’un avis de la CJCE de décembre dernier a été opportunément changée (dans le sens d’une plus grande capacité à acheter des actifs). Le marché a salué tous ces salto-arrièrre carpés (carpe diem ?), même s’il n’est pas dupe. Il sait que la FED navigue à vue, sans cadre analytique cohérent, sans modèle pour comprendre l’absence de création monétaire massive en haut de cycle alors que « les taux sont bas » : la courbe de Phillips est définitivement morte, les modèles néo-keynésiens sont hors jeu. Il sait aussi que la BCE fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a (la domination germanique) mais qu’elle progresse en matière de conscientisation, sur la japonisation. Le marché est bonne pate, et pas seulement en Italie. Il voulait une fin d’année qui ressemble à 2014 ou à 2016 et pas à 2011 ni a fortiori à 2008 ; il voulait éviter Weidmann qui n’avait jamais accepté le QE (il avait juste reconnu très récemment que l’OMT n’était pas purement illégal !!) ; il a eu ce qu’il voulait, une pragmatique ; il aura probablement un QE2, et le taux 10 ans de l’Italie se situe donc à 1,6% (contre 3,5% il y a 6 mois et encore 2,8% au mois de mai).  

5/ Quelques conclusions peu correctes en vrac :

Primo, il ne faut pas se réjouir pour la France mais pour la zone euro (qui va pouvoir survivre quelques années de plus, là où un Weidmann aurait coulé le navire en forçant les italiens ou d’autres à débarquer) (reste à savoir si une prolongagation de cette zone monétaire dysfonctionnelle peut être perçue comme une bonne nouvelle…). 

En effet, comme le notait un lord anglais fin connaisseur des affaires du monde, il faut toujours nommer des français à la tête des organisations internationales, car ils sont les seuls à ne pas y défendre l’intérêt de leur pays. Lagarde fera le job, pas pour la France, pas pour les femmes, pas pour Macron : elle fera de son mieux pour piloter le navire, stabiliser les anticipations d’inflation (s’il n’est pas déjà trop tard), traiter les problèmes en cas de coup dur sur la croissance (au lieu de psalmodier et de jouer de la lyre comme Trichet). La France en bénéficiera, qui ne peut pas trop se permettre des hausses de taux ou un euro trop cher. Mais avec notre population de nominalistes, de rentiers et de margoulins d’agences immobilières, il est à craindre que tout cela ne finisse encore vers d’improductifs investissements dans de la pierre survalorisée (et nos élites dites libérales de la République en marche qui réinventent le contrôle des loyers alors qu’il faudrait CONSTRUIRE si l’on souhaite canaliser les prix !!! Griveaux, démission !!). 
Deusio, quand on entend dire que les banques centrales ne sont plus dirigées par des économistes spécialisés dans la politique monétaire et que cela pose problème, ce n’est qu’une partie de la vérité. On peut être un grand économiste et un piètre banquier central (Arthur Burns). On peut être un piètre économiste et un grand banquier central (Volcker, Greenspan,…). Il faut du caractère plus que de l’érudition dans cette fonction. Souvenez-vous de Bernanke : il avait du cran, mais il était souvent à l’arrêt. Quand on relit les transcripts de la FED avec 5 ans de retard, on s’aperçoit tout de même que la planète aurait eu, sans son influence, de plus sérieux problèmes vers 2009-2012 ; il a amené un comité réticent à faire le minimum syndical du QE. Mario Draghi lui aussi n’a pas fait assez et a fait trop tard, mais il a tout de même fait le maximum par rapport à son comité de méchants multirécidivistes : aurait-il fait mieux que Karlsuhe et Berlin auraient fait exploser tout le système. En bref, si Lagarde s’entoure bien, se montre habile et communiquante, et fait preuve de caractère (des éléments où elle dispose d’un assez bon track record), elle pourrait s’en sortir bien mieux qu’un économiste académique, tout en évitant les problèmes de conflits d’intérêt des futurs/ex/futurs banquiers commerciaux, je ne vise personne ici en particulier car de nombreuses personnes sont concernées. 

Tertio, oui, les questions de personnes sont importantes ; je prefererai élever le débat avec des idées, des chiffres, des concepts, mais à une époque de banquiers centraux souverains le casting est crucial. C’est déjà ce que déplorait Milton Friedman il y a près de six décennies, qui en faisait l’une de ses trois objections contre l’indépendance des banques centrales : la personnification excessive des affaires monétaires. Une règle serait préférable, comme la cible de PIB nominal, mais on préfère se lier à l’agent de la règle, à l’homme (en l’occurrence, à une vingtaine d’hommes et à une femme). A court terme, cela justifie un rebond des marchés. Mais une déception reste toujours possible ; souvent banquier central varie, bien fol est qui s’y fie (cf Mark Carney à la Banque d’Angleterre, cf la Banque du Japon, etc.). A moyen-long terme, c’est de toute façon un peu gênant pour les sciences économiques (à quoi servent les modèles ?), et fort pénible pour la transparence et la cohérence optimale des politiques monétaires, donc pour la démocratie et pour nos revenus nominaux. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !