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La voiture de demain, secteur clé de l’investissement chinois, et fierté de Pékin
©PETER PARKS / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Pierre Corniou publie "Et la voiture du XXIe siècle sera… chinoise !" aux éditions Marie B. La Chine est en train d’inventer le futur de l’automobile et de la mobilité. Voiture électrique, auto partage, réglementations : le futur géant de l’automobile et du monde, c’est bien la Chine ! Extrait 2/2.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Pourquoi la Chine a-t-elle fait du véhicule électrique le cœur de sa stratégie automobile ? Les gouvernements occidentaux ont annoncé privilégier cet axe comme voie de sortie possible de la crise automobile de 2008. Ils l’ont fait sans bouleverser leurs constructeurs. Ceux-ci ont continué sur leur lancée à multiplier les véhicules à moteur à combustion interne, sans faire trop de zèle sur ce qui aurait pu sérieusement diminuer les consommations au nom du respect des choix du client. C’est ainsi qu’en sortie de crise les SUV, plus lourds et moins efficaces énergétiquement, se sont multipliés. 

Or, en Chine, c’est en 2011 que le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT) a défini comme objectif pour 2015 la production de 500 000 véhicules électriques et hybrides, première étape d’un plan plus ambitieux visant 5 millions de véhicules NEV en 2020. Cette annonce a laissé les observateurs sceptiques. L’industrie automobile est une industrie systémique qui implique l’alignement d’un grand nombre de composants. Développer une industrie automobile électrique de masse ne s’était jamais fait nulle part et il fallait tout inventer pour sortir de l’artisanat qui caractérisait alors les tentatives des constructeurs occidentaux. Pour que le véhicule électrique rencontre le succès auprès des clients, il faut mettre en place une chaine complète – production de batteries, design, production de véhicules fiables, réseau de bornes de recharge – pour rassurer les clients sur la robustesse de cet ensemble inconnu. Or, sept ans plus tard, la Chine a pris le leadership mondial du véhicule électrique et entend bien accentuer son avance pour devenir le pays de référence de l’industrie automobile du futur. 

C’est dire que si le défi chinois est considérable pour le pays lui-même et son devenir urbain, les solutions qui seront mises en œuvre impliquent toute la planète. Depuis longtemps, il est coutume de dire que si le taux de motorisation chinois, actuellement de 200 véhicules pour 1 000 habitants, passait au taux européen, soit 602 voitures pour 1 000 habitants, et encore plus au taux américain, 821 voitures pour 1 000 habitants, la situation serait intenable pour la production pétrolière et les émissions de CO2. La question qu’il faut désormais se poser pour le lithium, les terres rares et l’électricité est renversée : comment les autres pays pourront-ils suivre le rythme d’électrification du parc automobile chinois ?

Aux origines de la stratégie chinoise 

Tout au long du xxe siècle, l’électricité a su remplacer le charbon et le fuel dans la plupart des usages domestiques. Elle y est aussi parvenue dans les transports ferroviaires et l’industrie. Seule l’automobile, comme secteur majeur d’usage des carburants fossiles, a résisté à cette expansion constante de la sphère des usages de l’électricité. Néanmoins, les avantages de l’électricité sont patents, là comme ailleurs. La voie du tout électrique est séduisante car elle résout beaucoup de problèmes. En 2018, l’Agence Internationale de l’Énergie estime que le gain en émission de CO2 pour une voiture électrique est de 33 % par rapport à une voiture thermique. Cet apport majeur de la voiture électrique à la décarbonation du transport est un vif objet de débat, que nous tenterons de rationaliser. 

La simplification des véhicules est draconienne, l’absence de combustion d’hydrocarbures dans le véhicule supprimant toutes les contraintes techniques et d’architecture que cela impliquait. Véhicule allégé de son usine thermique embarquée, vif à conduire et disposant immédiatement de toute la puissance, totalement silencieux, sans émission à l’usage, avec un « plein électrique » de quelques euros, permettant des innovations de structure et de carrosserie, la voiture électrique est séduisante et offre un nouvel art de conduire. 

