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Immobilier : l’idée folle de la mairie de Grenoble pour protéger les locataires mauvais payeurs
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Efforts contre-productifs

Alors que, depuis le 1er avril, les expulsions des locataires qui ne payent pas leur loyer sont à nouveau permises, le maire de Grenoble vient d'imposer aux propriétaires grenoblois de trouver une solution de relogement à d'éventuels mauvais payeurs.

Denis Lelièvre

Denis Lelièvre

Denis Lelièvre est avocat depuis plus de 1997, au barreau du Val d’Oise avec ses activités dominantes en droit immobilier, droit administratif et droit civil général, ainsi qu’en droit pénal.

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Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux est le président de l'Institut du Management des Services Immobiliers.

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Atlantico :  Cette solution ne va-t-elle pas, paradoxalement, contraindre les propriétaires à augmenter leurs critères de sélection et provoquer l'effet inverse ? 

Denis Lelièvre : Le maire de Grenoble vient de prendre un arrêté qui tend effectivement à ne permettre l'expulsion de locataires qu'à la condition que leur bailleur propose une solution de relogement des occupants qu'il veut faire expulser.
Le juriste ignore quelles motivations peuvent décider un bailleur à choisir tel ou tel candidat comme locataire, mais il est logique de supposer que tout nouvel obstacle dans le remplacement d'un locataire défaillant puisse faire craindre des réticences à louer spécialement à des locataires les moins rassurants quant à leur faculté de payer régulièrement le loyer convenu dans le bail.

Henry Buzy-Cazaux : Avant toute considération sur le fond de la décision du maire de Grenoble, il faut préciser le droit. D’évidence, l’arrêté qu’il s’apprête à signer sera entaché d’illégalité. Un propriétaire ou son mandataire ne peuvent faire procéder à l’expulsion d’un locataire que sur la base d’un jugement prononcé par le tribunal, qui a force exécutoire. Ce jugement est pris sur le fondement de la loi du 6 juillet 1989, aux termes de laquelle le locataire qui n’acquitte plis son loyer n’a plus de titre d’occupation et est déchu de son statut de locataire. Cette loi ne fait pas obligation de relogement au bailleur. Un arrêté municipal ne saurait contrevenir ni à une loi ni à un jugement prononcé en référence à cette loi. C’est une question de hiérarchie de norme et on comprend bien qu’il serait trop facile et dangereux qu’un élu local ait le pouvoir d’abstraire son territoire de l’autorité d’une loi de la République.

Pour autant, Éric Piolle met en lumière un problème majeur, qui ressortit à l’impératif d’humanité. Peut-on mettre quelqu’un à la rue parce qu’il n’est plus en mesure d’acquitter son loyer? On sait quels drames humains déclenche une expulsion. Le législateur n’a pas fait droit à la demande de certaines associations, qui se sont exprimées dans les années 2000, alors que les conditions économiques de notre pays se dégradaient et que le chômage explosait. Il a été préféré à une contrainte faite au propriétaire une obligation de la collectivité, en l’occurrence l’État, en créant un authentique « droit au logement opposable » (DALO). Il appartient au préfet de trouver une solution de relogement. À défaut, l’expulsion n’est pas exécutée et l’État verse au propriétaire une indemnité compensatoire. 

Alors pourquoi le maire de Grenoble veut-il dériver l’obligation de relogement vers les bailleurs? Parce que l’État n’est pas en mesure de respecter la loi et que la facture des indemnisations au profit des propriétaires qui contribuent malgré eux à la mission de service public de loger les ménages en difficulté. 

Que penser de l’obligation que veut créer le maire de Grenoble? Elle est de nature à effrayer les propriétaires, parce qu’ils n’ont absolument pas les moyens d’y satisfaire. L’humanité ne suffit pas. Comment mobiliseraient-ils les organismes HLM? Ils n’en ont absolument pas l’autorité. Ils n’ont pas non plus la connaissance de toutes les aides auxquelles les locataires en difficulté ont droit. Le maire de Grenoble semble ne pas connaitre les propriétaires et ignorer leur profil. On peut aussi anticiper en effet qu’ils durcissent leurs exigences envers les candidats locataires en pensant se préserver du risque d’impayé et de l’impératif de devoir accompagner le relogement. C’est donc une décision politique à courte vue, même si elle est inspirée par de bons sentiments. Elle est peut-être aussi teintée d’idéologie, marquée par l’a priori que les propriétaires sont tout puissants et que les locataires sont fragiles. 

Les mesures juridiques qui existent déjà ne sont-elles pas suffisantes pour protéger les locataires ?

Denis Lelièvre : En effet, le propriétaire en présence d'un locataire défaillant doit effectuer un véritable parcours du combattant avant d'obtenir une décision de justice prononçant l'expulsion de son locataire défaillant. 

