Et maintenant que l’atterrissage du Grand Débat est derrière nous, place aux Européennes : les 4 enjeux prioritaires de l’Union<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Et maintenant que l’atterrissage du Grand Débat est derrière nous, place aux Européennes : les 4 enjeux prioritaires de l’Union
©Reuters

Européennes

Les annonces d'Emmanuel Macron ont définitivement lancé la campagne des Européennes : voici les sujets les plus brûlants jusqu'au 26 mai.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »
Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les quatre principaux dossiers prioritaires pour l'Union européenne dans les prochaines années dont doivent absolument s'emparer nos candidats français à l'élection européenne pour ne pas passer à côté des grands enjeux de demain?  

Edouard Husson : 

Une profonde réforme de la pratique des institutions européennes

On a, au fond, deux positions qui s’affrontent dans le débat français: le Frexit, dont la version la plus affirmée est celle de François Asselineau; et la défense du statu quo. Les deux positions, prises telles quelles, sont intenables. Pas la peine d’insister sur le maintien de l’existant. Les Français n’en veulent pas: la crise des Gilets Jaunes n’est que l’expression ultime d’un profond refus de la prise de décisions très éloignée par des gens qui ne doivent jamais vous rendre des comptes. En revanche, il est plus intéressant de s’interroger sur les multiples variantes d’euroscepticisme français. Elles sont insuffisamment crédibles parce que la France n’a pas fait la preuve qu’elle joue le jeu des institutions européennes. Nous ne respectons pas les critères de déficit; mais ce n’est pas seulement Maastricht qui est en cause: par exemple, le coût annuel de l’échec scolaire, celui de l’empilement des structures administratives (on ne supprime jamais les couches antérieures quand on en crée d’autres), celui d’une fonction publique territoriale proliférante ou celui de l’immigration clandestine sont énormes. Avant de pouvoir mettre en cause avec crédibilité une politique monétaire effectivement absurde dans ses principes, il faudrait commencer par bien gérer nos affaires. D’une manière générale, c’est notre manque de sérieux qui nous joue d’énormes tours en Europe. Les Français députés européens ne sont pas assidus. Rien ne nous empêcherait de demander au parlement français d’exercer un contrôle très strict de la subsidiarité, une révision régulière des directives européennes. Il nous faut aussi apprendre à faire plus de lobbying, et mieux; apprendre à placer des Français aux postes importants de l’administration européenne. C’est un état d’esprit, dont nos députés européens pourraient être le fer de lance. 

Une reprise en main des frontières de l’UE

Je ne sous-estime pas les prérogatives du Parlement européen, qui restent limitées par des traités sur lesquels Commission et gouvernements nationaux ont énormément pesé. Mais nos députés pourraient incarner un nouvel état d’esprit. Le Parlement a voté tant de textes progressistes. Et l’on se dit que les députés LR devraient se rendre compte de la chance qu’ils auront de siéger dans une assemblée où il y aura beaucoup plus de vrais conservateurs et de défenseurs des intérêts de la nation comme entité fondamentale et impossible à contourner de l’UE. L’Union Européenne ne peut plus se permettre d’être le jouet d’intérêts extra-européens poussant à l’immigration continue et souvent clandestine vers nos frontières, que ce soit les manipulations d’un Erdogan qui veut se venger de ce que USA et Europe le tiennent de plus en plus à distance, le cynisme de nos grandes entreprises, la connivence entre les ONG et les passeurs, le prosélytisme des  pays mulsulmans ou bien tout simplement le désir d’individus astucieux d’exploiter au maximum les failles de nos dispositifs de libre circulation et de protection sociale etc....Le Président de la République a parlé d’une refondation de l’espace Schengen à quelques-uns. Mais on ne voit pas trop selon quels critères. C’est du bon sens que de remarquer que les pays les plus stricts en matière d’immigration sont les pays “périphériques”, par où les migrants ont tâché d’arriver: Europe centrale, Italie en particulier. Il y a au contraire un noyau de mollesse progressiste au coeur du vieux marché commun: France, Allemagne, Benelux. Il faut faire appliquer Schengen et, si les résultats ne sont pas probants, rétablir le contrôle à nos frontières nationales.

