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Marion Maréchal et le RN : chronique d’une rupture annoncée ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Séparation ?

Alors que l'influence de Marion Maréchal grandit au sein de la droite et de l'extrême-droite, sans pour autant passer le rubicond la ramenant en terre électorale, elle œuvre localement mais aussi niveau national à un processus d'union des droites. Une rupture n'est-t-elle pas inévitable entre Marine Le Pen et sa nièce ?

Gilles Ivaldi

Gilles Ivaldi est chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences-Po Paris. 

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Depuis son grand retour médiatique, Marion Maréchal ne cesse d'imposer son agenda. Récemment, elle était même invitée à l'université d'été du Medef avant d'être retirée, cédant ainsi aux nombreuses récriminations et notamment menace de boycott de la part des élus LREM. Toujours récemment, le Figaro racontait une discrète rencontre entre la petite fille du Menhir et des élus LR. Son agenda politique est-il en train de changer ? Pourquoi ?

Frederic Mas : Marion Maréchal s'était écartée de la politique pendant longtemps, puisqu'elle avait décidé de son propre chef de sortir de l'arène politique pour se consacrer au combat culturel, à son école. C'était bien entendu une position de replis stratégique pour revenir ensuite en politique. La question qui se posait était de savoir quel serait son débouché politique, étant donné qu'au sein du RN, toutes les portes se sont fermées petit à petit. Marine Le Pen ne semble pas tellement encline à la désigner comme ayant un rôle important dans le RN du futur, ce qui fait que Marion Maréchal a changé de stratégie : elle a cherché une ouverture à droite en profitant de l'opportunité de la désorganisation totale de la droite et de ses problèmes d'identité en ce moment. Actuellement, la droite parlementaire et modérée est en ruine : c'est le meilleur moment pour développer des relations et tâter un peu le terrain pour voir s'il n'y a pas quelque chose qui peut exister entre le RN qui a pris un positionnement social-populiste et le macronisme qui monopolise le centre droit et gauche en France.

Gilles Ivaldi : A vrai dire, je n'ai pas l'impression qu'il soit en train de changer. Sa politique a toujours été de dire qu'aujourd'hui il fallait travailler à l'union des droites, et ceci à la fois par la base et par les idées. C’est-à-dire qu'elle qu'en l'état actuel des choses le Rassemblement national de Marine Le Pen reste un parti très stigmatisé par la plupart des élus Républicains. Elle a compris qu'essayer une alliance entre le RN et la droite, à l'heure actuelle, ne fonctionnerait pas. Son chemin a donc été de prendre du recul et passer par deux autres chemins. Le premier, celui de la bataille des idées qu'elle mène avec son école l'ISSEP, ses liens avec l'Incorrect et la presse de droite réactionnaire. Ensuite, le deuxième qui consiste à effectuer des alliances locales pour préparer le terrain à l'aube des municipales, puis les régionales. C'est son agenda politique, tel que je le conçois, puisque pour l'instant elle considère qu'il n'y a pas de place pour elle au RN. Marine Le Pen conserve une forte légitimité au sein du parti. Personne ne comprendrait qu'elle tente subitement un putsch! De fait, il me semble qu'elle a plus une stratégie à l'horizon 2022. En somme, on laisse remonter le RN d'ici-là, et après on verra. A ce moment-là, il y aura sûrement un espace pour elle. Sauf qu'elle n'avait peut-être pas anticipé –comme nous, les chercheurs et commentateurs- la déroute des Républicains. C'est pourquoi je parlerais plus d'une accélération de son agenda. La déroute aux Européennes combinée au fait que les Républicains se sont rétractés sur une base très conservatrice –avec la candidature d'un Bellamy par exemple- ont fait qu'elle a senti qu'il y avait une fenêtre de tir. Il y a ce qu'on appelle en sciences politiques une "structure d'opportunité" avec un RN malgré tout en bonne santé électorale et des élus LR qui sont complètement déboussolés. D'un côté avec ceux qui partent rejoindre LREM. De l'autre ceux qui quittent tout simplement LR pour, parfois, rejoindre le RN comme Thierry Mariani. Une hypothèse serait donc qu'elle ne change pas son agenda mais l'accélère parce qu'elle sent qu'il y a un moment politique très porteur pour essayer de déstabiliser ce pôle de droite. On le voit récemment avec le Medef bien que c'est très surprenant qu'elle ait été invitée à participer à leur  université d'été. Mais c'est aussi visible avec ce dîner avec des élus LR. Tout semble converger pour qu'elle soit en train d'essayer de provoquer –sans y prendre part directement puisqu'elle reste en retrait de la vie politique- cette déstabilisation d'un parti LR en très mauvaise posture. De plus, ce qui reste des LR, c'est cette droite conservatrice à la Bellamy qu'elle connait bien et à qui elle peut parler et à qui elle parle sûrement plus qu'à une droite très dure. D'ailleurs, sur des thèmes comme la génétique ou la PMA, de vrais ponts sont en train de s'établir entre la droite et l'extrême-droite, et au milieu Marion Maréchal demeure absolument centrale.

De plus elle jouit d'un statut particulier, une sorte d'électron libre libéré du carcan d'un parti à la manière d'un Zemmour ?

Frederic Mas : La rupture avec Marine Le Pen est inévitable parce que les deux ont des stratégies claires et très différentes. Marin Le Pen a choisi le souverainisme, le populisme, adopte un discours très radicalement antisystème alors que Marion Maréchal a un discours favorable à l'union des droites et adopte une stratégie plus droitière, plus ancienne et plus proche de ce que pouvait être le Front national dans les années 1980 : elle défend l'idée qu'il faut travailler à l'union des droites au-delà des sensibilités. Au sein de son école, elle essaie de rassembler les différentes sensibilités des droites pour les faire dialoguer entre elles. Il y a une vraie différence de stratégies qui fait qu'à un moment ou un autre il y aura des frictions.

