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ADP : sous efficience de la gestion de l’Etat contre privatisation d’une rente oligopolistique, comment trancher ?
©ERIC PIERMONT / AFP

50 nuances d’inefficacité

Les tensions actuelles autour de la possible privatisation d'Aéroports de Paris, dont l'Etat possède 50,6% divisent l'opinion et les politiques bien au-delà du clivage gauche-droite, la question de la meilleure solution d'un point de vue économique uniquement devrait être posée pour permettre de trancher avec mesure dans cette affaire épineuse.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Si la mauvaise gestion d'ADP par l'Etat est criticable, ne prend-on pas un risque à casser un monopole pour mettre en place une forme de rente. Concrètement, est-ce qu'une privatisation est susceptible d'améliorer réellement la situation économique d'ADP si elle aboutit à un monopole ou un oligopole ?

Michel Ruimy :

ADP est déjà en situation de monopole sur le marché des installations aéroportuaires utilisées pour les transports aériens en provenance et à destination de l’Île-de-France. Il n’a aucun concurrent dans un rayon de 300 kilomètres. Sa zone de chalandise rassemble 25 millions d’habitants, dont le revenu moyen est supérieur à la moyenne française. Cette situation monopolistique ne pourrait être remise en cause que si les aéroports d’Orly et de Charles de Gaulle (CDG) étaient séparés, ce qui ne semble pas être une option à l’ordre du jour, ou si un troisième grand aéroport parisien était ouvert, ce qui a été une option parfois étudiée mais qui, le cas échéant, ne pourrait pas se réaliser avant au moins dix ans.

La théorie économique nous enseigne que toute entreprise privée en situation de monopole vend ses produits à un prix plus élevé et avec une qualité moins bonne qu’une entreprise en situation de concurrence. Le prix d’un monopole est d’autant plus élevé et la qualité de ses produits d’autant plus faible que ses clients y sont peu sensibles, ce qui est assez largement le cas de ceux d’ADP. En effet, la part des redevances aéroportuaires dans les billets d’avion est assez faible et les clients des commerces et services des aéroports internationaux sont assez largement captifs. En outre, la progression du trafic conduit régulièrement à une saturation des capacités d’accueil qui doivent alors être étendues en faisant de lourds investissements pour construire de nouveaux terminaux.

Sans intervention de l’Etat, un actionnaire privé d’ADP pourrait augmenter fortement ses prix, moins investir et dégrader la qualité de ses prestations. Cela réduirait un peu la consommation des produits fournis par ADP car certains passagers utiliseraient d’autres modes de transport vers l’Europe et / ou limiteraient leurs achats dans les terminaux. L’élasticité de cette consommation étant faible, ADP accroîtrait néanmoins ses recettes.

En revanche, si des voyageurs renoncent à prendre l’avion à cause du prix ou de la qualité des services aéroportuaires, les compagnies aériennes seront fortement impactées. Elles subiront directement la hausse du prix et la baisse de la qualité des services qui leur sont rendus par ADP. Air France, premier client d’ADP, pourrait être la principale victime de sa privatisation. Le bon fonctionnement du hub de CDG à un prix raisonnable est, en effet, vital pour la compagnie nationale.

Par ailleurs, les prix et la qualité des services d’ADP ont toujours été régulés par l’Etat, sous la forme d’un contrat pluriannuel. De plus, le projet de loi comporte d’importantes dispositions permettant à l’Etat d’exercer une forte régulation sur les prix et les activités d’ADP, par exemple en imposant des investissements. Mais, les décisions de l’Etat ont toujours été, en pratique, des arbitrages entre les positions antagonistes d’ADP et d’Air France. Ces arbitrages ont été le plus souvent favorables à la compagnie aérienne parce qu’elle se trouve dans la situation la plus fragile et parce qu’Air France a longtemps été considéré comme un porte-drapeau de la Nation dans les pays lointains.

Enfin, le projet de loi prévoit de maintenir pour ADP le modèle économique dit de « double caisse » selon lequel les bénéfices tirés des locations d’emplacements commerciaux sont gardés par les actionnaires et ne permettent pas de réduire le montant des redevances aéroportuaires.

Au final, la prise en compte de l’ensemble de ces paramètres laisse penser qu’il est possible que cette privatisation permette de concilier les intérêts financiers de l’Etat et des clients d’ADP, mais ce sera difficile. Néanmoins, on peut penser qu’à court terme, devant la bonne situation et perspectives financières d’ADP, cette entreprise, qu’elle soit privatisée ou qu’elle reste dans le giron de l’Etat, aura des résultats satisfaisants.