La politique commerciale

Maurice Allais, prix Nobel d’économie, a, pendant des années, insisté sur l’effet terrible de l’absence de tarifs protecteurs aux frontières de l’UE. Nous avons créé l’entité la plus ouverte du monde, avec une grande hypocrisie de l’Allemagne, au coeur du dispositif, qui se protège par bien des normes tout en faisant du libre-échange avec la Chine un point fondamental de sa propre politique économique: la vente de voitures et de machines-outils allemandes à l’Empire du Milieu étant essentielle pour la croissance allemande. Tout cela doit changer. Là encore, le Parlement européen n’a pas une influence illimitée. Néanmoins, les Français députés européens devraient agir de concert avec l’Assemblée Nationale et le Sénat pour mettre sous pression notre gouvernement et le forcer à défendre des positions protectionnistes au Conseil Européen. En fait, on rejoint la question de la libre circulation des personnes: de même que nous devons être libres de choisir une immigration qualifiée ou humanitaire, nous devons être à même de réguler le flux de produits fabriqués hors d’Europe. Nous avons le troisième plus vaste marché intérieur de la planète après la Chine et l’Inde, devant les Etats-Unis ! Nous devrions tout faire pour nous appuyer sur la consommation européenne.

La souveraineté numérique

Ce n’est pas, contrairement à ce que l’on croit habituellement, un sujet à traiter seulement au niveau européen. La souveraineté numérique touche à des intérêts de défense et de sécurité qui resteront forcément nationaux. Les investissements éducatifs, absolument vitaux pour “l’alphabétisation numérique” de nos sociétés, resteront des investissements d’abord nationaux. Néanmoins, il y a une partie du sujet qui est d’intérêt européen. La création de normes est la première étape, fondatrice. Le financement de la recherche dans le secteur de l’informatique, des données, doit être coordonné et favorisé à l’échelle de l’UE. La maîtrise et le traitement des données générées par les Européens, particuliers et entreprises est absolument essentiel: cela va du stockage des données, sur le sol européen jusqu’à notre capacité à contrôler les GAFA et les BATX. Le partage des données touchant à la sécurité de nos pays est essentiel pour chacun des membres de l’Union Européenne. Mentionnons aussi la création d’un environnement favorable à l’émergence d’entreprises innovantes dans le secteur, non pas pour créer des “GAFA européens”, ce qui n’a pas grand sens au moment où, aux USA, on commence à réfléchir à leur démantèlement mais pour disposer de ces ETI européennes qui feront la force du secteur. Cela implique la capacité à nous protéger de la puissance des entreprises américaines, chinoises ou indiennes qui émergent dans le secteur. 

C’est volontairement que je n’ai mis ni la politique étrangère et de défense  ni la politique environnementale. Plus nous allons avancer plus il deviendra évident que la défense et la diplomatie sont et doivent rester des prérogatives nationales: la france est beaucoup plus proche de la Grande-Bretagne que de l’UE sur ce sujet. Quant à l’environnement, il est temps de sortir des grandes déclarations de principes avec des objectifs planistes dignes de la grande époque soviétique. Il faut encourager une écologie des territoires, appuyée sur de nouveaux modèles économiques et des entreprises innovant au niveau local. 

Thibault Muzergues : 

De la Politique agricole commune (qui intéresse en particulier notre monde rural), si importante pour assurer notre indépendance alimentaire aux fonds structurels qui permettent d’aligner les conditions de vie partout dans l’Union – tous les dossiers sont « cruciaux », et varient en fonction de l’interlocuteur. Mais puisqu’il faut faire un choix, je prendrais 4 dossiers de fond, probablement pas les plus importants à court-terme, mais qui nous définiront dans les dix, voire vingt prochaines années.

