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Lendemains de 1er mai, le malaise français a de beaux jours devant lui
©Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Crise sociale

Malgré leurs efforts, les syndicats ne sont pas plus parvenus que les politiques, les Black blocs ou même les ébauches de listes Gilets jaunes, à capter le trouble social qui étreint le pays.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le gouvernement faisait état de risques importants de violences pour ce 1er mai. Elles ont été évitées, et ce sans blessés graves, aurait-il enfin trouvé un mode de contrôle efficace ?

Christophe Boutin : Risques de violence, effectivement, car il faut se souvenir que le 1er  Mai 2018 plus de mille « Black blocs » avaient perturbé la manifestation syndicale en saccageant son parcours, et que depuis novembre, quelques manifestations parisiennes des « Gilets jaunes » ont elles aussi donné lieu à des actions violentes de semblables groupes de casseurs. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avait donc annoncé pour ce 1er mai 2019, sur la base de 115.000 manifestants pour la France et de 25 à 35.000 à Paris, la présence possible de « 1.000 à 2.000 activistes radicaux, possiblement renforcés par des individus venus de l’étranger », et la menace supplémentaire de « plusieurs milliers » de ce que ses services nomment maintenant les « ultrajaunes », ces « Gilets jaunes » qui se seraient radicalisés au fil des défilés.

La réponse du pouvoir à cette menace a été adaptée et variée. Avec, d’abord 7.400 policiers et gendarmes mobilisés à Paris, et comme nouveautés tactiques l’utilisation des drones d’observation et le renforcement de la mobilité des équipes motocyclistes. Avec ensuite un blocage relatif des zones : une trentaine de stations de métro fermées, comme plusieurs stations du RER et plusieurs lignes de bus ; interdiction du stationnement des véhicules sur l’ensemble de l’itinéraire, ou de la circulation des véhicules à moteur à proximité de l’Élysée ; fermeture des commerces présents sur le parcours. Et l’on retrouvait en province, comme maintenant pour chaque « Acte » hebdomadaire des « Gilets jaunes » l’interdiction des manifestations dans les secteurs des centres villes de Lyon, Caen – à part la manifestation syndicale -, Bordeaux, Rennes ou Toulouse par exemple.

Il eut ensuite des contrôles plus que renforcés des manifestants potentiels. Action symbolique, trois Espagnols, se réclamant des Blacks blocs selon la police, ont été interpellés au cours de la nuit du 30 avril au 1er mai pour détention d’armes par destination (bonbonnes de gaz, bidons d'essence et marteaux). Mais il y eut surtout cette remarquable multiplication des contrôles préalables des individus, y compris en province, sur les quais d’embarquement des gares, avec fouille à Paris des sacs et des bagages, et contrôle encore des véhicules immatriculés en province ou à l’étranger. En milieu d’après-midi on comptait ainsi à Paris 15.306 contrôles préventifs et 330 interpellations, avec 210 gardes à vue.

Effectivement, il y eut comme prévu des heurts avec des éléments violents de type Black blocs, et ce à deux moments. Au début du cortège d’abord, ce qui a conduit à des actions des forces de l’ordre pour les disperser - le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, pris entre les deux, devant même un temps quitter le cortège qui se formait. De petits groupes épars s’en sont pris ensuite à un commissariat du 13e, puis, en fin de journée, une école du même quartier. Et l’on retrouva un peu de violence en fin de parcours, à proximité de la place d'Italie, avec projectiles lancés sur les forces de l’ordre, incendie de motos et attaque d’une un agence bancaire par des manifestants habillés de noir, contre lesquels les CRS utilisèrent canon à eau, grenades désencerclantes et gaz lacrymogène. Su le tard s’ajouta une tentative d’intrusion à l’hôpital de La Pitié Salpêtrière vite contenue. On relèvera aussi que les manifestations ont été calmes en province : à Besançon 2 à 300 « Gilets jaunes » ont tenté de s'introduire dans le commissariat ; à Toulouse certains groupes ont tenté de pénétrer dans le périmètre interdit par la préfecture ; et à Lyon il y a eu des tensions entre les forces de sécurité et un petit groupe de Black blocs.

Violences donc, mais rien en tout cas de cette violence que l’on a pu connaître l’an dernier ou dans quelques manifestations récentes. Au vu de ces évènements somme toute limités on pourrait même être conduit à penser que le dispositif engagé était excessif, mais ce serait oublier qu’il a sans doute été dissuasif par sa cohérence même – qui, certes ajoute une journée de plus de lourde mobilisation pour des forces de sécurité sur-employées. On a assisté ce 1er mai à un usage largement préventif de la force – même si certains manifestants, bloqués sans en comprendre les raisons par des forces de sécurité qui tentaient de résoudre le cas de petites équipes mobiles de casseurs ont eu en fin de journée l’impression de voir revenir la tactique des souricières. Et à un usage modéré de la force – on ne déplore ainsi pas de blessés graves – ce qui conduit à deux hypothèses : soit, et il est permis de l’espérer, le ministère de l’Intérieur revient sur l’usage d’armes causant des blessures d’une extrême gravité ; soit il ne souhaite pas en user lorsque les syndicats sont à la manœuvre et lors d’une journée aussi symbolique que le 1er mai.

