Entre réformes pour booster l’offre et relance par la demande, à quoi doit-on les bons chiffres de l'emploi aujourd’hui en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Entre réformes pour booster l’offre et relance par la demande, à quoi doit-on les bons chiffres de l'emploi aujourd’hui en France ?
©Pixabay

En même temps ?

Ce vendredi 10 mai, l'INSEE publiait les chiffres de l'emploi français pour le 1er trimestre 2019, qui affichaient une bonne tenue avec une progression de 64 000 postes, soit le meilleur chiffre depuis le dernier trimestre 2017.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Ce vendredi 10 mai, l'INSEE publiait les chiffres de l'emploi français pour le 1e trimestre 2019, qui affichaient une bonne tenue avec une progression de 64 000 postes, soit le meilleur chiffre depuis le dernier trimestre 2017. Comment comprendre ce chiffre dans un contexte qui s'approche plus d'un ralentissement en Europe ? Faut-il y voir le résultat de la politique de l'offre mise en place par Emmanuel Macron depuis deux ans, ou, s'agit de la conséquence de l'effet keynésien des baisses d'impôts et autres dépenses ? 

Philippe Crevel : Au premier trimestre 2019, l’emploi salarié du secteur privé en France, en effet, augmenté de 0,3 %, comme au trimestre précédent, soit 66 400 créations nettes d’emploi après +54 000. Sur un an,173 700 ont été créés. Sur un an, l’emploi salarié privé s’accroît de 24 900 dans la construction et de 12 400 dans l’industrie et de 127 500 dans les services.

Le ralentissement de la croissance a freiné le nombre de créations d’emplois sans pour autant les faire disparaître. Pour mémoire, en 2018, 160 300 emplois avaient été enregistrés deux fois moins qu'en 2017 (+329 600).  Depuis six mois, la situation semble s’être stabilisée.

Source : INSEE

Au sein de l’Union européenne, la France avec l’Italie, l’Espagne et la Grèce est encore confrontée avec un chômage de masse. Une dizaine d’Etats dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la République tchèque ou les Pays-Bas sont en situation de plein emploi. L’amélioration que connaît depuis deux ans la France est lente au regard des résultats obtenus par nos partenaires. Elle est imputable à la reprise de l’activité qui est intervenue en 2016 en liaison avec la baisse des taux et la chute des cours du pétrole. Le développement des activités digitales suscite des créations d’emplois dans le secteur des services. Le virage de la politique économique française en faveur de l’offre amorcé sous François Hollande a commencé à porter ses fruits à partir de 2017. La loi Macron et celle réformant le code du travail, en 2017, ont contribué à lever quelques hypothèques qui pouvaient peser les créations d’emploi. Au-delà de leurs effets réels, ces lois ont eu un impact psychologique. De leur côté, les mesures portant sur la demande favorisent en règle générale les importations et ont des conséquences modestes sur les créations d’emploi. Avec le développement du canal de distribution en ligne, la grande distribution et les commerces de proximité profitent moins que dans le passé des augmentations de la demande intérieure. Par ailleurs, les ménages, depuis la fin de l’année 2018, ont accru leur effort d’épargne et n’ont pas totalement réinjecté les gains de pouvoir d’achat générés par la diminution de l’inflation et par les mesures annoncées par le Président de la République dans les circuits de consommation

Quel est le risque de voir ce résultat comme temporaire s'il s'agissait du résultat exclusif de l'aspect "relance" de la politique économique du gouvernement ? 

La France souffre d’un mauvais positionnement de son économie trop axée vers la gamme moyenne et d’une sous-qualification de sa main d’œuvre. En privilégiant les exonérations sur les bas salaires depuis plus d’un quart de siècle, les pouvoirs publics ont favorisé le maintien d’emplois à faible valeur ajoutée. Cela conduit à des salaires faibles et à des emplois précaires. Par ailleurs, pour contourner la rigidité du droit du travail, les CDD et les emplois sous forme de prestations de services (Uber and co) se sont multipliés. En cas de ralentissement durable et fort de l’économie, ces emplois risquent de s’envoler. Il y a une chape de plomb liée aux exonérations de charges salariales qui pèse sur les revenus professionnels. Cette politique n’a pas permis de régler le problème du chômage voire elle l’alimente. En effet, les emplois à faible valeur ajoutée entrent en concurrence avec ceux des pays émergents. Les emplois des classes moyennes disparaissent cari ils sont attaqués par la digitalisation et la robotisation. Le marché du travail est de plus en plus polarisé, des emplois à faible valeur ajoutée et des emplois exigeant de fortes compétences.

En raison de l’existence de nombreuses taxes liées à la production et de contraintes administratives surtout pour les PME, le marché de l’emploi demeure en France assez rigide. Par ailleurs, de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés majeures pour recruter. La France est un pays à chômage de masse tout en ayant des postes vacants. S’il manque des spécialistes des hautes technologies pour faire face à la digitalisation, il manque aussi des volontaires pour travailler dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie, de la restauration. En Corse où la construction connaît une forte croissance, de plus  en plus d’entreprises ont du mal à pourvoir les postes disponibles. S’il y a quelques années, les travailleurs espagnols et portugais répondaient à l’appel, comme la situation dans leur pays d’origine s’est améliorée, ils ne viennent plus en France où le climat n’est pas au beau fixe. Les entreprises doivent, de ce fait, rechercher de la main d’œuvre en Roumanie, en Bulgarie ou en Albanie. L’économie française est bridée dans son essor par le refus de certains ou de certaines d’occuper des emplois jugés difficiles et peu valorisants.

Par conséquent, comment évaluer la durabilité de cette bonne situation de l'emploi pour les prochains trimestres ? 

L’évolution des créations d’emploi dépend de celle de la croissance. Dans les années 80 et 90, compte tenu de l’augmentation de la population active et de la structure de l’économie, il fallait une croissance de 2 % pour améliorer la situation de l’emploi. Actuellement, un taux de 1,2 % suffit. L’augmentation de la population active est plus faible et la tertiarisation de l’économie a pour conséquence une plus grande sensibilité de l’emploi aux variations de la croissance. En 2019, la croissance devrait permettre le maintien d’un volant correct de créations d’emploi autorisant une baisse faible mais réelle du taux de chômage. Néanmoins, en cas de durcissement de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, ce scénario pourrait être remis en cause.

La France devrait rester à la traîne en matière d’emploi. Aux Etats-Unis, le taux de chômage est de 3,6 %. Il est de 3,2 % en Allemagne et de 3,8 % au Royaume-Uni contre 8,9 % en France.

Au-delà de la situation conjoncturelle, pour maintenir un volant élevé de créations d’emploi, les autorités devront mener une action structurelle tant pour relever le niveau de la formation initiale que celle des actifs à travers la formation continue. L’écart entre le niveau de vie procuré par les prestations sociales et celui généré par les revenus d’activité devra être augmenté.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !