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Le paradoxe du portefeuille retrouvé
©PASCAL PAVANI / AFP

Honnête à quel point ?

Selon une étude parue dans la revue Science, les gens ont plus tendance à rendre à son propriétaire un portefeuille s'il contient de l'argent que s'il n'en contient pas. Les probabilités augmentant avec la quantité d'argent contenues par le portefeuille.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico. Cette étude bouscule les préjugés sur la question de l’honnêteté. Comment expliquer cette apparente absence de corrélation entre bénéfice potentiel et honnêteté ?

Pascal Neveu : Il est nécessaire de rappeler que l'honnêteté est comme la qualité de ce qui est conforme à la vertu. C’est donc une valeur morale qui est comparable au fait de se sentir bon.
Cette impressionnante étude conclut en la moralité naturelle de l’être humain, afin de ne pas se sentir voleur.
Toutes les religions condamnent le vol.
Par exemple dans la Bible : Levitique (6.1 (5:20) et suivants) : «  L'Éternel parla à Moïse, et dit: lorsque quelqu'un péchera et commettra une infidélité envers l'Éternel, en mentant à son prochain au sujet d'un dépôt, d'un objet confié à sa garde, d'une chose volée ou soustraite par fraude, en niant d'avoir trouvé une chose perdue, ou en faisant un faux serment sur une chose quelconque de nature à constituer un péché; lorsqu'il péchera ainsi et se rendra coupable, il restituera la chose qu'il a volée ou soustraite par fraude, la chose qui lui avait été confiée en dépôt, la chose perdue qu'il a trouvée, ou la chose quelconque sur laquelle il a fait un faux serment. Il la restituera en son entier, y ajoutera un cinquième, et la remettra à son propriétaire, le jour même où il offrira son sacrifice de culpabilité. »
Cette illustration correspond parfaitement à l’observation des chercheurs.
Rappelons l’étude qui s’est déroulée sur trois ans,
Les chercheurs ont distribué 17 303 portefeuilles dans 355 villes sur tous les continents, à l'exception de l'Antarctique.
Les portefeuilles transparents, au contenu immédiatement visible, contenaient entre autres trois cartes de visite, avec une adresse électronique, portant un nom masculin commun et caractéristique au pays (Ivanov pour la Russie, Hendrianta pour l’Indonésie, Kihiga pour le Kenya, Miller pour les Etats-Unis…), mais également une clé, objet si important.
Certains portefeuilles n'avaient pas d'argent à l'intérieur; certains avaient l’équivalent de 13,45 dollars en monnaie locale.
L’étude démarre dès que des chercheurs sont entrés dans des bureaux de poste, des hôtels, des commissariats de police, des banques, des musées…, se sont approchés de la réception et leur ont dit: « Bonjour, j'ai trouvé ceci dans la rue au coin de la rue. Quelqu'un doit l'avoir perdu. Je suis pressé et je dois partir. Pouvez-vous s'il vous plaît en prendre soin ? ».
Le résultat est inattendu : les gens sont plus susceptibles de restituer des portefeuilles perdus contenant de l'argent. En moyenne, 40% des personnes ayant reçu un portefeuille sans espèces les ont signalées, contre 51% des personnes ayant reçu un portefeuille avec de l'argent !
Face cette surprise, les  chercheurs ont  décidé de placer différentes sommes d’argent. Plus la somme d’argent est importante, meilleures sont les chances que les gens le rendent.
72% pour celles et ceux ayant reçu un portefeuille contenant 94,15 dollars, comparé à 61% des personnes ayant reçu un portefeuille contenant 13,45 dollars et 46% ayant un portefeuille sans espèces.
On peut imaginer que sans argent, ne pas signaler un portefeuille ne donne pas l’impression de voler. Avec de l’argent on a soudainement l’impression de voler !

Peut-on appliquer cette logique à d'autres exemples concrets ?

