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L’illusion Edouard Philippe ?
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Aimant pour la droite ?

Édouard Philippe a pu être fragilisé, n’apparaissant que comme le représentant d’un épiphénoménal ralliement de quelques élus de droite. Depuis les résultats de dimanche soir, a-t-il retrouvé toute sa place dans la majorité ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans les colonnes du Parisien, le Premier ministre est décrit au lendemain des élections européennes comme renforcé par le score de son camp à l'issue du scrutin. Mais Edouard Philippe, s'il n'est pas un repoussoir pour nombre de Français, n'est-il pas occulté aujourd'hui par la montée en puissance de l'action présidentielle ?

Christophe Boutin : Commençons par rappeler, si vous le voulez bien, que ce n'est pas Édouard Philippe - ou pas uniquement Édouard Philippe - qui est, comme vous le dites, « occulté par la montée en puissance de l'action présidentielle ». C’est depuis les débuts de la Ve République que le Premier ministre s'efface devant les choix faits par le Président de la République, qui n'a finalement jamais été véritablement cet « arbitre » qu’aimait pourtant à évoquer Charles De Gaulle, mais bien toujours le « capitaine » dirigeant le navire de l'État, pour reprendre la célèbre distinction. Certes, les choses ont pu varier dans les rapports entre les différents hommes qui incarnèrent les deux fonctions, mais à aucun moment - hormis bien sûr durant les périodes de cohabitation -, un Premier ministre n'a été en mesure d'imposer ses choix. La principale raison en est très simple : même si, avant l'instauration du quinquennat, le Premier ministre pouvait paraître plus légitime lorsqu’il était soutenu par une majorité parlementaire plus récente que la majorité présidentielle, il n’en restait pas moins que le Président conservait la possibilité de dissoudre une Assemblée nationale qui aurait soutenu, contre lui, les projets du Premier ministre… et que les parlementaires, qui savent rester très prudents, mis devant un tel choix, pouvaient voter la censure et faire chuter ce dernier. C’est ainsi que le conflit qui opposa un Georges Pompidou plutôt conservateur au projet de « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas se termina par la défaite de ce dernier – sans même d’ailleurs que la censure ait eu besoin d’être votée.

Depuis l'instauration du quinquennat plus encore, le Premier ministre est avant tout un exécutant plus ou moins zélé des décisions prises par le locataire de l'Élysée, il est, comme aimait à le rappeler cyniquement Nicolas Sarkozy en évoquant François Fillon, un « collaborateur » du Président – et pas toujours le premier. Dans ce cadre, qu'est-ce qu'être un bon Premier ministre ? C'est être capable de maintenir la cohérence d'un gouvernement qui peut comporter des personnalités issues de partis différents, aux tempéraments opposés, et qui cherchent toutes à prendre un maximum de lumière médiatique. C’est être capable ensuite de suivre l’application des réformes entreprises par des administrations qui pourraient les enterrer, et de coordonner la politique menée par les hautes administrations des différents ministères, qui se détestent cordialement et cherchent avant tout à privilégier leurs intérêts. C'est donc le Premier ministre qui doit à un moment, arbitrer, trancher, et notamment lors de la préparation du budget – aidé il est vrai par le secrétaire général du Gouvernement. En ce sens, Édouard Philippe semble avoir coché toutes les cases : il assume sa place de « brillant second » ; à aucun moment on ne l’a vu en désaccord avec les choix présidentiels ; il maintient l'ordre au sein du gouvernement - même si certains lui reprochent de favoriser ceux qui, comme lui, sont venus de la droite ; il met en œuvre, dans les délais courts imposés par le Président, les réformes voulues par ce dernier.

