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Comment les Etats-Unis ont transformé 1945 et l’accusation de nazisme en arme géopolitique fatale
©AFP

Stratégie

Le 8 mai 1945, la Seconde Guerre mondiale prenait fin en Europe. La victoire des Alliés contre l'Allemagne nazie donne un prestige certain aux vainqueurs, notamment l'URSS et les Etats-Unis. Aujourd'hui encore, ce succès est remémoré comme un signe de force sur la scène mondiale.

Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Hadrien Desuin est responsable du pôle international de la fondation du Pont-Neuf et chercheur associé à GEOPRAGMA. Dernier ouvrage paru, La France atlantiste, Cerf, 2017.

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Atlantico.fr : Comment ces deux pays vont-ils utiliser leur victoire comme arme diplomatique dans les conflits et confrontations de la seconde partie du XXe siècle et du début du XXIe ?

Hadrien Desuin : Bien sûr la commémoration des victoires passées est un instrument de prestige diplomatique. Le centenaire de la fin de la Grande Guerre le 11 novembre dernier a réuni sous l'Arc de Triomphe à Paris, la plupart des grands dirigeants de ce monde autour d'Emmanuel Macron. Mais en ce qui concerne le 8 mai, il s'agit davantage d'un exercice de puissance diplomatique. Ce sont toujours les grands vainqueurs de l'Allemagne et du Japon qui siègent en permanence au Conseil de Sécurité des nations Unies avec un droit de veto. Ils restent les garants de la paix mondiale. Encore aujourd'hui, l'Allemagne et le Japon qui sont des grandes puissances économiques doivent s'y soumettre.

Pour autant, le 8 mai n'est pas férié aux Etats-Unis et son prestige est moins évident pour plusieurs raisons.  

Tout d'abord, la victoire des alliés a très rapidement laissé place à une "guerre froide" entre les vainqueurs. On l'a fait traditionnellement débuter en 1947, soit deux ans après la capitulation nazie. La réconciliation entre les pays occidentaux et l'Allemagne de l'Ouest intervient très vite pour une raison simple: la lutte contre l'impérialisme soviétique. C'est sans doute pour cela que le 6 juin est fêté avec bien plus de faste par les troupes anglo-saxonnes : les Russes n'y étaient pas puisqu'ils combattaient sur le front de l'est. Cette année encore, le contraste diplomatique sera saisissant entre le 75ème anniversaire du débarquement de Normandie dans moins d'un mois et ce 74ème anniversaire du 8 mai 1945 à Berlin.

Autre facteur important, la capitulation allemande a été signée à Berlin-Est, à la demande express de Staline, capitale libérée puis occupée par les soviétiques, le lendemain d'une première reddition allemande à Reims, d'un moindre niveau. Ceci peut expliquer pourquoi le 8 mai n'est pas toujours célébré avec la ferveur qu'on pourrait imaginer, celle de la victoire contre le nazisme. A Berlin, le nazisme a laissé place au stalinisme.

Par ailleurs, n'oublions pas que les Etats-Unis passent encore trois mois à combattre le Japon. Pour les GI's, la deuxième guerre mondiale se termine à Hiroshima et Nagazaki, pas à Berlin.

Pour ne rien arranger, les Russes fêtent la victoire le 9 mai, à cause du décalage horaire, ce qui contribue à ternir l'image d'unité entre les grands vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Les Russes sont arrivés à Berlin les premiers et commémorent "la grande guerre patriotique" avec un défilé sur la place Rouge absolument gigantesque, sans commune mesure avec les cérémonies occidentales de la veille. 

Bien sûr les Etats-Unis se souviennent du 8 mai mais ils n'ont pas cette tradition des défilés militaires géants qui frappent les esprits, au grand regret de Donald Trump.


Après la chute de l'URSS, les Etats-Unis n'ont-ils pas renouvelé leur rapport à cette guerre et utilisé l'exemple nazi comme un repoussoir et une justification contre leurs ennemis ?

Une fois la guerre froide terminée, le 8 mai aurait pu retrouver son sens. Les années 90 auraient pu sceller la réconciliation entre l'Ouest et l'Est de l'Europe. Malgré tout, fêter la victoire avec les Russes laisse un goût amer en Europe centrale et même aujourd'hui en Europe occidentale où l'on veille à prendre ses distances avec Vladimir Poutine.

Depuis 1945, les Etats-Unis ont entre temps connu de douloureuses défaites au Vietnam, en Somalie, en Irak et enfin en Afghanistan. L'aura de l'armée américaine a pâli. Il est vrai que cette victoire sur la barbarie a été utilisée comme argument pour convaincre l'opinion d'intervenir dans ces contrées. Milosevic, Saddam, Kadhafi ont été plus ou moins comparé à Hitler par médias interposés. C'est un peu le point Godwin de la guerre humanitaire. L'emploi d'armes chimiques et les massacres ethniques ont fait écho à l'horreur des camps de concentration et d'extermination. Les Etats-Unis tirent de la libération des camps une forme de responsabilité historique. S'imaginer que des camps puissent revoir le jour est une ligne rouge pour l'opinion publique américaine, légitimement frappée par leur découverte en 1945. La victoire sur les nazis a renforcé l'idée que les Etats-Unis sont la nation "exceptionnelle" et "indispensable" au bonheur de l'humanité.

Aujourd'hui, alors que la Chine et les Etats-Unis se livrent une violente guerre commerciale, Washington use a de nombreuses reprises de critiques contre la dérive totalitaire du pouvoir chinois dans ses provinces occidentales, notamment vis-à-vis des musulmans. Ce genre de déclarations n'est-elle pas symptomatique de l'utilisation de ce passé de libérateur de 1945 contre ses ennemis ? Qu'est-ce que cela dit de Washington en termes de constantes dans sa façon d'envisager ses relations publiques avec ses adversaires ?

Vous voulez sans doute faire allusion au rapport et à la lettre de parlementaires américains envoyée à Mike Pompeo au sujet des "camps de concentration de musulmans" dans la région du Xin Jiang, où les populations Ouïghoures sont particulièrement réprimées et surveillées.

Il faut bien s'entendre sur ce qu'on met derrière Washington. La diplomatie américaine est divisée entre le Congrès et la Présidence. Or les parlementaires sont beaucoup plus sensibles aux pressions des lobbies, des entreprises, des ONG, des médias, des fondations et des think-tanks. Par ailleurs, la société américaine est naturellement poussée vers la conquête économique du monde, ce qui passe par une forme de soumission chinoise. Elle est aussi poussée par sa conscience morale. A ma connaissance, la Maison-Blanche n'a pas pour le moment réagi et le département d'Etat préfère parler de "camps de rééducation".

Pour alerter les Etats-Unis, des groupes d'intérêts dans les multiples comités d'experts indépendants de l'ONU à New-York savent jouer sur la corde sensible occidentale. Parler de "camps de concentration" au Xin Jiang dans la presse américaine au lieu de "centre de détention" n'a pas du tout la même résonance. Les Chinois parlent de camps de déradicalisation. Reste à savoir ce qu'il en est exactement. Là dessus, les Chinois sont extrêmement discrets et refusent que l'Occident se mêle de ses affaires intérieures.

Le parti communiste chinois, dirigé d'une main de fer par Xi Jinping, est extrêmement méfiant à l'égard de la radicalisation islamiste dans l'ouest de son empire. Pékin voit comme une fragilité historique la menace barbare venue des steppes d'Asie centrale. Elle a toujours cherché à siniser ses confins. Pour la Chine, laisser se répandre l'islam chez elle est un péril inacceptable.   

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