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Acte II  du quinquennat Macron : vers des réformes de transformation ou de trompe l’œil ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Quand c’est flou...

Si Edouard Philippe a obtenu sans problème la confiance de l’Assemblée nationale suite à sa déclaration de politique générale, que nous indiquent les détails du contenu de son discours sur la politique à venir ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Lors de son discours de politique générale, Edouard Philippe a insisté sur la nouvelle étape qui démarrait pour le gouvernement avec ce qu'il a appelé l'Acte II, censé répondre aux urgences économiques, écologiques et sociales. Y a-t-il vraiment des nouveautés dans ce discours, compte tenu notamment de l'accent que le Premier Ministre a mis sur les bons résultats du gouvernement et sur un rééquilibrage écologique et social qui semble déjà exister ?

Christophe Boutin : Urgences économique, sociale, écologique, et politique, voilà en effet à quoi doit répondre son gouvernement lors de cet Acte II qui durera au moins une année selon Édouard Philippe. Ou plutôt, pour être exact, voilà quelles sont les priorités du Président de la République que le gouvernement doit mettre en œuvre. Édouard Philippe est en effet clairement apparu dans sa déclaration de politique générale comme celui qui mettait en musique ce qui était décidé par Emmanuel Macron, se référant régulièrement pour justifier les choix qu’il présentait aux députés à l’ombre tutélaire de l’hôte de l’Élysée. Dans ce cadre, on comprend qu'il ne lui restait plus qu’à descendre dans le détail des mesures à venir, avec une certaine difficulté à présenter une vue d'ensemble cohérente. Certes, il a structuré sa réponse autour de quatre axes, l'accélération écologique, la justice sociale, la lutte contre les peurs et la réforme de l'État, mais sans jamais donner l’impression de faire sa propre politique. Et en se targuant d’être cohérent et constant, il a autant et même plus évoqué des chantiers en cours de réalisation que des nouveaux projets.

Que dit-il ainsi de cette ardente obligation environnementale dont il nous assure que, comme toute la jeunesse de France, il en a fait sa priorité ? La baisse du parc nucléaire était actée, l'augmentation du parc éolien tout autant. La renégociation des appels d'offres touchant à l'éolien offshore ? Elle était en cours, et évoquant la baisse de tarif il a oublié de signaler que les opérateurs demandent maintenant aux services de l'État les études préalables, et n’ont plus en charge les raccordements au réseau. Au moment où Julien Aubert vient de rendre un rapport particulièrement intéressant sur le coût réel des énergies renouvelables, on aurait aimé quelques justifications de ces choix autres que celui d’espérer amener un sourire sur le visage ingrat de Greta Thunberg. Le reste ? Un fatras. Le Premier ministre est ensuite lancé dans une (trop) longue explication du combat sans pitié engagé par l'administration française contre le plastique jetable – louable certes -, et d’une lutte contre l'obésité qui passerait notamment par la généralisation de ces indications portées sur les produits que personne ne lit. Bref, on continue, avec seulement parfois le célèbre « et en même temps », comme sur l’hydrolien : on respectera les décisions de Bruxelles, qui veut que l’on vende nos barrages, « et en même temps » on ne bradera pas le patrimoine des Français. On attend de voir…

Même constance en termes cette fois de justice sociale, le gouvernement entendant bien continuer par exemple à faire porter la pression sur les classes moyennes et supérieures, en mettant en place une dégressivité des indemnisations chômage qui les concernera, en retardant pour elles la suppression de la taxe d'habitation – qui sera certainement compensée par une augmentation significative de la taxe foncière qu’elles paient -, ou en supprimant des niches fiscales. Pas plus, pas moins qu'avant, c’est la même politique. Et c’est là aussi toujours la politique du « et en même temps » : on veut ainsi restaurer une méritocratie pour restaurer l’ascenseur social… tout en évoquant, pour les grandes écoles, la mise en place d’une discrimination positive qui est, par définition, à rebours de toute méritocratie.

