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Une conférence sociale dans le vide ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Poudre de perlimpinpin ?

Lundi 6 mai se tient une grande conférence entre le gouvernement, les partenaires sociaux, les élus et les associations environnementales afin de réfléchir aux questions sur l'emploi et la transition énergétique. Une "conférence sociale" qui n'en porte pas le nom mais qui rappelle l'époque François Hollande.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico: Cette remise à la table des négociations des partenaires sociaux et des corps intermédiaires n'est-elle pas étonnante considérant le fait qu'ils ont été exclus ou oubliés des débats depuis le début du quinquennat ? Comment expliquer ce revirement ?

Yves Michaud : Ce revirement peut être vu de deux manières.

Soit c'est une manière de prolonger le grand débat en mettant en pratique le « je vous ai compris » et le « j'ai changé » (ça ne vous rappelle rien?) du Président Macron. Désormais on écoute, on consulte, on discute, on entend les Français à travers  ceux qui les expriment ou les représentent – après quand même cent heures de gesticulation présentées comme du dialogue.

Soit le pouvoir procrastine faute de savoir clairement où il va et ce qu'il va faire, avec un programme de réformes chargé, potentiellement explosif et pas arrêté dans le détail (retraites, fonction publique, constitution – rien de moins).

Je pense à vrai dire qu'il y a des deux. Le 25 avril, en prologue à sa première conférence de presse (la première!), Emmanuel Macron a fait le discours d'une heure qu'il aurait dû faire juste après son investiture, s'il avait eu réellement un projet. En réalité, il ne connaissait pas alors l'état du pays et sous-estimait la difficulté des réformes tout en se prenant pour Jupiter. Le flou de son programme de campagne m'avait franchement inquiété. Il a compris, après plusieurs semaines d'attentisme colérique, que rien n'allait et il cherche comment s'en sortir. L'étendard de la réforme reste brandi mais il ne sait quoi y inscrire. Je pense qu'il a perdu  la main et qu'il ne sait comment la reprendre. Alors le dialogue maquille la désorientation. 

Cette entreprise n'est-elle pas vouée à l'échec considérant le fait que les deux côtés (gouvernement et corps intermédiaires) sont pour partie décrédibilisés aux yeux des Français, notamment après six mois de crise sociale ? De tels acteurs sont-ils encore aptes à refonder une forme de "démocratie sociale française" ?

Je ne vois pas ce qui peut sortir de ces grandes messes. Que ce soit le Grenelle de 1968 où on achète la paix en lâchant beaucoup et très vite (ce que Macron n'a pas fait en lâchant encore plus  mais de manière tardive et graduelle), ou le Grenelle de l'environnement de 2007 où on s'entend sur le destin de la planète sans que ça change grand chose, les Grenelle en tous genres, ça ne marche pas. On cause, on cause et on attend la suite. J'ai bien peur que ce nouveau round de discussion confirme les citoyens dans l'idée que la politique, c'est fait pour parler entre gens qui passent leur vie à ça. Pour refonder la « démocratie sociale française », il faudrait qu'on sache de quoi il s'agit. Il est clair qu'on a depuis longtemps en France affaire à des hommes et femmes qui savent conquérir le pouvoir mais n'ont aucune idée pour l'exercer. Le diagnostic de Manuel Castells dans Communication et pouvoir (2009 en anglais, traduction française Maison des sciences de l'homme en 2013) est impeccable. Certains croyaient que ça avait changé avec Macron. Hélas non.

Quel pourrait alors être l'objectif caché du gouvernement derrière cette initiative (qui, d'ailleurs, fait penser aux "grandes conférences sociales" de Hollande) ? Ne s'agirait-il pas de gagner du temps jusqu'aux élections européennes ?

Si Macron était rationnel, ce dont je suis de moins en moins certain, il utiliserait effectivement cette nouvelle phase de négociation pour attendre le résultat des élections européennes qui donneront une assez bonne idée de sa crédibilité et de celle de son parti. Je pense depuis le début de la crise des Gilets jaunes que le verdict viendra le 26 mai au soir. Maintenant, il se peut que Macron ne sache tout bêtement pas quoi faire ni surtout jusqu'où il peut aller dans la suite de sa politique. En fait les Français ont élu en 2017 un Hollande bis, narcissique comme lui mais dans le genre pas petites blagues, un peu imbu de lui-même, coupé de la réalité par sa carrière de banquier, tout comme Hollande était coupé de la réalité par une vie de magouilles au sommet du PS. Hollande, tout comme Macron, ne fut pas fichu d'inaugurer son mandat par un grand discours sur son projet de société – parce qu'il n'en avait pas. Macron aura fait pareil. Ce n'est pas parce qu'on trahi son mentor qu'on n'en est pas la copie.

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