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Tous centenaires demain : 600 milliards de dollars, le montant du marché du siècle
©Reuters

Biotech

Selon les analystes de la Bank of America, l'une des plus grandes opportunités d'investissement au cours de la prochaine décennie sera dans les entreprises qui s'efforceront de repousser l'espérance de vie au-delà de 100 ans.

Jean-Roland Moreau

Jean-Roland Moreau

Jean-Roland Moreau est biophysicien et inspecteur général des Affaires sociales. 

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Atlantico.fr : Investir et spéculer à la hausse de l'espérance de vie humaine, notamment par la mise au point de remèdes ou de traitements pour certaines graves maladies, peut-il constituer un business viable ?

Jean-Roland Moreau : Lorsqu'on aborde la question de l'espérance de vie, on ne peut manquer de rappeler qu'au cours du XXème siècle, l'espérance de vie a presque doublé en France  pour atteindre, en 2018, 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes. Mais il faut aussi souligner que cette croissance tend à  ralentir depuis trois ans en raison de l'augmentation du tabagisme des femmes, des épidémies de grippe et des  régimes alimentaires trop riches en sucres et en graisses. 

Au cours des trente dernières années, l'augmentation importante de l'espérance de vie est liée en grande partie aux progrès spectaculaires de  l'imagerie médicale et des traitements dans le domaine des maladies cardiovasculaires. En cancérologie, en revanche, les progrès sont plus lents , ce qui explique que le cancer soit aujourd'hui la première cause de mortalité. 

Les universités, les instituts de recherche publics, les laboratoires pharmaceutiques, les GAFA  (Google, Facebook) investissent des sommes considérables dans la recherche contre les maladies graves et en particulier contre le cancer. Des résultats encourageants commencent à être observés en oncologie par l'utilisation de molécules plus ciblées qui agissent à un niveau précis du processus tumoral  et épargnent les tissus sains. L'immunothérapie et la génomique sont en plein essor et les nouvelles molécules visent à traiter les cancers non plus en fonction de l'organe concerné mais en fonction des spécificités biologiques et génétiques des tumeurs.

Comme vous le soulignez, les enjeux financiers sont considérables à plusieurs niveaux. Le coût des recherches et des nouveaux  traitements sont extrêmement élevés (des dizaines de milliers d'euros par patient) . Par ailleurs, les cours des actions en bourse des entreprises de l'industrie pharmaceutique sont très influencés par les succès et les échecs des essais thérapeutiques des nouvelles molécules  mises au point après des années de recherche. Pour l'industrie pharmaceutique et les investisseurs, spéculer à la hausse de l'espérance de vie par la guérison des maladies graves est très rentable en cas de succès de nouvelles molécules, mais il s'agit d'un investissement à  risque . Statistiquement en effet, les réussites sont moins fréquentes que les échecs...

D'un point de vue médical et bioéthique, quelle est la différence entre le business de l'amortalité et celui de l'immortalité ?

Avec les recherches sur l'immortalité, on quitte le champs de la recherche sur le traitement des maladies graves pour entrer dans celui d'une médecine de la longévité génétiquement programmée. Dans une ou deux décennies, nous verrons apparaître aux Etats -Unis des hommes et des femmes âgés de 150 ans. Ils seront passés chez les médecins- ingénieurs du génie génétique pour un lifting de leur ADN .Il ne s'agit pas de science -fiction, mais de l'application chez les êtres humains  de nombreux travaux expérimentaux qui multiplient par quatre ou cinq la durée de vie animale.

Cette perspective remet profondément  en cause notre conception de la médecine qui n'aura plus seulement pour objet de soigner, de prévenir et de soulager. La médecine  permettra désormais à des hommes et à des femmes qui en feront la demande d'accéder à un âge de plus en plus élevé .... jusqu'à l'immortalité. 

On utilise de plus en plus le néologisme d'amortalité pour définir un allongement radical de la durée de vie sans vieillissement  et pour signifier qu'un amortel peut mourir d'un traumatisme violent , à la différence d'un être immortel qui relève de la métaphysique. 

Il faut le dire sans détour, toutes ces recherches frénétiques dans lesquelles s'impliquent des milliers de scientifiques dans le monde n'ont qu'un objectif : l'enjeu financier. Dans quelques années, la seule condition requise pour bénéficier d'une tranche de vie supplémentaire sera tout simplement de l'acheter. Cela coûtera cher,  puisque la demande sera très élevée et la clientèle très fortunée. Le business de la recherche sur l'amortalité sera donc, à terme, extrêmement rentable  à l'inverse d'autres recherches telles que de nouveaux traitements contre le paludisme qui ne peuvent être financées par les pays concernés et qui , de ce fait , ne progressent guère...

D'un point de vue éthique et médical, on peut admettre que les gains, souvent considérables, engendrés par la découverte de traitements efficaces contre les maladies graves sont parfaitement légitimes puisque cela s'inscrit dans le cadre des principes immuables de la médecine depuis Hippocrate. En revanche, les milliards de dollars investis dans la recherche sur l'amortalité  ne devraient pas bénéficier de fonds publics puisqu'il s'agit de répondre à des demandes, pour ne pas dire des caprices, de milliardaires californiens

Quels sont les risques présentés par cette course économique aux innovations technologique et médicale ?

Le principal risque des innovations technologiques dans le domaine de l'augmentation de l'espérance de vie est celui de la transposabilité à l'homme des résultats expérimentaux obtenus chez l'animal. En 2009, trois chercheurs ont obtenu le prix Nobel de médecine pour avoir isolé chez l'animal  une substance, la télomérase,  qui augmente la longévité. La grande presse a alors qualifié cette découverte "d'élixir de Jouvence". Malheureusement, des travaux ultérieurs ont montré que la télomérase était cancérogène !

Plus globalement, les risques de la course vers l'immortalité sont d'ordre éthique puisqu'elle s'inscrit dans une démarche transhumaniste , avec toutes les dérives eugéniques que cela comporte .

Au total, les analystes de la Bank of America ont raison : au cours de la prochaine décennie, les  investissements dans les entreprises  qui mènent des recherches visant à augmenter l'espérance de vie offriront de grandes opportunités à condition d'éviter de s'aventurer dans une recherche de longévité génétiquement programmée, éthiquement contestable et scientifiquement hasardeuse.

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