Voilà pour l’aspect « administratif » de la fonction. Politiquement ensuite, parce qu'il est issu de cette droite ralliée à LaREM, ou plutôt parce qu’il a fait allégeance à la personne de son chef jupitérien, il est souhaitable qu’Édouard Philippe représente l’appui d’une force réelle. Si Les Républicains avaient fait un score important lors de ces élections européennes, il aurait peut-être été légèrement fragilisé. On l'a vu, par exemple, lorsque le Président de la République a souhaité que des élus qui n'avaient pas caché leur sympathie pour sa personne, ses idées et les postes auxquels il peut nommer, mais se tenaient au milieu du gué, viennent soutenir la liste conduite par Nathalie Loiseau. Estimant que cette dernière n'apportait pas de plus-value, considérant que les critiques que l'on entendait à l'encontre du Président et de son équipe, après le mouvement des « Gilets jaunes », fragilisaient encore cette liste, les yeux rivés sur les sondages qui voyaient la liste dirigée par François-Xavier Bellamy arriver à près de 14 %, ces possibles transfuges avaient refusé de franchir le Rubicon, quand bien même leur avait-on fait miroiter un soutien de LaREM aux prochaines municipales, et avaient même pour certains ouvertement soutenu la liste de ces Républicains dont ils attendaient encore l’investiture. Alors, oui, peut-être Édouard Philippe a-t-il pu être fragilisé, n’apparaissant finalement comme un marginal, comme le représentant d’un épiphénoménal ralliement de quelques élus de droite. Mais depuis les résultats de dimanche soir, il a retrouvé toute sa place.

Si son choix pour Matignon semble avoir été guidé par la nécessité de trouver une stratégie pour tuer la droite lors des législatives de 2017, est-il réellement l'acteur de ce tournant opéré vers la droite par l'exécutif lors des derniers mois ?

On a assisté en fait, entre 2017 et 2019, à un double tournant : d’une part, le tournant de la politique menée par le Président et son gouvernement vers la droite, mais aussi un tournant des électeurs de droite  vers LaREM, et Édouard Philippe a en fait servi les deux.

Mais de quelle droite s’agit-il ? Pour simplifier, reprenons la célèbre distinction de René Rémond des trois droites françaises : la droite bonapartiste, volontiers populaire sinon populiste, la droite légitimiste, elle plutôt aristocratique et conservatrice, et la droite orléaniste, celle des possédants. Ces trois droites sont en 2019 clairement divisées. La droite bonapartiste a largement rejoint les rangs de Rassemblent national ; la droite légitimiste et conservatrice, c'est ce socle de 8 % qui a pris place aux élections européennes derrière François-Xavier Bellamy ; et la droite orléaniste est elle est partie où son intérêt l'appelait, c'est-à-dire à La République En Marche. N'ayant finalement que fort peu de valeurs traditionnelles, elle est en effet parfaitement à l'aise dans le progressisme individualiste que représente Emmanuel Macron, et n'étant pas spécifiquement nationale, et moins encore nationaliste, elle se félicite d’une mondialisation pour elle économiquement heureuse.

Comment en est-on arrivé là ? Emmanuel Macron, lorsqu'il arrive au pouvoir en 2017, tue le Parti socialiste, pris en étau entre la formation que le nouveau Président crée pour le soutenir, et, plus à gauche, la France soumise d’un Jean-Luc Mélenchon qui a fait un bon score à l'élection présidentielle. Mais son idée est de regrouper derrière lui, au centre de l’échiquier politique, sensiblement 50 % de l'électorat, pour ne laisser sur ses marges extrêmes que 25 % à droite et 25 % à gauche, bien évidemment inconciliables, et ne pouvant menacer son pouvoir. On n’en est pas là, mais comme l’essentiel est obtenu à gauche, c’est donc stratégiquement à droite qu’il lui faut s'étendre, et il utilise pour cela Édouard Philippe et les transfuges des Républicains. Par ailleurs, et, surtout, il sait qu'il va mener une politique qui ne plaira pas à la gauche et aux syndicats, une politique fiscale lourde pour les classes moyennes comme pour les classes populaires. Assez logiquement, il préfère que ce soient des ministres de droite, stratégiquement placés à Matignon et au Budget, qui endossent la responsabilité de cette politique. L'idée est que si les tensions se font trop fortes il pourra sacrifier cette aile droite et se relancer pour un acte II du quinquennat plus social et plus à gauche.

Mais la crise des « Gilets jaunes » va changer la donne. En effet, déjà séduite par un certain nombre de réformes fiscales et financières qui lui profitaient, la droite orléaniste, qui ne craint rien tant le désordre – et nous retrouvons ici ce fameux « parti de l'ordre » que l'on voit régulièrement réapparaître en France – allait parfaitement réagir aux provocations et aux répressions savamment agencées par l'équipe au pouvoir. Après avoir été effectivement un temps déstabilisé par l'ampleur des manifestations, et surpris par la violence des premières, mais comprenant combien ces scènes avaient choqué les beaux quartiers de la capitale dans lesquelles elle se déroulaient, Matignon allait en effet organiser une riposte sans faille pour rétablir l'ordre. Et en leur offrant ainsi et l’ordre – en fait un pseudo-ordre public, puisque dans le même temps la violence embrase les « territoires perdus de la République », mais enfin l’ordre au pied de ses immeubles cossus -, et des avantages financiers, la politique menée par Édouard Philippe n'a pas peu fait pour amener à la liste LaREM les suffrages orléanistes aux européennes de 2019. S’il n’est pas ici le moteur, pas plus qu’ailleurs, il aura au moins été un bon exécutant.

Avant l'élection, Edouard Philippe semblait fragilisé. À quoi tient sa place aujourd'hui à Matignon ?

Sa place tient d’abord à la perspective qu’à Emmanuel Macron de continuer à s'étendre sur sa droite, notamment lors des prochaines élections municipales. On sait que le mode de scrutin offre deux grands avantages. On peut, bien sûr, choisir de s’unir dès le premier tour, espérant prendre ainsi une telle avance que les autres listes, trop distancées, ne rattraperont pas leur retard. Mais on peut aussi choisir de partir séparés, de compter ses soutiens au premier tour, et, en fonction de leur réalité, négocier des places sur une liste commune, car on peut recomposer les listes entre les deux tours. Le mode de scrutin des municipales favorise donc les unions, mais il offre aussi un autre avantage : la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête - et s'il y a plus de deux listes en présence, avec donc moins de 50 % des suffrages exprimés.

Or actuellement l'électorat se divise en trois blocs de force à peu près égale. Un bloc de droite, d'environ un tiers des électeurs, mais avec une union impossible entre LR et le RN. Un bloc de gauche, lui aussi d'à peu près un tiers des électeurs, mais avec des tensions, d’une part entre ceux qui veulent une gauche plus sociale et ceux qui ne la veulent que sociétale, et, d’autre part, entre ceux qui veulent une gauche républicaine et laïque et ceux qui soutiennent les multiples communautarismes. Enfin, troisième bloc, le tiers central réuni derrière LaREM.

Pour gagner les municipales en étant sûr d'arriver en tête au second tour, le parti d’Emmanuel Macron devra, au cas par cas, prendre des alliés à droite ou à gauche. À gauche, ce sera chez les écologistes d’EELV, et on voit à de nombreux appels du pied que la tentative d'union est déjà engagée. Il suffira en fait de « verdir » les programmes des listes des villes importantes pour l’emporter. Mais dans d'autres villes l'alliance devra être cherchée avec cette droite dont les élus espèrent ainsi sauver leur mandat. Si Paris valait bien bien une messe, nombre de strapontins dans les conseils municipaux se négocieront à moins, et Édouard Philippe, encore lui, n’aura pas de peine à expliquer à ses anciens amis les avantages d’un ralliement.

Pourquoi donc avec tout cela changer de Premier ministre, alors que, visiblement, Emmanuel Macron, qui a bien compris que le « dégagisme » impose de ne pas reprendre des chevaux de retour, ne dispose pas d’un vivier si riche que cela  de collaborateurs de premier plan ?

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