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Panique morale sur l’environnement : ces idées fausses qui polluent de plus en plus le débat politique
©Reuters

Ecologie

Sylvie Brunel publie "Toutes ces idées qui nous gâchent la vie" (JC Lattès). En exclusivité pour Atlantico, elle revient sur le discours écologique dominant et sur les idées fausses qui nuisent au débat politique.

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel, Geographe, Ecrivain, spécialiste des questions agricoles, a notamment publié "Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre" (Buchet-Chastel), grand prix du livre eco 2023. Et "Sa Majesté le Maïs" (le Rocher) parution le 14 février 2024. 

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Atlantico.fr : Dans votre livre, vous dénoncez un discours écologiste dominant déconnecté des réalités. Vous contestez en particulier une certaine tendance apocalyptique : force est de dire que quand on lit la presse aujourd'hui, les mauvaises nouvelles semblent en effet s'empiler sans discontinuer, laissant peu de place à une lecture critique ou des perspectives plus positives. Cependant, un événement selon vous vient contre cette morosité ambiante du catastrophisme écologique. Qu'est-ce qui dans la crise des Gilets jaunes vient bousculer ce pessimisme écologiste ambiant ?

Sylvie Brunel : La collapsologie, ou science du désastre, fait recette. Ce qui n’a qu’un seul effet, démobiliser : à quoi bon agir si tout est foutu ? Au lieu de nous galvaniser, tous ensemble, dans la recherche de solutions durables – ce qui a toujours été le propre de l’humanité, sinon nous ne serions pas passés d’un milliard à 7,5 milliards d’hommes en deux siècles, vivant beaucoup plus longtemps et en meilleure santé, cette vision larmoyante de l’écologie crée de la violence, de l’apartheid, des délires de mortifications individuelles et collectives, particulièrement en Europe, qui est pourtant le continent qui a le plus fait pour l’écologie. L’ère des « désastrologues », comme les appelait déjà Rabelais, ne peut qu’engendrer un vaste retour en arrière. Particulièrement sur ces questions essentielles que sont l’agriculture et l’énergie. 
Ce qui est curieux, c’est que les prédictions dramatiques, celles du Club de Rome (qui, avec The Limits to Growth, nous annonçait déjà dans les années 70 la fin du gaz et du pétrole pour le début des années 90), ou celles d’économistes convaincus à la même époque de l’imminence de la famine généralisée en Asie, ne se sont jamais produites. Au contraire : nous croulons sous les réserves énergétiques, et la faim est passé du tiers au onzième de la population mondiale dans l’intervalle. Mais cela n’empêche nullement des institutions dont le fond de commerce repose sur la dramaturgie de continuer à nous asséner leurs prédictions alarmistes, qui reposent toujours sur des projections linéaires, sans tenir compte des effets du progrès technique, de l’apparition de nouvelles ressources, d’une meilleure gestion de celles qui existent. 
Les gilets jaunes disent stop. Stop à ce délire de normes, de taxes, d’interdictions, qui ne prennent pas en compte les contraintes quotidiennes de ces classes moyennes qui ne vivent pas au cœur des mégalopoles et subissent donc au quotidien les fractures territoriales et sociales. Stop, parce que la transition énergétique s’impose quand les solutions proposées sont meilleures, mais qu’on ne l’impose pas au prix de coûts insupportables, pour l’économie toute entière comme pour les ménages, quand les techniques ne sont pas encore au point. La voiture électrique ne l’est pas. Et vouloir le tout électrique sans nucléaire une aberration. Pour l’instant. Les gilets jaunes le disent avec justesse : pour eux, la fin du mois passe avant la fin du monde, surtout quand celle-ci est juste un argument destiné à terrifier les masses.  

Dans votre essai, vous contestez notamment la pertinence des concepts d'"empreinte écologique" et de "jour du dépassement". Pourquoi ces gimmicks font-ils tant recette dès lors, et ce aussi dans une presse universitaire ou intellectuelle abondante ? 

Parce que plus personne ne prend la peine d’aller voir comment sont fabriqués les indicateurs. Le concept d’empreinte écologique est une fumisterie qui reprend le même biais méthodologique que le pasteur Malthus en 1798, quand il prétendait qu’au banquet de la terre, les pauvres ne pouvaient avoir leur place. Pas plus que Malthus n’avait anticipé ce que les progrès agronomiques allaient permettre dans l’agriculture, l’empreinte écologique ne prend en compte le progrès des techniques, qui permet de découpler la production de bien-être et la consommation de ressources. Son calcul traduit surtout une haine de l’humanité et du progrès. L’accroissement du nombre des hommes et l’élévation de leur niveau de vie dégradent mécaniquement l’empreinte écologique ! Or c’est justement quand un pays se développe qu’il trouve les solutions et les moyens pour améliorer son cadre de vie. 

La façon dont le réchauffement climatique provoque une mobilisation internationale est comparable selon vous à une "danse de la pluie". Pourquoi considérez vous donc que le GIEC, les COP, les personnalités écolos convaincues ou autres acteurs internationaux influents de l'écologie font les choses à l'envers ?