De notoriété publique, cela fait plusieurs années qu'il y a de fortes tensions au sein du RN entre les différentes stratégies adoptées : à l'époque, surtout entre l'aile de Florian Philippot, clairement souverainiste avec une volonté d'insister davantage sur la souveraineté de la France et l'insécurité plus que sur l'immigration alors que Marion Maréchal est plus traditionnellement à droite, son discours est beaucoup plus identitaire et attaché à une vision conservatrice de la société qui n'était pas portée par l'aile gauche du RN (celle de Philippot et des souverainistes).

Gilles Ivaldi : Certes, mais je ne pense pas que les gens soient totalement dupes. Elle a pris du recul, mais on sait d'où elle vient, quelles sont ses attaches. Le problème est qu'elle n'a pas d'intérêt à rejoindre le RN restant, je vous le disais, très stigmatisé alors qu'elle est sûrement beaucoup plus à l'extrême-droite que le RN. Il ne faut également pas oublier que le RN n'est pas un parti homogène. Les positions de Marion Maréchal ne sont pas forcément celles de Marine Le Pen ou d'autres. Un Sébastien Chenu n'est, par exemple, pas sur la même ligne culturelle, identitaire, morale, traditionnaliste que Marion Maréchal alors qu'un Robert Ménard est complètement Marion compatible. Elle incarne une certaine frange du RN. Géographiquement, cette vision reste dominante dans le sud et sont beaucoup moins partagées par le RN du nord. A ce stade, elle reste donc une interlocutrice entre le RN et la droite et je dirais même que, stratégiquement, elle a plutôt intérêt à le faire de l'extérieur parce que le faire via le RN risquerait de ternir son image et pourrait éventuellement provoquer des tensions comme on l'a vu avec Florian  Philippot. Les raisons de l'approche de Marion Maréchal se trouvent donc dans le constat de la réalité de clivages idéologiques, stratégiques et quasi géographique au sein du RN.

Si Marion Maréchal ne cesse de répéter qu'elle n'est pas l'ennemi de sa tante, Marine Le Pen, et qu'il n'y a aucun problème entre eux, la rupture ne semble-t-elle pas inévitable du fait d'une prise d'importance dans l'opinion publique doublée aux risques de tensions qu'elle pourrait provoquer au sein du parti ?

Frederic Mas : Cela lui a certainement traversé l'esprit. Marion Maréchal a tout à fait conscience que ce qui a permis à Emmanuel Macron de triompher lors des élections présidentielles c'est d'avoir incarné une certaine modernité et d'avoir rendu obsolète le reste du paysage politique. Elle pourrait avoir le même rôle si elle s'y prend intelligemment : elle est jeune et son discours est suffisamment nouveau et différent du reste de l'offre politique. Il y a sans doute une inspiration macronienne chez Marion Maréchal : l'idée de rassembler autour de sa personne.

Il y a cependant une différence majeure entre les deux. Emmanuel Macron fédère uniquement autour de sa personne alors qu'on a vraiment l'impression chez Marion Maréchal qu'il y a une volonté beaucoup plus idéologique et pensée derrière. Elle a l'ambition de traiter sérieusement son programme politique et de construire son agenda politique, davantage que celui d'Emmanuel Macron qui avait beaucoup misé sur sa communication politique et sur l'adhésion personnelle à sa figure afin qu'il puisse être porteur d'un projet.

Gilles Ivaldi : Peut-être…mais pour l'instant la rivalité est inexistante. Chacune a son rôle. Marine Le Pen garde la boutique RN, et continue à la faire vivre tout en lui apportant quelque chose qui a été précieux pour le parti– un discours social, plus orienté vers les classes populaires, plus keynésien en matière économique. De son côté, Marion Maréchal parle à cette France du RN plus traditionnaliste et qui aujourd'hui est très proche des Républicains parce qu'ils s'en sont rapprochés. Pour l'instant, je vois plus de complémentarité que de rivalité. Que dans quelques années, un clash entre elles survienne ne serait pas surprenant. Mais à l'heure actuelle, Marion Maréchal n'empiète pas sur le terrain de sa tante et est même peut-être en train de créer les conditions pour qu'en mars prochain on voit surgir des alliances dans le sud-est –le Var, Nice- entre la droite et l'extrême-droite.

Pour résumer, si elles affichent des différences, elles restent soudées sur des thèmes communs (immigration, Europe…etc.). Leurs deux discours semblent donc pouvoir continuer à cohabiter. Leurs approches restent parallèles. Elles suivent des objectifs communs mais sur des pentes différentes. Je vois donc mal en quoi un clash peut survenir tant que Marion Maréchal ne se mêle pas à quelque chose de concrètement politique comme en créant son propre parti ou d'aller défier Marine Le Pen à la présidence du RN.  Ce n'est pas ce qui semble se dessiner maintenant. Et si Marion Maréchal devrait revenir au RN, cela serait un peu à la Thierry Mariani, c’est-à-dire en créant une structure comme Droite Populaire mais qui agit comme un satellite du parti.

On perçoit bien des tensions entre les deux mais je ne vois donc pas quel pourrait être l'objet d'une rupture entre les deux. Et quelle serait la forme de cette rupture ? Marion Maréchal qui crée un autre parti concurrent du RN ? Or, elle connaît bien l'histoire pour avoir connu la sécession mégrétiste, et vu ce qui est arrivé à Florian Philippot. Puisqu'elle sait qu'il n'y a pas de place pour créer un tel parti, elle ne souhaite pas connaître leur sort.

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