Continuité et incohérence encore pour « répondre aux peurs ». Si combattre le trafic de stupéfiants n'est pas véritablement une nouveauté, lutter contre les agressions violentes et gratuites qui se multiplient est effectivement souhaitable, mais comment faire quand il est interdit de se poser la question des responsables ? Faire rédiger par Christophe Castaner un « Livre blanc de la sécurité intérieure » est-elle bien la réponse qu'attendent nos concitoyens ? Édouard Philippe a ensuite reconnu la différence de pression migratoire existant entre les autres pays de l'Union européenne la France, notamment liée à notre politique du droit d’asile, mais, refusant d’y toucher, a souhaité une impossible harmonisation européenne. Quant à la mise en place de la PMA pour toutes pour lutter contre les peurs liées à la bioéthique, certains cherchent encore le lien.

Évoquant enfin la réforme de l'État, le Premier ministre a annoncé que les nouveaux textes ont été négociés avec le Sénat, notamment avec le passage d'une réduction du nombre des parlementaires d’1/3 à ¼… et fait planer la menace d'un référendum si, après 2020, un Sénat renouvelé continuait à bloquer cette réforme. Sa réponse en termes d’administration publique ensuite est le développement des Maisons France service, qui existent déjà, la mise en place de mesures touchant à la haute fonction publique pour avoir, je cite, des hauts fonctionnaires « bien formés et dévoués » - et l’on sait ce que veut dire ce dernier terme -, et l’idée de demander aux maires comment modifier le millefeuille territorial, un marronnier que même un journaliste fatigué hésite à choisir.

On en conviendra, il semble bien difficile de voir dans ce train de mesures qui en fait complètent celles déjà mises en œuvre, ou reprennent des engagements laissés de côté, le souffle nouveau né du Grand débat que nous décrivait un Édouard Philippe d’ailleurs hésitant, butant sur les termes, nerveux, comme s’il avait lui-même pleinement conscience de l’indigence de ce qu’il présentait. Le seul élément que l’on ne peut lui reprocher par contre est de manquer de constance : quoi qu’il se passe le char jupitérien poursuit imperturbablement sa route.

Le Premier Ministre est également revenu sur un certain nombre de points de politique économique. Il a notamment parlé d'une voie possible entre croissance et écologie. Il souhaite mener une politique de sobriété énergétique, appelant à ce que le recyclage progresse plus vite que la croissance. D'un point de vue économique, que penser de cette vision de l'écologie ? Est-ce que la responsabilité écologique des entreprises n'existe pas déjà ? Est-ce tenable économiquement ? 

Alexandre Delaigue : Ce ne sont que des annonces sans véritablement qu'on puisse savoir ce que cela signifie. Sans dispositif tout cela reste de l'ordre du discours. Ce qu'on peut remarquer, c'est que le recyclage a toujours été un discours de green washing. Quand le recyclage du plastique a été inventé, cela a été inventé car les entreprises qui vendaient des boissons n'avaient plus envie de financer le système de bouteilles consignées qui existaient dans les années 1960. Quand elles ont inventé les bouteilles en plastique, elles ont fait valoir cet aspect écologique. Cette économie du plastique parce que les pays pauvres en particulier la Chine refusent désormais de récupérer le plastique pour faire le tri qui est la partie la plus coûteuse. Dans l'absolu, le recyclage en soi est un mot mantra qui sans contenu politique concret qui explique comment on va lever les difficultés pratiques reste du pur green washing. Sur la sobriété, cela a reposé par le passé par des subventions, des aides, des dispositifs économiques concrets qui s'agencent mal avec d'autres contraintes, notamment budgétaires. En soi, ça n'a pas l'air d'avoir beaucoup de contenu. Il n'y a pas de nouveauté. Tant qu'on annonce pas comment on résout les problèmes concrets, cela ne mène pas à grand chose. Dès qu'on veut mener des politiques écologiques concrètes, cela impose des contraintes économiques importantes, des coûts importants. Il faut savoir qui va supporter ces coûts et sur qui la responsabilité va peser. Il faudrait augmenter le coût des déchets, de l'électricité, pénaliser les gens qui habitent des maisons individuelles à la campagne. Politiquement, ce ne sera pas bien perçu. La dernière fois qu'on a augmenté les taxes sur l'essence, on a vu que cela avait beaucoup de mal à passer.