Justement, ce 1er mai 2019, qui devait voir défiler ensemble des groupes qui, il y a six mois, se regardaient sans se comprendre, a-t-il été une journée syndicale, un « Acte » des « Gilets jaunes » ou une « troisième voie » entre les deux ?

Syndicats et « Gilets jaunes » allaient en effet se retrouver pour ce 1er mai qui devait entamer selon certains de ses promoteurs, une « semaine jaune ». Les syndicats avaient lancé un appel national, signé par la CGT, FO, FSU, Solidaires, l’UNL et l’UNEF, auquel se sont notamment associés le Parti communiste et La France insoumise, mais, comme le notait Jean-Luc Mélenchon, « ce qu'il y a de nouveau cette année ce n'est pas la violence, c'était déjà le cas l'année dernière, ce qui est nouveau c'est la jonction entre le mouvement ouvrier traditionnel syndical et le mouvement spontané, insurrectionnel des 'Gilets jaunes' ».

Est-ce un succès ? Selon le ministère de l'Intérieur, la mobilisation nationale rassemblait 164.500 manifestants (il en avait recensé 143.500 l’an passé), dont 28.000 à Paris, et les préfectures comptabilisaient les manifestants de Bordeaux (6.000), Grenoble (4.200), Montpellier (2.400), Strasbourg (1.600), Toulouse (20.000, mais… selon la CGT,), Nantes (5.000), Lille (1.500), Marseille (5.500). Mais selon la CGT ce sont 310.000 personnes auraient manifesté dans près de 250 rassemblements répartis sur le territoire national, et l’on évoquera ici le cabinet Occurrence, généralement assez fiable, mandaté par des médias, qui a comptabilisé lui 40.000 manifestants pour la seule capitale…

Quant à la répartition entre syndicats « rouges » et « Gilets jaunes », élément important de cette manifestation de cohésion, elle est très variable en volume : 1.300 « Gilets jaunes » sur les 6.000 manifestants de Bordeaux et 1.200 sur les 5.500 de Marseille, soit un peu plus de 20%, mais près de la moitié des 4.000 manifestants de Nantes ou des 1.000 manifestants d’Albi. Et les rapports entre les deux groupes, ensuite, n’ont pas toujours été faciles. C’était le cas à Nantes, où les syndicats organisateurs se sont bien entendus avec les « Gilets jaunes », mais à Lyon par exemple il y eut des tensions entre syndicats et « Gilets jaunes » sur la première place à avoir du cortège – avec la question sensible de la banderole qui l’ouvre -, une tension qui, sans rappeler les débuts du mouvement, quand les syndicalistes étaient conviés à quitter les manifestations des « Gilets jaunes » ou à y participer sans signes distinctifs, traduisaient l’agacement de ces derniers, qui estiment être plus présents que les syndicats dans les rues depuis des mois pour lutter contre les réformes d’Emmanuel Macron. La CGT a ici accepté de passer au second rang, comme à Montpellier, quand à Toulouse, plus ancrée à gauche de la gauche, les différentes organisations syndicales marchaient en tête. On le voir, rien de vraiment concerté, une sorte de rapport de force local.

Reste la question de la tonalité donnée à la manifestation. Or force est de constater ici que l’on est resté largement, ce 1er mai 2019, sur les slogans traditionnels de la Fête du Travail. S’il y a eu « jaunisse » des manifestants, on retrouvait cependant plus des revendications sociales, touchant par exemple aux services publics, qu’appelant à la démission pure et simple d’un Président que l’on serait « venu chercher ».  La « semaine jaune » qui débute ainsi pourrait donc bien signifier un peu plus l’intégration des « Gilets jaunes » qui manifestent encore dans la logique, sinon partisane, au moins syndicale, de la gauche, avec son cortège de négociations où ils ne seront que les faire-valoir – s’ils sont présents – des représentants des centrales syndicales, autrement habitués à ces dernières.

C’est peut-être pourquoi, pour continuer à exister en tant que force indépendante, certaines factions de l’ensemble « Gilets jaunes » évoquent la nécessité, sans oublier pour autant les autres modes d’action, de revenir sur les ronds-points de la France périphérique. Il n’est cependant pas certain qu’ils retrouveront alors les manifestants de novembre, dont une part aura mal vécu la dérive du mouvement, avec son incapacité à bâtir une stratégie, ses luttes d’egos entre ses représentants plus ou moins auto-désignés, puis sa récupération par la gauche de la gauche.

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