La spécificité du véhicule électrique va au-delà de l’aspect énergétique : c’est la totalité de la chaine de valeur automobile qui est remise en cause. La simplification du véhicule et l’allègement considérable de la mécanique, limitée à la base roulante, renforcent le rôle de la conception, du choix des matériaux et de l’électronique embarquée qui facilite les échanges entre le véhicule et son environnement. Les constructeurs qui auront le plus de succès seront très certainement ceux qui sauront proposer des modèles qui tirent parti des libertés de conception que permet, pour la première fois, la remise en cause de l’architecture arrêtée au début du XXe siècle. Cette logique doit également répondre aux nouveaux besoins, tels les services de mobilité partagée. Pour comprendre ce que pourrait être l’automobile du futur, le prototype roulant de voiture autonome de la société lyonnaise Navya, le Cab, illustre une des possibilités : un vaste salon de 6 places, sans volant, ni pédales, ni tableau de bord ! 

Le gouvernement a rapidement pris conscience du parti que la Chine, sans tradition automobile propre, pourrait tirer du véhicule électrique à la rencontre de trois ambitions : réduire la dépendance énergétique envers le pétrole, rendre l’atmosphère urbaine saine et respirable et développer un secteur d’excellence industrielle de classe mondiale non dépendant des technologies étrangères.

Une ambition majeure 

Lorsque la Chine lance son premier plan de développement de la voiture électrique, elle n’en fabrique pas ! Les constructeurs occidentaux non plus… Il s’agissait, pragmatiquement en 2009, de stimuler le développement du véhicule électrique en lançant un programme destiné aux flottes de véhicules publics dans dix villes « 10 Cities, 1 000 Vehicles ». Puis le programme a été étendu à 25 villes et a prévu des aides pour les véhicules privés dans cinq villes. Les administrations et les organisations publiques locales sont priées d’acheter des véhicules électriques, dont la production est totalement dispersée. En dépit du volontarisme peu négociable dont fait preuve la Chine quand elle décide de déployer une politique publique, massivement soutenue par des subventions, allant jusqu’à 19 000 $ par véhicule, la flotte de véhicules électriques chinoise n’avait atteint fin 2013 que 40 000 véhicules dont l’essentiel avait été acheté par les flottes gouvernementales, le gouvernement faisant une forte pression sur les acheteurs publics. 

Les freins étaient les mêmes qu’en Europe ou aux USA : prix, autonomie et infrastructures de recharge. Les véhicules médiocrement conçus n’étaient pas performants, les infrastructures de charge embryonnaires dans un pays urbain où les gens vivent en appartement. Le véhicule électrique chinois était deux fois plus cher que son homologue thermique et les subventions même fort généreuses ne compensaient pas. Une BYD E6 coûtait, en 2014, 180 000 yuans et ne pouvait prétendre qu’à 60 000 yuans de subvention gouvernementale, plus une subvention locale équivalente, ce qui était déjà considérable, mais insuffisant pour séduire les clients. Mais le gouvernement n’a nullement ralenti son effort. 

Les premières étapes du développement de l’industrie du véhicule électrique en Chine ont connu beaucoup de tâtonnements, comme en Europe et aux États-Unis. Mais de ce désordre chinois ont rapidement émergé quelques champions qui expliquent la vitalité de l’industrie du véhicule électrique (VE) en Chine alors que les pays occidentaux n’ont toujours pas vraiment décollé en volume fin 2018. Deux exceptions doivent être soulignées : d’une part l’Alliance, qui place ses deux modèles phares, Nissan Leaf et Renault Zoe, en tête des ventes en Europe, et Leaf 2e vente mondiale de 2018 avec 74 400 véhicules en 9 mois et Zoe 13e vente mondiale avec 29 480 véhicules. D’autre part, le précurseur Tesla avec la maîtrise de la production de son modèle 3 réussit cette année le pari du volume, livrant 154 000 voitures sur 3 trimestres. 

