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La nouvelle vie de Rédoine Faïd, le braqueur repenti devenu écrivain, qui va même réaliser son rêve en rencontrant Michael Mann, le réalisateur de Heat
©D.R.

Bonnes feuilles

Brendan Kemmet publie "L’évasion du siècle" aux éditions Plon. Le 1er juillet 2018, un hélicoptère s'approche de la prison de Réau. À bord, trois hommes lourdement armés. Ils viennent délivrer un " détenu particulièrement signalé ", et très médiatique : Rédoine Faïd. Extrait 2/2.

Brendan Kemmet

Brendan Kemmet

Brendan Kemmet est journaliste et travaille depuis vingt ans dans le domaine des faits divers. Il collabore notamment au Parisien Week-End, à Paris Match, GQ et Mediapart. L’Évasion du siècle est son quatrième ouvrage consacré au grand banditisme.

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L’histoire ne le dit pas. En revanche, Faïd s’est effectivement rendu le 4 juillet à la Cinémathèque, qui consacrait une rétrospective à l’Américain durant l’été 2009. Après la diffusion de Heat, il y a eu des questions de Serge Toubiana, puis du public. Les échanges ont été filmés. L’ex‑taulard en profite pour apostropher Michael Mann. En chemise blanche, très à l’aise, il est le premier à se saisir du micro dans l’assistance. Faïd décline grosso modo sa lettre, monopolisant longuement la parole. Avec le bagout qui le caractérise, il explique : « Moi, personnellement, je suis un ancien gangster » et détaille son pedigree. Toubiana l’interrompt  : « Vous m’avez écrit une lettre, une très belle lettre. » Faïd reprend, il a travaillé son intervention. Clin d’œil envers le réalisateur et punchline : « Ma femme le déteste. Elle voudrait lui demander des dommages et intérêts ! Et quand je lui ai dit avant‑hier que j’allais réaliser un rêve, c’est parce que j’allais rencontrer quelqu’un qui a fait partie de ma vie pendant vingt ans – il ne le savait pas, ce n’était pas son intention. Elle m’a dit : “C’est qui ? C’est Beyoncé ?” Je lui ai dit : “Non, c’est pas Beyoncé, c’est Michael Mann !” » Faïd déclenche rires et applaudissements dans le public, et un sourire un peu gêné du réalisateur : « Eh bien, merci pour ça ! Je ne sais pas comment réagir », répond en l’espèce Mann, déstabilisé. En couverture du futur livre de Faïd, Braqueur…, cela deviendra  : « Ce type est incroyable… – Michael Mann, réalisateur de Heat », en grosses lettres orange sur fond noir, au‑dessus d’un visage dissimulé sous une cagoule noire. D’un trou de la cagoule, seul un œil apparaît. Celui de l’ex‑voyou, sans nul doute possible.

Faïd et le cinéma, c’est une vieille histoire. Le lecteur se souvient de ses passions de jeunesse, Belmondo, Eddie Murphy, Star Wars, etc. Pour l’épouse de Rédoine, il « est un véritable cinéphile ». 

Mais il ne se contente pas que de ça. Boulimique de nouvelles expériences, l’ancien gamin de Creil veut, sans doute, rattraper le temps perdu. Il se lance dans une nouvelle aventure : l’écriture.

L’Écrivain

En octobre 2010, il publie Braqueur…, un ouvrage d’entretien avec celui qui est devenu son « ami » Jérôme Pierrat. Faïd dira qu’il était « réticent » à l’écriture de ce livre, en fait des entretiens, mais que Pierrat l’a convaincu. Il a finalement accepté, à la condition que son témoignage serve aux plus jeunes tentés par la grande délinquance.

À la dernière page, c’est un Faïd apaisé qui philosophe : — Et maintenant, tu es heureux ? — Je suis très heureux. Les plaisirs que tu t’offres avec l’argent des bracos sont très éphémères. La plus belle des aventures n’est pas encore terminée. Elle avait juste subi un fâcheux contretemps…

En réalité, le feu couvait.

À l’occasion de la sortie du livre, nous rencontrons Rédoine Faïd pour France-Soir dans un café de la place de la République, en face de son travail. Il commande un jus d’orange pressé. Il est détendu et développe un discours très construit sur la vie de voyou, la prison, la réinsertion. 

« Quand tu mets les pieds dans ce milieu, t’as deux perspectives : la mort ou la prison. Si tu arrives en prison, t’es un miraculé », lance‑t‑il avec conviction. Il se décrit comme « un gosse de banlieue qui joue au bac à sable et qui finit en braqueur de fourgon ». Il aligne les phrases inspirées : « Quand tu as fait dix ans de prison, tu aspires à la tranquillité, à l’oubli. » Ou encore : « Je ne suis pas un repenti : je ne crache pas dans la soupe, mais je ne suis pas là pour faire l’apologie des voyous. Si un jeune recule parce qu’il a lu mon livre, alors je suis heureux. » Le message est clair : « Je n’ai pas de haine contre la société. » Il est passé à autre chose. « J’ai eu trente ans de délinquance, dix ans de prison, j’ai frôlé la mort. Ma vie d’avant ne me manque pas ! » Avec une rare lucidité, il termine : « La réinsertion, c’est difficile, c’est un combat, une vigilance de chaque instant. »

