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Comment redonner une crédibilité à la parole des policiers
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Etablir des ponts

Une cinquantaine de policiers se sont réunis à Cergy il y a quelques jours pour dénoncer la condamnation injuste de deux policiers et, plus généralement, le manque de confiance de la justice à l'égard de la BAC.

Jean-Marc Berlière

Jean-Marc Berlière

Jean-Marc Berlière est Professeur d’histoire contemporaine à l'Université de Bourgogne, spécialiste de l'histoire de la police. Ses derniers ouvrages parus sont Policiers français sous l’Occupation (Perrin, Tempus, 2009), Histoire des polices en France de l’Ancien Régime à nos jours (Nouveau Monde éditions 2011), et La Naissance de la police moderne (Perrin, Tempus, 2011).

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Atlantico : À quels facteurs est due aujourd'hui la crise de confiance entre la police et la justice ? Entre la police et les Français ?

Jean-Marc Berlière : Il faut absolument rappeler que ce conflit qui existe depuis des décennies. Pour situer les choses, quand on reprochait au préfet de police du début du XXe siècle, Louis Lépine, l'insécurité qui régnait dans Paris (abattages nocturnes etc.), il expliquait que ce n'était pas lié à la police mais à la justice : les policiers enquêtaient et arrêtaient des malfrats que les juges relâchaient ensuite. C'est donc un débat vieux de deux siècles et demi : la police a toujours eu l'impression que les juges faisaient preuve de laxisme et qu'il y avait des défauts de procédure. Du côté des policiers, le grief est clair : ils ont l'impression de ne pas être soutenus dans leur travail, qui est beaucoup plus difficile et dangereux que celui des magistrats.

Du côté de la justice, les juges reprochent aux policiers de mal ficeler leurs enquêtes et leurs procédures : procès-verbal non-signé, faits insuffisamment caractérisés, et il faut ajouter le rôle des avocats. Ce qui s'est passé pour l'anesthésiste de Besançon est un bon exemple : la juge d'application des peines a décidé l'autre jour de le remettre en liberté. Cette situation est extrêmement compliquée. Pour le ministère de la Justice et pour les magistrats, il est anormal que la police judiciaire, qui est un peu le bras armé de la Justice, soit soumise au ministère de l'Intérieur et non pas au garde des sceaux, au ministère de la Justice. C'est un débat qui traverse tout le XIXe et le XXe siècles.

Du point de vue de l'opinion, le divorce entre la police et certains Français mérite d'être nuancé. Quand il se passe quelque chose d'aussi tragique que l'affaire du Bataclan, quand des policiers comme des militaires se sacrifient pour sauver des vies, les gens applaudissent la police. D'un autre côté, il va de soi que la police, qui sert à défendre l'ordre et notamment la légalité et le gouvernement, empêche les militants opposés au gouvernement de faire ce qu'ils veulent.

Quels événements par le passé pourraient expliquer que l'entente entre la police et la justice soit aujourd'hui rendue difficile ?

Pendant tout le XXe siècle, pour l'extrême-droite, la police était au service de la "putanocratie" : c'est ainsi qu'ils désignaient la démocratie. Pour l'extrême-gauche, la police était ce qui défendait l'ordre, et comme l'ordre est nécessairement bourgeois, capitaliste et oppressif, on assimile la police à un organe de répression. Quand on regarde les périodes où l'extrême-gauche s'est retrouvée aux affaires, les quelques mois de la Commune de Paris en 1871, les communards se divisent : les uns s'emparent de la Sureté générale et les autres de la Préfecture de Police. Ce qui s'est passé en Russie en 1917, par exemple, montre que l'extrême-gauche peut faire une utilisation terrible de la police qui devient essentiellement politique, un instrument d'oppression avec des centaines de milliers et des millions de morts. On croit rêver quand on lit David Dufresne parce qu'il parle de police fasciste, en ignorant visiblement ce que pouvait être une police fasciste : à l'époque, ce n'est pas un rappel à la loi qu'on subit. Cela n'a rien à voir. Il y a des violences policières, mais aussi des violences de la part des manifestants.

Il faut imaginer la situation durant l'Occupation. Les policiers ont toujours été, avec les gendarmes, des soldats de la Loi - celle de l'État français. A l'époque, ils recevaient l'ordre d'arrêter des gens pour des délits qui n'existaient pas jusqu'alors, délits d'opinion ou de religion, et attendaient que les magistrats les mettent en route. Imaginez la situation en septembre 1944 quand ces policiers sont arrêtés, épurés, condamnés, et qu'ils se trouvent devant un magistrat qui leur reproche des actes alors que c'est lui qui avait signé les commissions rogatoires et qui les avaient mis sur ces affaires. Ils ont eu l'impression qu'il y avait deux poids deux mesures. On garde des traces dans la mémoire sociale d'évènements traumatisants, ce qui a sans doute été le cas pour la police. Il y a près de 140 000 policiers et autant de gendarmes, donc il y a forcément des ripoux : mais on ne parle que de ceux-là. Dernièrement, des policiers ont déclaré non anonymement que le métier qu'on leur faisait faire n'était pas celui qu'ils avaient choisi : protéger les citoyens etc. Il y a une part terrible de responsabilité d'un pouvoir politique qui voit dans la police un argument, presque un enjeu électoral : Sarkozy disait que les policiers n'étaient pas faits pour jouer au football avec les délinquants, mais en jouant au football dans les cités il rapprochait la population des policiers. Il y a aussi une police dont on ne parle jamais qui est la police préventive : on ne peut pas comptabiliser ce qui n'a pas lieu.

Comment, dans le contexte actuel, redonner une crédibilité à la parole et à l'action des policiers ?

Il ne s'agit pas de rapprocher la population des policiers : quand on regarde les sondages, une majorité écrasante de gens soutiennent les policiers plus que les Gilets jaunes. En revanche, le fait que les policiers soient soumis à un droit de réserve, ne puissent pas s'exprimer, se suicident parfois, est un vrai problème. Pour rétablir du lien, il faut inventer d'autres pratiques. La police britannique, dont on nous cite toujours les vertus - ce qui n'est pas forcément vrai -, a un rapport à la population établi sur des décennies de pratiques quotidiennes : ce sont toujours les mêmes "bobbies" dans les quartiers, ils deviennent des figures familières, et plus ils deviennent familiers plus on a confiance en eux. On déteste toujours ce qu'on ne connaît pas : les gens sont rapidement conquis lorsqu'ils rencontrent vraiment des policiers, parce qu'ils en avaient une image stéréotypée. Pour que les policiers et une population se connaissent, il faudrait établir des ponts, des dialogues entre les deux, ce qui n'est facile.

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