Edouard Philippe s'est félicité que les chiffres de l'emploi soient bons et a attribué cette réussite aux réformes menées par le gouvernement vis à vis des entreprises, leur ayant donné plus de flexibilité. D'un autre côté, il annonce vouloir empêcher la précarité en taxant les contrats courts (principe de bonus-malus), en supprimant certaines niches fiscales... Finalement, Edouard Philippe est-il si différent des précédents Premier ministre dont il s'estime le successeur ? Cette politique qui s'attribue des réussites économiques par ses réformes et les corrige ensuite est-elle cohérente ?

Alexandre Delaigue : Premièrement, une combinaison d'une politique macro de soutien à l'activité accompagné de réformes qui visent à flexibiliser  le marché du travail, c'est la recommandation de l'économie orthodoxe. C'est ce que dans tous les pays l'économie orthodoxe recommandera: de la flexibilité sur le marché du travail quitte à l'accompagner d'un bonus-malus, le tout avec une politique qui vise à avoir une conjoncture favorable. De ce  point de vue, on est plutôt dans ce que préconise l'orthodoxie économique. La nouveauté ce serait peut-être de réellement mettre ça en oeuvre. Pour l'instant, ce ne sont que des annonces. Quant au fait de s'attribuer les bons résultats de l'emploi, c'est de bonne guerre. Les chiffres du chômage échappent assez largement à la politique. Ce n'est pas le gouvernement français qui décide de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne ou de la conjoncture mondiale. C'est le jeu politique habituel d'attribuer à ses réformes les choses qu'on ne maîtrise pas réellement. Beaucoup d'économistes pensent que le marché de l'emploi en France est tel qu'on devrait l'attendre. Supprimer les niches fiscales - qui avantagent certains individus - est une préconisation économique autant que possible. Il vaut mieux un système où l'on baisserait l'impôt sur les sociétés sur toutes les entreprises, plutôt que des primes à ceci à cela, des allègements pour ceci ou pour cela. Ce qu'on sait bien c'est que la réalisation pratique est très difficile. Dans chaque niche fiscale il y a un gros chien qui défendra son os. Ce bonus-malus est logique. Les entreprises qui les utilisent des contrats courts font payer leur avantage par la collectivité, il n'est donc pas illogique qu'elles payent plus en cotisation chômage que les entreprises qui font des contrats longs.Ce n'est pas un programme incohérent. 

Edouard Philippe a détaillé la manière dont il comptait baisser les impôts (suppression de la taxe d'habitation, baisse des premières tranches d’impôt...). D'un autre côté il explique que la dépense publique devra baisser, mais ne détaille pas vraiment les réformes à venir. Est-ce qu'une baisse de la dépense publique de 27 milliards, équivalente à celle des impôts, vous semble réaliste ? Quelles sont les pistes évoquées ?

Alexandre Delaigue : Elles sont limitées mais ce qu'on voit quand même c'est qu'on a des besoins dans l'action publique, dans le secteur hospitalier, dans l'éducation...Si on veut aller dans le sens de l'avenir, la dépense publique va être difficile à renier, sauf à faire des choix qu'on n'a pas encore énoncés. Un programme actuellement de baisse des impôts en maintenant la dépense publique serait un programme de soutien à l'activité et c'est un peu ce dont la France aurait besoin. Regardons ce qui se passe aux Etats-Unis, avec une baisse de chômage et un déficit colossal. Le problème c'est qu'il y a derrière la contrainte européenne qui bride le déficit public. C'est plutôt cela: comment ce programme pourrait être négocié avec la contrainte européenne ? Cela ne sera pas facile à faire. Pour l'instant, ce choix ne serait pas un mauvais programme. Est-ce que c'est réalisable ? C'est une question d'idéologie et de compétence. Le gouvernement fait ce type d'annonces et fait ce qu'il peut pour réduire les dépenses publiques dans des domaines où ça passe politiquement. C'est une logique électorale et de popularité. Le problème c'est que jouer comme ça sur ce qui est réalisable politiquement n'est pas forcément ce dont la France a besoin. C'est ce genre de navigation à vue à la petite semaine qui n'est pas une bonne chose pour l'économie française.   

