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Insécurité : l’ambition très mesurée d’Edouard Philippe
©Reuters

Des mots, toujours des mots

Lors de sa deuxième déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, point de départ de l' "acte II" du quinquennat d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe a affirmé son souhait de "finaliser les réformes que nos forces de l'ordre attendent".

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Lors de sa deuxième déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, point de départ de l' "acte II" du quinquennat d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe a affirmé son souhait de "finaliser les réformes que nos forces de l'ordre attendent". Dans sa déclaration, Edouard Philippe s'est félicité des premiers résultats sur la délinquance et les incivilités : "en 2018, les vols avec arme ont baissé de 10%, les cambriolages de 6% et les vols de véhicules de 8%." Ce bilan des mesures de sécurité du gouvernement Macron est-il fidèle à la situation ?

Xavier Raufer : Pendant des années, on a été habitué à ce que les affaires de sécurité intérieure soient passées à l'as : il faut aujourd'hui reconnaître qu'elles sont mentionnées. En outre, Edouard Philippe n'édulcore pas en parlant de "délinquance" au lieu de "criminalité". Quand on attaque des banques ou quand on agresse des gens ou qu'on les tue, ce ne sont pas des délits mais des crimes. M. Philippe appelle les choses par leur nom : vols, trafics, têtes de réseaux, coups de couteaux, batailles entre bandes rivales. Vu de l'extérieur, il y a donc progrès par rapport aux anciennes équipes ministérielles, y compris de la droite libérale. La nomination des choses colle déjà plus à la réalité.

Cela dit, qui suit au quotidien les affaires de sécurité en France métropolitaine ne reconnaît pas bien, dans les propos du ministre, la situation telle qu'elle est concrètement. Ce que décrit le premier ministre n'est pas la réalité criminelle de la France d'aujourd'hui, mais ce que lui dit le ministre de l'Intérieur. Ce, sur deux points inquiétant les Français : vols à main armée et cambriolages.

Car ne sont pas les grandes banques que l'on attaque à mains armée, mais d'usage le multi-commerce, le bistrot ou la pharmacie du quartier ou du village. Là, comme en matière de cambriolages, ce que dit M. Philippe s'écarte sérieusement de la réalité. S'agissant des braquages, on triche pour réduire tant et plus le nombre des vols à mains armés. On en fait passer le maximum dans une catégorie inférieure,, du crime passible d'une cour d'Assise, de vingt ans de prison et trois-cents mille euros d'amende, en "vol en réunion" ou "avec violence", délit passible de quelques années de prison et bâclé par un Tribunal de grande instance.

De ce que disent les Hauts magistrats, un procès d'assise coûte en moyenne six-cents mille euros (experts, analyses scientifiques, ADN, durée, etc.). Imaginons qu'il y ait en France trois mille mille vols à main armée passible des assises chaque année : le budget du ministère de la Justice explose en vol. La plupart des vols à main armée tombent ainsi dans une catégorie inférieure. Donc disparaissent de la statistique "vol à main armée". Ce que dit le premier ministre ne signale pas la diminution réelle de ces vols à main armée, mais le coup de lime des ministères de l'Intérieur et de la Justice pour faire maigrir artificiellement cette catégorie-là.

Quand un vol à main armée est constaté sur le terrain, un officier de police ou un gendarme arrive : il note "vol avec arme" dans la nature de l'affaire ("Nataf") avec la date, l'heure, les témoins, etc. Rentré au commissariat, lui n'envoie pas le rapport dans le circuit mais le commissaire ou le gendarme en chef du coin - qui peut transformer le vol à main armée en vol en réunion, ou avec violence. Ce qu'il envoie dans les circuits officiels n'est plus la nature d'affaire mais la nature d'infraction ("Natinf") : c'est parfois le "vol avec arme", la plupart du temps, c'est "vol en réunion" et là, on passe du crime au délit. Le passage de "Nataf" à "Natinf" (nature d'infraction) advient entre le commissariat ou la gendarmerie et le parquet : là advient la forte érosion des vols à main armée. La réalité des vols à main armée de tout type en France, telle que subie par la population est donc plus près de dix mille que de huit mille, même s'il faudrait avoir accès aux archives internes des ministères de la Justice et de l'Intérieur pour l'établir pleinement.

Deuxièmement, les chiffres que publie chaque mois le système statistique du ministère de l'Intérieur ne concernent - étrangement - que les cambriolages de résidences principales. S'il on a une maison de campagne et qu'elle est cambriolée, cela manque dans la statistique publique. Quand on totalise ce qui manque dans les statistiques (locaux officiels, d'entreprise, agricoles, résidences secondaires etc.), on a à peu près 40% du total global des cambriolages - triche assez considérable. On devrait publier le chiffre total des cambriolages et préciser le nombre de résidences secondaires, locaux professionnels, agricoles ou officiels, etc., cambriolés. Sur ces deux points cruciaux, les chiffres sont faussés. Que le premier ministre raisonne sur des figures fausses promet un résultat inquiétant.

Pour les mesures à venir, Edouard Philippe a déclaré : "nous procéderons aux changements d'organisation nécessaires pour parvenir à ces résultats opérationnels." Derrière ces promesses encore vagues, le gouvernement se donne-t-il les moyens de ses ambitions ?

Pas besoin d'encore plus de livres blancs, de colloques etc. : ce qu'il faut savoir sur le sujet, on le sait. L'essence de l'art de gouverner ne consiste pas à accumuler en vain les études et recherches mais à décider. On sait ce qui pourrit la vie des Français : ce qu'on regroupe sous le terme générique de "violences urbaines". Elles adviennent dans vingt-six départements de la France métropolitaine. C'est dans ces départements qu'il faut agir sur la criminalité des rues. C'est là qu'il y a sans cesse des émeutes (à Grenoble encore récemment), des agressions contre les policiers, les commerçants etc. On sait d'où émane cette criminalité. Il faut s'attaque au noyau dur des bandes commettant chaque jour ces infractions.

Existent déjà dans notre système judiciaire des injonctions pénales qui interdisent ces individus de se rencontrer et de fréquenter les quartiers où ils sévissent. Ces injonctions sont un terrible dissolvant pour ces bandes mais sont rarement utilisées et jamais pour les bandes. Pourquoi ? La justice est au bord de l'effondrement : lutter efficacement contre la criminalité des rues suppose que les détenus restent en prison et qu'on ne leur accorde pas sans cesse des circonstances atténuantes. Car ici, l'aspect crucial de la prison est "l'incapacitation sélective", comme dit le jargon criminologique : empêcher une sélection d'individus de commettre des crimes. Les individus dangereux incarcérés ne peuvent bien sûr pas commettre de crimes à l'extérieur.

Aujourd'hui, nul besoin d'un homme ni d'une loi de plus pour cibler la criminalité : c'est une pure affaire de décision politique. Si le gouvernement cible demain les voyous aussi durement qu'il ne réprime les Gilets jaunes, la criminalité des rues s'effondrera. Il faut et il suffit pour cela de convoquer les vingt-six préfets des départements en cause, les commissaires et officiers de gendarmerie concernés, et de leur donner des ordres clairs et précis - une fois la justice mise en ordre, bien sûr.

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