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Canicule : y’a-t-il encore un adulte dans l’avion ?
©PASCAL PAVANI / AFP

Infantilisant

Mais qu’avons nous loupé dans l’éducation et l’enseignement pour en arriver à ce que le gouvernement nous traite tous comme des mineurs démunis face aux enjeux du quotidien ?

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : Dans un tweet, Sibeth N'Diaye proposait sept "reflexes" pour lutter contre la canicule. Un tweet assez infantilisant, comme l'ont relevé nombre d'internautes. Il faut dire que parmi les recommandations, on peut lire : "donner et prendre des nouvelles de ses proches" ou encore "éviter les efforts physiques". Selon vous, cette attitude envers les citoyens révèle-t-elle un phénomène déjà existant, c’est-à-dire une progressive infantilisation des individus elle-même permise par l'éducation ?

40 degrés au maximum et juste 7 bons réflexes à adopter. Soyez tous vigilants, pour vos proches et pour vous-même. #Caniculepic.twitter.com/KMwSAPePtf

— Sibeth Ndiaye (@SibethNdiaye) 24 juin 2019

Jean-Paul Brighelli : Ce qui m'a frappé à première vue, c'est la duplication du message en Texte + icono. Là est la base même de l'infantilisation : on s'adresse à des analphabètes. Vu la teneur des recommandations, on s'adresse aussi à des analphacons. Le tweet est manifestement ciblé "personnes âgées" (c'est sensible dans "donner et prendre des nouvelles de ses proches" — qui est d'une syntaxe très douteuse, on ne mélange pas verbe transitif et verbe intransitif avec un même complément), alors même qiue les personnes âgées sont les moins à même d'utiliser Twitter. Les "conseils de bon sens" ont-ils vraiment besoin d'une Secrétaire d'Etat pour être audibles ? 10 ou 11 000 € par mois pour twitter ce genre de choses, n'est-ce pas surpayé ? Et effectivement, c'est prendre les troisième et quatrième âges pour un ramassis de crétins retombés en enfance.  

Justement comment se traduit concrètement, dans le système éducatif, cette infantilisation (apprentissage de la frustration et de la non satisfaction immédiate des désirs, allergie à l’inconfort, refus des responsabilités)?

Votre énumération est en soi saisissante : elle résume bien les ressorts majeurs des pédagogies nouvelles, qui sous prétexte de construire des citoyens responsables tendent à déresponsabiliser les futurs citoyens que sont les élèves. Il est de fait qu'un vrai apprentissage des savoirs, une rigueur dans le travail, un renoncement au "ludique à tout prix" caractérisé par le recours aux nouvelles technologies et par la sortie scolaire systématique sont plus difficiles à lettre en place. 

Finalement, quels changements le système éducatif devrait-t-il faire pour mettre fin à cette crise de la maturité ?

On avait les "Tanguy", les "adulescents", on aura bientôt une société composée tout entière d'irresponsables de tous les âges, appelés rituellement aux urnes tous les cinq ans pour conforter les oligarques dans leur position dominante, et priés de dormir le reste du temps.  L'enseignement "à l'ancienne" formait des citoyens — pas un hasard si l'on s'est posé les vraies questions pendant la Révolution française. Je crois fermement qu'au milieu des années 1970, avec Haby d'abord puis Jospin dans les années 1980, on s'est demandé comment laisser les élèves à tout jamais au jardin d'enfants — à tous les âges. Maternelle for ever ! Il suffit dès lors de les nourrir (d'où l'idée d'un salaire / aumône de base) et de les amuser — d'où l'utilisation actuelle des médias, destinés, comme l'a très bien dit Patrick Le Lay, à "fournir du temps de cerveau disponible pur Coca-Cola" — ou pour Macron. EN un sens, le tweet de Sibeth Ndiaye est symptomatique d'une époque : on materne, on caresse dans le sens du poil, et on prend, en définitive, l'électeur pour un… crétin.

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