Le Premier Ministre a affirmé que le gouvernement changerait de méthode en écoutant davantage la population (en citant par exemple la convention citoyenne pour la transition écologique). Est-ce que cette affirmation vous semble crédible et cohérente avec sa manière actuelle de gouverner ?

Christophe Boutin : Édouard Philippe dit avoir compris la France et la colère qui s'est manifestée avec le mouvement des « Gilets jaunes » depuis novembre 2018 - une colère dont il nous rappelle, à juste titre d’ailleurs, qu'elle vient de loin, de plus loin que l'arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, et que toutes les démocraties ou presque la connaissent de nos jours – et ajoute que les leçons du Grand débat seraient pour lui à la base de cet Acte II. Mais dans le même temps, il affirme la constante de sa politique, ce qui peut surprendre. Quelle prise en compte des colères et quelle rupture en effet quand le Premier ministre commence par se féliciter des réformes accomplies depuis deux ans et de leurs effets (sur la baisse du chômage, la hausse des investissements, du pouvoir d'achat, de l'attractivité de notre pays), prétendant en tirer une légitimité nouvelle ?

En fait, tout repose sur l’approche classique selon laquelle le pouvoir ne saurait mal faire. Il sait où est le Vrai, le Beau, le Bien et le Juste, et si les Français semblent dubitatifs, voire pour certains franchement hostiles, c’est simplement qu’on ne leur a pas bien et pas assez expliqué. La politique se réduit en fait à une conduite de réunion managériale : le gouvernement a été trop brutal, trop pressé, et, pour reprendre les termes mêmes d’Édouard Philippe, « la détermination, la conviction et la passion », ont été prises pour « de l'arrogance et de l'agressivité ».

Pour autant, le Premier ministre en reste persuadé, il faut répondre à un besoin de transformation de la société exprimé par les Français, et son seul ennemi « c'est le statu quo ». Ce faisant, il passe complètement à côté des éléments profondément conservateurs des revendications récentes d’une part non négligeable des Français, qui veulent arrêter cette fuite en avant et cette dislocation de leur société qu’ils subissent bien malgré eux. La réforme qu’ils souhaitent serait une réforme qui écarterait ces réformateurs qui sont en fait des destructeurs, méthodiquement appliqués à ne pas laisser pierre sur pierre de « l’ancien monde ».

On voit mal dans ce cadre comment Édouard Philippe peut changer de méthode. S’il accepte par exemple que l’on soit partisan, s’il déclare que ni la droite ni la gauche ni le centre ne doivent disparaître, qu’ils ont leurs spécificités, c’est aussitôt pour affirmer la nécessité du rassemblement pour faire face aux défis nouveaux. Mais lorsque l’on évoque comme il le fait ces rassemblements nécessaires, portant sur l’écologie ou sur l’Europe, il ne s’agit jamais que de se rassembler derrière l’approche jupitérienne de l’écologie ou de l’Europe, quand bien d’autres, tout aussi écologistes ou européennes, seraient possibles.

Que restera-t-il ? À habiller de démocratie participative – qui est à la démocratie directe ce que la musique militaire est à la musique de chambre – les choix gouvernementaux. Avec par exemple cette Convention citoyenne pour la transition écologique que vous évoquez, soit la réunion de personnes non représentatives pour débattre de questions où elles n’entendent goutte avant de leur faire rédiger un rapport. En rendant aussi plus facile le référendum d’initiative partagé, ou en élargissant le champ de l’article 11 – autant de domaines où le pouvoir conserve la main –, mais en évitant de mettre en place un référendum d’initiative citoyenne qui permettrait de contourner ces blocages. Bref, en améliorant la forme pour mieux faire passer le fond. On peut appeler cela un changement de méthode.

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