Freud dans sa théorie définissait la 2ème topique.
Nous sommes constitués d’un Moi (notre représentation identitaire), un Cà (le monde pulsionnel) et d’un Surmoi (nos instances morales).
Le Surmoi et le Ca ne peuvent dialoguer entre eux et s’expriment via le Moi qui sert de « modérateur ».
Aussi, si un conflit psychique naît entre ces deux instances, le Moi ressentira des tourments importants.
Nous devons donc, afin de maintenir notre équilibre psychique, composer avec ces instances qui ne doivent pas s’exprimer dans l’excès. Notre développement personnel, notre environnement familial, social, éducatif… font que nous possédons de manière singulière un « taux » de Surmoi et de Ca différents de notre voisin.
Raison pour laquelle nous rencontrons des personnes qui seront plus susceptibles ou non à agir de manière honnête.
L’honnêteté concerne également le mensonge, la manipulation, les vols, les déclarations d’impôts…
Nous connaissons l’expression « Seras-tu capable de te regarder dans un miroir après cela ? », car nous avons besoin de correspondre à un certain Idéal.
Tout n’est pas autorisé et la notion de bien et de mal reste fondamental.
L’honnêteté régule les comportements et équilibre les relations humaines.
En fonction de notre structure et notre équilibre psychique, nous serons plus enclins à penser le geste que nous allons mettre en acte.
Sans oublier la peur de se faire prendre. Imaginons que vous trouvez une valise remplie de billets. Les premières pensées porteront sur le fait que les billets sont numérotés, l’origine de cette somme et une somme d’angoisses... Ce fut d’ailleurs l’objet de plusieurs films thrillers.

Selon l'étude, les résultats seraient sensiblement similaires dans tous les pays, indépendamment de leur niveau de richesse. Quelles sont les normes sociétales et morales qui poussent les gens à se montrer honnête ?

Effectivement, dans tous les pays sauf deux (le Pérou et le Mexique), les personnes « testées » ont envoyé un courrier électronique pour retourner les portefeuilles.
Le sexe, l’âge leur personnalité, leur profession, leur ordinateur, la crainte de caméras de sécurité n’ont aucune influence sur le comportement.
Certes, quelques caractéristiques telles que l'homogénéité et la loyauté nationale pourraient aider à expliquer de légères différences. Raison pour laquelle les chercheurs ont testé la Suisse, où la corruption est relativement faible, et la République tchèque, qui se situe à l'extrême opposé. Dans ces deux pays, la quasi-totalité de l'argent a été restituée avec les portefeuilles.
Les chercheurs ont également analysé le facteur « récompense ».
Les personnes signalant des portefeuilles perdus ont reçu un courrier électronique les remerciant et disant que le propriétaire avait quitté la ville et qu'elles pouvaient conserver l'argent ou en faire don à une œuvre de bienfaisance.
Ils ont constaté qu'aucun de ces facteurs n'avait d'importance.
Les chercheurs ont interrogé les personnes afin de savoir si elles s'attendaient à de plus grandes récompenses pour avoir rapporté plus d'argent; ils ne l’ont pas fait. Ils ont également mis à l’essai l’altruisme en distribuant des portefeuilles contenant de l’argent, mais pas de clé, l’un des objets les plus précieux pour le propriétaire du portefeuille. Leur rendu a cependant été un peu plus faible.
Les pays où les taux de retour des portefeuilles sont élevés sont des sociétés très ouvertes, vivant une grande mobilité, les personnes ne vivant pas avec leur famille.
Les pays où les taux sont les plus faibles, comme le Kazakhstan, les Émirats arabes unis et l'Indonésie, ont une très forte moralité au sein du groupe. Il peut y être vécu comme immoral de rendre le portefeuille au lieu de donner l'argent à votre famille.
Tout est donc question de morale et de normes sociétales, que nous n’avons pas à juger.
Par exemple, la Suisse et plusieurs pays scandinaves affichaient les taux les plus élevés. La Chine et le Maroc avaient le plus bas. Les Américains étaient à peu près aussi susceptibles de signaler des portefeuilles contenant de l'argent que les citoyens espagnols, français et russes.
En conclusion, la préoccupation principale des gens porte sur leur image et la morale. Prendre l'argent et rendre le portefeuille nous rendrait donc très mauvais.
Finalement cette étude contredit Mark Twain qui écrivait : «  L’honnêteté est la meilleure des lignes de conduite, lorsqu’il y a de l’argent à la clé »

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