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Les Français, peuple le plus rétif du monde aux vaccins… et à l’économie : mais où se plantent les racines de ce mal tricolore ?
©GEORGES GOBET / AFP

Exception culturelle

Une étude menée par Gallup et financée par le Wellcome Trust révèle qu'un Français sur trois pense que les vaccins sont dangereux et près de 20% estiment qu’ils ne sont pas efficaces.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico: Quelles sont les raisons profondes de l'inculture scientifique des Français que démontrent les résultats de cette étude ?

Yves Michaud : L’inculture scientifique en France n’est pas plus grande que celle dans bien d’autres pays (allez voir au pays de Trump!). Ce serait une erreur de battre une coulpe nationale de plus  -il y a déjà bien assez à faire. Beaucoup de raisons, oui, interviennent.

A commencer par un changement d’attitude vis-à-vis de la science : nous ne vivons plus dans l’euphorie du progrès et l’optimisme à la Jules Verne. Et ce changement de paradigme touche toutes les sociétés européennes. Je ne suis pas certain que ce soit le cas pour les USA et encore moins la Chine. C’est toute une représentation du monde qui a basculé, même si nous sommes toujours preneurs du dernier cri du progrès technologique que ce soit la PMA ou l'Iphone.

D’autre part, la science a tellement progressé et est produite de manière tellement industrielle qu’il ne peut plus y avoir de vision unifiée et organisée de ses progrès. Pire, plus la connaissance scientifique progresse plus on mesure l’immensité de ce qu’on ne sait pas. Quand il n’y a qu’un système solaire, Laplace peut annoncer que la physique est maintenant achevée. Rien de tout ça n’est plus possible quand on est face à 200 milliards de galaxies et des thérapies géniques partout. Quand j’ai organisé l’Université de tous les savoirs de 2000 à 2013, j’ai eu le sentiment que l’on arrivait au terme du pouvoir de la vulgarisation : il n’y aurait désormais plus place que pour le merveilleux et la peur.

Il ne faudrait pas non plus faire porter la responsabilité à l’école : elle aussi fait ce qu’elle peut face aux tsunamis de vérités et de faussetés sur internet.

Ce que j’incriminerais comme spécifiquement français, c’est le travail de sape dans la confiance dans la science accompli par les journaux et médias. Au nom de l’actu et pour faire chorus avec les millénaristes de tout poil, les journalistes, qui sont pour la plupart totalement ignares en science, annoncent les pires risques. Là-dessus un président constitutionnalise le principe de précaution et vogue la galère. Bref l’inculture scientifique des Français est une inculture mille-feuilles. Toutes les couches se renforcent sur un fond de crème pâtissière bouillasseuse.

Dans une interview accordée au Parisien, l'économiste Olivier Blanchard a déclaré que la science économique était mal enseignée aux Français. Le manque de culture des Français en matière de sciences humaines (en particulier l'économie) est-il dû à la mauvaise qualité de l'enseignement ou aux racines culturelles de la France ?

Pour ce qui est de la science économique, c’est effectivement une autre affaire.

Depuis les économistes libéraux du XIXème siècle, sans remonter même jusqu’à Vauban, Boisguilbert, Turgot ou Quesnay, la science économique a été le parent-pauvre de la vie intellectuelle et de la recherche française. Même quand nous avions de grands économistes, nous ne le savions pas (Debreu, Allais). Le retard n’a pas été comblé. Pire, on a créé dans les années 1970 des enseignements d’économie au rabais et ouvertement partisans dans le style marxo-baba et on diffuse encore souvent dans les lycées des « lordoneries » d’économistes prétendument « atterrés ». Quant aux « économistes » des médias, de droite ou de gauche, ils viennent nous prédire allègrement le passé. Une anecdote du début des années 1970 : Althusser, qui ne connaissait d’économie que ce que venait lui raconter discrètement son copain d’école Pierre Moussa, alors président de Paribas, m’avait dit de ne jamais lire les « économistes classiques » (Smith, Riccardo) et de commencer à Marx. C’était aussi l’époque où des marxistes polpotiens étudiaient gravement les scénarios de transition du capitalisme vers le socialisme.

Il y a donc bien une double raison à la situation : un mépris français de l’économie comme savoir (même problématique) et des institutions d’enseignement biaisées. Le résultat est piteux : du côté des politiques, c’est le refrain « l’intendance suivra » ; du côté des critiques de droite comme de gauche, c’est le gloubi-boulga de la dénonciation du « libéralisme », de « l’hyper-capitalisme », de la « globalisation » - au point que ces mots n’ont plus aucun sens.

Ajoutons une chose qui ne se dit pas assez : avant d’aller critiquer les pauvres petits français à qui on inculque au collège et au lycée la peur du grand méchant loup libéral, il faut souligner à quel point nos élites politiques sont ignorantes en économie. C’est un fait qu’on n’apprend rien, absolument rien d’économie à l’ENA. Que Hollande ait pu enseigner l’économie à Science-po m’a toujours paru lunaire, lui qui semble avoir tout juste appris qu’il y a des cycles de Kondratieff…. A ce compte, je pourrais aussi bien être chargé du cours de magie.

Quels sont les effets de l'inculture et du scepticisme des Français à l'égard de la communauté scientifique et intellectuelle ? N'est-il pas en partie à l'origine des crises politique et culturelle actuelles ?

Cette double inculture scientifique et économique a des conséquences dramatiques.

D’abord, chacun estime avoir son mot à dire et son avis à donner, surtout sur les questions auxquelles il ne comprend rien – ça donne la blague du « grand débat ». Et comme les politiques (et leurs conseillers) ne connaissent rien non plus, ils piquent deçi delà ce qui leur semble « populaire ».

Ensuite on perd un temps fou à monter en épingle et discuter (en s’affrontant) de faux problèmes – et de fausses solutions. Exemple la vaccination, mais aussi le glyphosate, les OGM, et pire encore les énergies propres. Et nous voilà submergés d’éoliennes qui produisent des quantités minuscules d’électricité et permettent de...bétonner la campagne, de batteries et accus qui ruinent les gisements de terres rares et sont irrecyclables. Et on révère le dogme du nucléaire mortifère. Là dessus, personne ne voit d’inconvénient à rouler en SUV, à acheter toute la nourriture sous blisters plastiques, à chauffer au gaz les terrasses de bistrot, à multiplier les embouteillages  au nom de la priorité au vélo « électrique », à construire des immeubles en verre irrecyclables.

La démocratie a pour principe que l’on cherche à s’entendre sur des questions pour lesquelles il n’y a pas de solution évidente ni rationnelle. Chez nous la démocratie est devenu le débat sur les faux problèmes.

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