Le projet PACTE qui encadre cette privatisation vise à la performance et l'efficacité. ADP est aujourd'hui une multinationale très rentable, avec un bénéfice net de 6,9% en 2018. Peut-on dès lors minimiser les accusations de mauvaises gestions de l'Etat ou sa participation est-elle au contraire un frein (notamment pour permettre des investissements) ?

Le résultat net du groupe ADP en 2018 (610 M€) représentait environ 12,5 % de ses capitaux propres (12,3 % en 2017). Ce taux de rentabilité des capitaux propres d’ADP a presque toujours été plus élevé que les taux moyen des sociétés du CAC 40 et des participations de l’Etat au cours des années 2009-2017. En outre, cette rentabilité est relativement stable et, contrairement à la moyenne des participations de l’Etat, l’endettement net du groupe ADP est modéré. Les dividendes versés en 2018 par ADP sur ses résultats de 2017 se sont élevés à 342 M€, dont la moitié pour l’Etat. C’est donc une des entreprises publiques dont la situation financière est la plus favorable. On voit donc que la gestion de l’Etat n’a pas été si mauvaise. D’un point de vue financier, la cession de ses actions n’aura donc d’intérêt pour l’Etat que si le produit de cette cession est supérieur à la somme actualisée des dividendes qu’il pourrait toucher sur une durée infinie.

En fait, ce qui pose problème est la présence de l’Etat au capital de l’entreprise. En effet, un des candidats potentiels à la reprise, le groupe Vinci, deuxième opérateur mondial avec 46 aéroports en portefeuille a posé une condition : obtenir la garantie de pouvoir être un vrai partenaire industriel c’est-à-dire être en mesure de pouvoir contribuer à créer de la valeur et d’apporter de nouveaux services au bénéfice des passagers, des compagnies aériennes et des collectivités locales. Pour y arriver, il faut avoir une participation significative en capital et un rôle dans la gouvernance.

Compte-tenu des enjeux politiques et médiatiques des aéroports de Paris, on peut craindre que le choix de l’acquéreur des actions de l’Etat repose sur un très grand nombre de critères (sociaux, environnementaux et d’achats aux PME franciliennes notamment) mal définis et sans pondération explicite, ce qui donnera un fort pouvoir discrétionnaire au ministre de l’économie en cas de vente de gré à gré.

Le précédent de l'aéroport de Toulouse ne montre-t-il pas la grande complexité que peut représenter une telle privatisation, tant la vente d'une telle infrastructure a une dimension politique ?

Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’existe pas actuellement de modèle unique pour la gestion des aéroports : 60 % du trafic aérien mondial transite par des plateformes publiques, 40 % par des plateformes privées.

L’expérience de l’aéroport de Toulouse a été la première tentative de privatisation d’un aéroport. Mais, dès le départ le ver était dans le fruit. Les actionnaires locaux minoritaires - CCI, région, département, métropole, qui représentent 40 % des parts - avaient des rapports plus que tendus avec l’équipe chinoise.

Ce flop a des répercussions bien au-delà de la région de Toulouse. S’il a permis de corriger certaines initiatives pour les ventes des aéroports de Nice et Lyon, ce mauvais brouillon de privatisation n’est pas étranger à la coalition hétéroclite d’opposants à la cession des aéroports parisiens d’ADP, qui a déclenché, pour la première fois, ce printemps, l’arme du référendum d’initiative partagée (RIP). Même si les deux opérations diffèrent largement par leur périmètre et leurs modalités, Toulouse (9,6 millions de passagers l’an dernier, plus de 4 500 salariés y compris les emplois indirects) aura, politiquement parlant, contribué à rendre hautement inflammable le dossier ADP.

Le fiasco toulousain aura eu au moins un mérite : avoir cadré de nouvelles règles du jeu pour les cessions de Nice et Lyon, deux opérations scellées, le même jour, en novembre 2016 en faveur de l’italien Atlantia, pour le premier, et de Vinci, pour le second. Bercy a choisi de renforcer, dans ses critères de recevabilité, l’expérience en matière de gestion d'aéroports, comme les exigences sur la transparence financière des repreneurs. Deux opérations simultanées qui auront redressé le savoir-faire de l'Etat actionnaire… jusqu'à la bronca des défenseurs d'ADP.

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