Voilà Rédoine Faïd demandé sur tous les plateaux. Il enchaîne télés et radios, se pliant à l’exercice de l’interview avec une certaine délectation. « La médiatisation n’était pas calculée. Ça m’est tombé dessus, avouera‑t‑il. J’ai fait des connaissances dans le monde du cinéma… » L’expert psy qui l’examine résume encore : « Il est sollicité, demandé, courtisé… C’est l’époque du “Grand Journal” de  Canal+, du “Spécial Investigation” (“Caïds des cités, le nouveau grand banditisme”), des interviews sur LCI. » Rédoine n’a pas détesté cette période : « Mon ego était flatté. Je me disais : “Tiens ! On peut y arriver… On va te tendre la main.” J’étais surpris, étonné, c’était agréable ! »

Pourtant, la sortie du livre ne fait pas que des heureux dans le « milieu ». Un membre de la Dream Team, ce redoutable gang de braqueurs de fourgons et dépôts de fonds, parlera d’un « mythomane ». Parce que, dans Braqueur…, Faïd raconte des surveillances autour d’un centre‑fort, menées simultanément par deux bandes de malfaiteurs qui avaient le même projet. L’épisode est bien réel et s’est déroulé à Vert‑le‑Grand en Essonne, mais le braqueur de Creil n’y aurait pas participé, selon ce qu’un voyou nous a confié. 

Antonio Ferrara, lui, fera plus tard passer le message à Faïd qu’il ne souhaite pas qu’il continue de parler de lui… L’auteur de Braqueur…, dans son bouquin, a affirmé qu’il ne l’avait « jamais rencontré ». Pourtant, il parle d’un « gars » qui « s’était évadé lors d’un transfert à l’hôpital de Corbeil », ce qui est le cas de « Nino » Ferrara. Faïd dit avoir rencontré ce voyou « petit, mais bien bâti » et « intéressé par des bracos ». Il parle ensuite d’un « Italien », bien qu’il semble alors désigner un autre complice avec qui il a « fait » des fourgons. Il l’aurait ensuite initié, cet Italien, à son premier braquage, dans l’Oise. À moins qu’il ne s’agisse d’un autre Italien ? Hormis ces déclarations tardives de Faïd, rien d’autre n’atteste une quelconque collaboration entre Ferrara et Faïd. «  Jamais de la vie ! s’indigne un ancien de la BRB. À l’époque, Ferrara fait des braquages de banques, à deux. Il n’est pas encore sur des fourgons. » Il n’est en revanche pas impossible que Ferrara lui ait été présenté par une connaissance commune du 93, un certain « Amar les Beaux », de son vrai nom Amar Azzoug, assassiné bien plus tard, en 2010, sur fond de recouvrement de fonds en lien avec l’escroquerie sur la taxe carbone. 

Autre mécontent, Sophiane Hamli, dit « Toto », celui avec qui il aurait commencé les braquages de fourgon. Ce dernier n’apprécie pas vraiment que Faïd se présente comme son mentor et le mette dans la lumière, lui qui déteste ça. Et combien même il n’a pas publié son nom le désignant sous le terme de « beur du 93 ». Avec ces commentaires peu élogieux : « Je sens que le beur, ce n’est pas un professionnel, même s’il est déjà entré dans des banques. Il avait sans doute la capacité à diriger quand il était avec ses sbires dans le 93, mais là, il est simple soldat. »… Sans formellement le désigner, mais en mélangeant divers éléments biographiques, comme sa ville, Drancy, qu’il attribue à un autre comparse. 

Un avocat, interrogé pour VSD, dira sans prendre de gants que « les autres voyous ne le prenaient pas trop au sérieux » et le tenaient à distance. Il serait « trop vantard, trop soucieux de prouver son intelligence ».

La sortie du livre n’irrite pas que les voyous. Des policiers aussi, pas convaincus de la sincérité de la réinsertion du bonhomme. La PJ s’étrangle même. Les policiers l’affublent d’ailleurs d’un surnom : « l’Écrivain ». Certains vont jusqu’à imaginer que Faïd se forge là un alibi, une nouvelle respectabilité. Ils trouvent qu’il raconte avec un peu trop de complaisance ses faits d’armes passés. Ils ont aussi constaté que le trentenaire ne dispose pas de téléphone portable, une curiosité, et utilise ceux de ses collègues et de ses proches. Faïd expliquera ne pas avoir de cellulaire sur les conseils de son juge d’application des peines à Nanterre, « afin d’éviter les contacts », en particulier avec ses anciens amis, pour éviter les tenta‑ tions. « Depuis sa sortie de prison en 2009, Rédoine a tourné le dos au passé et il a été exemplaire, affirmera son frère Abdeslam. Il s’est complètement reconverti et j’en suis témoin, car je l’ai accompagné. » En famille, il est « attentionné et prévenant », témoignera son épouse, qui parle d’un « père admirable » pour son fils de 10 ans. Il allait le chercher à l’école, l’a inscrit au foot où il vient l’encourager.

Extrait du livre de Brendan Kemmet, "L’évasion du siècle, la vérité sur Rédoine Faïd", publié aux éditions Plon. 

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