Que la terre se réchauffe est une réalité, même si les variations locales, sur le même territoire, peuvent être colossales (entre villes et campagnes, ubacs et adrets, périodes de l’année, jours et nuits, zones boisées et zones ouvertes…). Considérer le changement climatique comme un drame en revanche, en considérant qu’il y aurait un optimum (lequel ? Aujourd’hui ? Il y a cinquante ans ? Dans cinquante ans ?), me paraît une erreur, surtout lorsque l’on voit à quel point il réjouit les pays des hautes latitudes. Dans les années 70, c’était le refroidissement annoncé de la terre qui paniquait. Qu’il faille mieux utiliser les ressources, en créer d’autres, ce qui suppose une coopération internationale accrue, préparer les territoires aux incertitudes à venir et à l’accumulation des hommes sur des espaces vulnérables, comme les littoraux, est une nécessité, d’autant que le CO2  présent dans l’atmosphère va y rester un siècle. Mais cela s’appelle l’adaptation, et les financements qui lui sont alloués sont très faibles comparé à tout ce qui relève de l’atténuation. C’est l’atténuation, la danse de la pluie. Elle s’apparente surtout à une guerre des technologies vertes (alors que la coopération s’imposerait si le véritable mobile était vraiment d’agir pour la planète), et à une course aux financements par la culpabilisation à outrance. Sans la moindre certitude que tous ces efforts ruineux aboutissent à quoi que ce soit, car nous n’avons aucune idée des besoins des générations futures, ces fameux « tiers absents », au nom desquels les prophètes de l’écologie, sans jamais rien se refuser pour eux-mêmes, pourrissent la vie des classes moyennes qui viennent enfin de s’arracher à la pauvreté.  

Vous vous en prenez aussi à l'idée de décroissance énergétique. Notre façon de consommer de l'énergie n'est-elle cependant pas excessive ou inadaptée, malgré de bonnes évolutions ? Ne doit-on pas prendre compte de l'aspect limité de certaines ressources sur notre planète ?

Sobriété énergétique, meilleure utilisation des ressources, découplage, on est d’accord. Mais ne donnons pas de leçon sans fournir les techniques qui vont avec à ces populations qui émergent enfin de la pauvreté ! Ne parlons pas de décroissance à des gens qui souffraient hier encore de la faim, qui voyaient leurs enfants mourir de maladies aisément combattables, qui accèdent enfin au confort et à la mobilité ! Ne sacrifions pas au nom de maux futurs et incertains l’aspiration à vivre mieux des pauvres d’aujourd’hui ! L’écologie ne doit pas être la cerise sur le gâteau des nantis, mais un effort collectif et solidaire pour avoir accès et gérer des ressources qui restent virtuelles tant qu’on ne maîtrise pas les techniques pour les mobiliser. Il n’y a pas de « ressource limitée », pas de « gâteau » à se partager, mais un processus infini de création de ressources, qui suppose l’éducation et la coopération.  

Autre idée très en vogue que vous battez en brêche l'obsession animale de notre temps qui pousse certains écologistes de présenter l'homme comme l'ennemi de la nature. Là encore, les chiffres présentés semblent souvent alarmants, ne trouvez-vous pas ?

De quelle nature parlons-nous ? Quand on parle de la biodiversité, ce mot-valise, nous pouvons y mettre tout ce que nous voulons. Les grands mammifères considérés comme nobles, mais aussi les virus, les bactéries, les parasites, qui peuvent être les pires choses pour l’humanité. Notre vision de la nature est une construction sociale, qui ne cesse d’évoluer (exemple : les zones humides, hier craintes pour leur insalubrité et asséchées, aujourd’hui vénérées), nos paysages sont des héritages, produits par des siècles d’occupation et d’intervention humaines.  Que faut-il préserver ? Les écosystèmes ne cessent d’évoluer. Certains prétendus défenseurs de la nature se permettent des stratégies de « triage » entre bonnes et mauvaises espèces (celles qualifiées d’invasives) qui passent par de véritables massacres, et par la sanctuarisation – vitrification - de territoires de plus en plus étendus, au détriment des populations qui y vivent et les ont précisément façonnés. 

En jeu, il y a aussi l'idée que l'agriculture telle qu'on l'a pratiquée jusqu'à l'arrivée du bio et du véganisme était nécessairement barbare. En quoi met-on en danger les fondements mêmes de l'agriculture en agissant ainsi ?

Hier l’humanité mourrait de faim et vivait brièvement. Et puis les révolutions vertes sont arrivées et ont permis de mieux utiliser les territoires, de vaincre les famines, de nourrir des hommes de plus en plus nombreux, qui vivaient de plus en plus longtemps, et qui pouvaient se consacrer à autre chose qu’à gratter la terre en guettant les caprices du ciel. Mais nous avons tellement oublié la peur de manquer que nous préconisons le retour à des modes de production qui supposent plus de main d’œuvre dans les campagnes (alors que le monde est de plus en plus urbain et que l’agriculture peine à recruter !), des productions plus coûteuses, plus incertaines. Quand ceux qui souffrent de la faim sont précisément ceux qui n’ont pas de pouvoir d’achat et pas les techniques pour vaincre les aléas de la nature ! Le bio, le végétal, les circuits courts, la permaculture, pourquoi pas ? Mais pas en stigmatisant cette agriculture performante et innovante qui nous nourrit en toute sécurité sans cesser de faire évoluer ses méthodes pour répondre à nos attentes ! Sans agriculteur, un pays meurt. Sans paysans performants, c’est l’embroussaillement, la friche, l’incendie. Libre à chacun de se nourrir comme il le souhaite. Mais le prix de la nourriture reste une donnée fondamentale. Quand à bannir l’élevage, n’oublions pas que la moitié de la superficie agricole de notre pays est composée de prairies, de bocages et d’alpages soigneusement entretenus par des éleveurs soucieux de la santé de leurs bêtes, et que c’est justement ce qui fait la beauté, les emplois et la gastronomie de notre pays ! 

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