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“Mais que penseraient les gens s’ils se rendaient compte de mon état ?” : la question à la racine de l’épidémie de suicides masculins
©JEFF PACHOUD / AFP

Complexe du cowboy

Le magazine Rolling Stones a mené une grande enquête sur le suicide des hommes blanc aux Etats-Unis et a mis en lumière le "syndrome du cowboy". Un syndrome qui serait au moins en partie responsable de la hausse du nombre de passage à l'acte et que l'on peut également observer en France.

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Atlantico : Concrètement au regard de l'enquête menée par le magazine Rolling Stones, quel est ce "syndrome du cowboy" dont parle le journal et est-il observable également en France ?

Michel Debout : En France on ne peut pas faire de statistiques ethniques, mais on sait que les hommes meurent plus de suicides que les femmes, dans le monde entier, à l'exception de la Chine où le statut de la femme est très dévalorisé. Ailleurs dans les pays asiatiques ou africains, on retrouve un taux de mort par suicide (pour les tentatives c'est le contraire) plus élevé chez les hommes. Cela a été expliqué par un certain nombre de publications scientifiques.

Il y a chez l'homme une plus grande difficulté à exprimer ses émotions. Un homme qui traverse une période dépressive ou de mal-être aura plus de mal à s'en plaindre parce que dès l'enfance on dit aux petit garçons qu'il ne faut pas pleurer, on attend de lui une certaine virilité. C'est la cause principale de la sursuicidalité mortelle masculine. La personne qui est dans le mal-être, si elle a un soutien social, associatif, elle pourra peut-être traverser cela, alors que si elle garde tout pour elle, c'est comme un ressort que l'on tend, au bout d'un moment il casse et on a un passage à l'acte.

Dans le cadre d'une phase dépressive pourquoi les hommes soint moins enclins à en parler que les femmes ? 

Les minorités sont souvent plus solidaires entre elles que les majoritaires. Ça se comprend aisément : aux Etats-Unis, les minorités, italiennes étaient très solidaires quand elles sont arrivées en Amérique. Ça explique une partie du différentiel. Le taux de suicide varie avec l'état du lien social dans une population, et on sait que plus ce lien se délite plus le taux de mortalité suicidaire tend à augmenter. Dans un pays avec plusieurs groupes, construit sur les communautés comme les Etats-Unis, on sait qu'un groupe minoritaire a une solidarité, un lien social plus proche que le groupe majoritaire. Ce fait est universel parce que quand on est minoritaire (moins nombreux qu'une autre population), quand on arrive quelque part, on essaye de retrouver des gens avec qui on a plus de possibilités d'échange, au niveau de la langue, des habitudes de vie...

Les bas revenus ont un risque suicidaire plus important que les hauts revenus selon certaines études. C'est lié aux revenus mais aussi à la qualité de vie, de l'habitat, de la santé globale et aussi le recours aux soins. Les bas revenus ont moins recours aux soins.  

Par ailleurs, si l'on appartient au groupe dominant, le facteur "mâle" prend encore plus de place : on est un garçon dans un groupe qui valorise la domination des "mâles blancs" donc on a encore moins de facilité à se plaindre que dans des groupes différents car  la virilité est survalorisée.

Quels sont les bénéfices à parler de ses problèmes ? 

Il peut y avoir un lien avec la possession et la pratique de l'arme à feu, très liée à l'origine des Etats-Unis : la représentation du cowboy est un homme armé. La possession d'une arme augmente le risque de tuer les autres et de tuer soi-même. Le passage à l'acte au lieu de se faire avec des médicaments qui laisse une chance de s'en sortir, une tentative par arme à feu est plus souvent mortelle. On a récemment rappelé qu'il y a beaucoup de morts dans des tueries de masse, mais on a aussi un taux de suicide par arme à feu très important aux Etats-Unis.

Il faut donc une autre politique vis-à-vis des armes à feu, mais aussi une autre politique sociétale : comment peut-on s'identifier d'abord comme américain, plutôt que comme "mâle blanc américain".

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