En premier lieu, faire delivrer ppar un huissier de justice un commandement de payer l'arriéré locatif, avec de nombreuses mentions obligatoires et transmissions à divers organismes.
Puis on attend deux mois, délai accordé au locataire pour payer sa dette, en plus des loyers courants.
Puis on assigne le locataire devant le Tribunal d'instance du lieu du logement, mais l'audience ne peut avoir lieu que deux mois après la date de délivrance de l'assignation, en droit, mais dans les faits bien davantage encore que ces deux mois puisque les Tribunaux, surchargés, ne donnent comme date d'audience qu'un jour très lointain, parfois presque un an devant certains d'entre eux.
À moins qu'il y ait pour diverses raisons des reports d'audience, ce qui retarde encore la date de la décision, de plusieurs semaines voire mois, elle finit par être rendue : jugement au fond ou ordonnance de référé. 
Il faut alors encore attendre que la décision parvienne au bailleur, qu'il la signifie à son ancien locataire devenu dès lors occuppant sans droit ni titre.
Si le juge n'a pas accordé de délais au locataire pour apurer sa dette, délais qui peuvent aller jusqu'à trois ans, l'occupant est alors théoriquement expulsable mais seulement deux moi après la signification, par huissier là encore, de la décision d'expulsion. 
Et l'expulsion ne peut intervenir qu'avec le concours de la force publique, police ou gendarmerie.
Ce concours doit être demandé et il ne peut être accordé entre novembre et mars, durant la trêve hivernale.
C'est ce concours de la force publique que le maire de Grenoble veut conditionner à un relogement de l'occupant à expulser.
En définitive, sans même poser cette dernière condition nouvelle ajoutée à Grenoble, on constate qu'il faut de nombreux mois, voire années, pour obtenir l'expulsion effective d'un locataire qui ne paie plus ses loyers.

Henry Buzy-Cazaux : Non, les dispositifs existants ne sont pas suffisants puisque chaque année des milliers de relations locatives dysfonctionnent à cause des impayés. À moyen terme, accentuer la construction sociale sera une solution... On est plutôt sur l’autre pente et il faut y remédier d’urgence, notamment par apaisement des liens entre l’État et le monde HLM. Par ailleurs, j’attends beaucoup du rapport que Mickaël Nogal va rendre au Premier ministre dans les trois semaines qui viennent. Il a travaillé sur la sécurisation des locataires et des bailleurs. Pour ma part, je suis favorable à la généralisation règlementaire des assurances contre les impayés de loyer. Elle ne résoudrait pas tout, mais assouplirait les délais en cas d’impayé dès lors que le propriétaire percevrait effectivement ses revenus locatifs et ne pâtirait pas des incidents de paiement. Cette option donnerait aux services compétents plus de temps pour trouver une solution de relogement en amont, avant que la situation ne soit judiciarisée. En fait, les situations d’insolvabilité avérée sont des cas lourds, et l’espoir de retour à meilleure fortune du locataire est réduit à néant à ce stade. Il faut agir avant. 

 L'augmentation des contraintes légales sur les propriétaires est-elle efficace vue la situation actuelle de l'immobilier locatif ?

Denis Lelièvre : Il est difficile de répondre d'un point de vue juridique à cette question. On a pu constater que les bonnes intentions se heurtent néanmoins à la réalité du marché locatif, qui voit certains emplacements extrêmement recherchés, avec renchérissement du montant du loyer correspondant, donc accroissement du risque d'impayé un loyer plus cher.
Alors que la France périphérique continue de se vider, et les restrictions d'utilisation de l'automobile ne vont pas, au contraire, inverser ce cours.
Le problème est infiniment plus vaste que les seules contraintes pesant sur les bailleurs.

Henry Buzy-Cazaux : Très clairement, il faut cesser de multiplier les obligations des propriétaires bailleurs. Le dernier avatar est le permis de louer, conçu pour lutter contre les marchands de sommeil. Les mairies n’ont pas les moyens de contrôler les déclarations des propriétaires par manque de personnel et il est évident que ceux qui sont les premiers visés, qui louent des logements indécents à prix d’or, ne vont pas se présenter en mairie. Passons sur les mairies qui font payer les propriétaires pour déclarer leur bien... Je pense que l’équilibre juridique des relations locatives est correct. Pour l’améliorer encore, il faudrait réintroduire dans la loi la clause pénale, qui permet au bailleur d’appliquer une pénalité en cas de retard de paiement. Elle constituerait une dissuasion, même si les administrateurs de biens ou les propriétaires ne devraient l’appliquer qu’avec discernement. Elle serait le pendant de la pénalité que la loi ALUR a imposée aux bailleurs qui tardent à restituer le dépôt de garantie.  

Enfin, dans le champ fiscal, il faut revoir le sort réservé aux investisseurs. Je pense à la taxation des plus-values de cession ou encore à l’enveloppe des déficits fonciers, pour travaux notamment, déductibles du revenu global (10700€ par an) et entrainant une moindre imposition: elle n’a pas été réévaluée depuis 30 ans alors que les factures des entrepreneurs tous corps d’État ont doublé! 

Du point de vue des principes juridiques, en quoi cette décision est-elle problématique ?

Denis Lelièvre : Ce n'est pas au maire d'accorder ou non le concours de la force publique mais à l'État, Préfet ou Sous-préfet.
En prenant cet arrêté, le maire empiète sur les compétence de l'État et pose de surcroît une condition supplémentaire, prévue par aucun texte, législatif ou réglementaire, à l'octroi du concours de la force publique. 
On peut considérer ainsi qu'il y a une double violation de la loi.
Tant le préfet lui même par le mécanisme qu'on appelle le " déféré préfectoral " que tout intéressé peut attaquer cet arrêté devant le Tribunal administratif. Il est probable qu'un tel recours ait lieu et on voit mal comment cet arrêté pourrait être validé. 
Le juriste a plutôt le sentiment qu'il s'agit d'une provocation politique d'un élu local, un peu comme naguère les arrêtés qui interdisaient de mourir dans telle commune dont le cimetière, plein, ne pouvait être agrandi. Détourner le droit, et utiliser la détresse des mal logés pour faire un coup politique à un an des municipales n'est pas rendre service à ces derniers.

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