L’effervescence électrique du début de la décennie 2010 a été l’opportunité pour beaucoup d’entrepreneurs ambitieux comme de responsables politiques locaux de se précipiter pour obtenir des subventions publiques, attirés par la perspective d’un immense marché. La Chine dans son désir d’aller vite a exploré beaucoup de pistes qui se sont révélées inapplicables, pour l’instant. L’interchangeabilité des batteries, réhabilitation moderne du relais de poste avec les chevaux ; ce concept poussé par Better Place avait des émules en Chine, mais a échoué en son temps. Il faut néanmoins souligner que ce concept d’échange de batteries semble connaitre en 2018 une tentative de relance avec deux constructeurs, NIO et BJEV. Même les grandes entreprises publiques, comme BAIC, n’ont pas réussi à remplir leurs ambitieux objectifs de production faute de maîtrise complète du cycle de conception et de production. Alors que son objectif était de 5 000 véhicules électriques en 2011, BAIC n’a pas réussi à en produire un seul dans sa filiale BEVC, Beijing Electric Vehicle Company, créée seulement en 2009 ! Le secteur privé s’est aussi emparé de la manne électrique. BYD, alors entièrement dédiée à la fabrication de batteries pour l’industrie automobile, décide de se lancer dans le VE et rachète un petit constructeur public, Tsinchuan Automotive Company. BYD a lancé son centre de recherche sur le véhicule électrique en 2005 et mis sur le marché son premier véhicule plug-in en 2008. En 2012, BYD livre à la ville de Shenzhen une première série de 1 200 véhicules électriques à batteries, mais sans pouvoir dépasser ce marché local. Ces débuts chaotiques ont suscité l’ironie des constructeurs européens et américains. C’est à ce moment, en janvier 2011, qu’éclate d’ailleurs la fausse affaire des faux espions chinois chez Renault, la Chine étant accusée d’espionnage ce qui dans ce contexte de volonté de rattraper la technologie occidentale aurait pu paraître vraisemblable. 

En 2017, la vente des voitures à énergie nouvelle (New Energy Vehicule : NEV), qui est l’appellation choisie en Chine pour couvrir tout ce qui n’est pas véhicule thermique conventionnel (VEB : véhicule électrique à batterie, véhicule hybride, véhicule hybride rechargeable et véhicule à pile à combustible à hydrogène), a augmenté de 53 % pour atteindre 777 000 véhicules. Or ce niveau de ventes ne comprend pas 1,7 million de petits véhicules électriques de faible vitesse qui sont très populaires en Chine. C’est quatre fois plus qu’aux États-Unis.

Ce succès qui conduit la Chine à disposer de la moitié du parc mondial de véhicules électriques, de 75 % des utilitaires légers électriques et de 99 % des bus électriques, est le fruit d’une forte volonté gouvernementale qui multiplie les mesures d’incitation au développement du véhicule électrique de façon constante depuis 2010, date où les véhicules à nouvelle énergie ont été identifiés comme « industrie stratégique émergente ». La Chine privilégie sans hésitation les constructeurs chinois car pour bénéficier d’une prime il faut que la batterie soit de fabrication chinoise et réponde à des normes en matière de densité énergétique qui poussent les producteurs à innover. De fait, il n’est pas surprenant que sur les douze premiers vendeurs de véhicules électriques en Chine, les onze premiers soient chinois, le douzième étant… Tesla. Il est également normal que les fabricants de batteries chinois prennent le leadership mondial, comme CATL et BYD. 

Ces débuts chaotiques du programme électrique, qui ont poussé à un foisonnement d’initiatives et d’erreurs et privé, volontairement, les entreprises chinoises du soutien technologique de leurs partenaires occidentaux et japonais au sein des co-entreprises, ont conduit le gouvernement à réagir fortement pour discipliner le programme en repartant sur des bases saines. Le but est d’accélérer la transition du moteur à explosion vers le moteur électrique, en développant la demande et en structurant l’offre. C’est une politique de grande ampleur, cohérente et résiliente.

Retrouvez l'entretien de Jean-Pierre Corniou publié sur le site d'Atlantico à cette adresse : ICI

Extrait du livre "Et la voiture du XXIe siècle sera… chinoise !" de Jean-Pierre Corniou, publié aux éditions Marie B.

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