Les frontières et l’immigration

Même si le sujet est moins urgent aujourd’hui qu’il y a quatre ans, il est crucial pour l’avenir de l’Union. Avec Schengen, nos États-nations ont accepté de supprimer les frontières intérieures – un vrai bonus économique, en particulier pour le développement des anciennes zones frontalières, qui sont nombreuses dans une union à 27/28. Le problème, c’est que cette disparition des frontières intérieures n’a pas été suivie d’un renforcement adéquat des frontières extérieures, qui est pourtant le premier marqueur de la souveraineté.

Or, l’Union est aujourd’hui confronté à des conflits majeurs à toutes ces frontières – au Sud, les migrations de masse (un phénomène de long-terme au vu de l’expansion démographique exponentielle dans le Sahel et en Asie centrale, deux écosystèmes qui ne peuvent soutenir une telle augmentation de la population) ont un potentiel déstabilisateur évident pour nos sociétés – nous en avons eu la preuve lors de la grande crise de 2015. A l’Est, le comportement de la Russie et, dans une moindre mesure, de la Turquie, nous rappelle que tous les dirigeants du monde ne sont pas acquis à une stabilité des frontières, et il est aujourd’hui temps de défendre la nôtre. Ce qui est intéressant ici c’est que très souvent, eurosceptiques et fédéralistes, peuvent tomber d’accord: les seconds pour fédéraliser une compétence régalienne, les premiers pour défendre leur frontière et une civilisation dont beaucoup comprennent qu’elle est commune à tous les États-membres. Un accord est donc possible, encore faudrait-il sortir des petits jeux politiciens nationaux...

Les divisions internes à l’Union

Justement, ces petits jeux nationaux sont véritablement en train de tuer l’Union à petit feu. On pourra certes railler le nationalisme des populistes italiens ou hongrois, mais les « vertueux » partis pro-européens ne sont parfois pas en reste – comme en témoigne la phrase malheureuse de Nathalie Loiseau en début de campagne, lorsqu’elle clamait que l’argent du contribuable français devait être utilisé pour réaliser la transition énergétique en France et pas pour construire des autoroutes en Slovaquie (autoroutes dont le pays, un allié clé de la France en Europe centrale, a cruellement besoin pour son développement – je vous laisse imaginer la réaction à Bratislava). Tous les grands ensembles, même ceux plus cohérents que l’Union européennes,connaissent des divisions bien sûr, la polarisation des récentes campagnes électorales en Inde et aux États-Unis en témoigne… Mais en Europe, les divisions sont géographiques, et correspondent trop souvent à des divisions beaucoup plus profondes, parfois avec un fond religieux ou ethnique : ainsi, les pays du Nord (regroupés autour d’un club « hanséatique » dont le nom à lui seul veut tout dire), riches, vainqueurs de la mondialisation, de culture germanique et gagnés à une éthique « protestante » du travail, sont en conflit larvé depuis la crise de 2008 avec ceux du Sud, souvent latins, qui eux ont payé le prix fort de la crise et sont aujourd’hui poussés à la banqueroute sans aucun espoir de sortie de crise. De l’autre côté, la division Est-Ouest, avant tout économique, est en train de se doubler d’un conflit identitaire sur la nature de l’Europe, les uns rejetant le Christianisme, les autres les Lumières comme facteur constitutif de l’identité européennes (on pourrait leur répondre non seulement que les deux forment, avec l’héritage antique, notre identité, mais qu’ils sont également étroitement liés l’un à l’autre). Bien sûr, les sociétés de chaque Etat-membre sont elles-mêmes divisées sur ces sujets, mais le fonctionnement de l’Union et le potentiel dévastateur de ces divisions font craindre une polarisation et une confrontation bien plus violente que ce que nous avons vu jusqu’à présent.

La place de l’Europe dans le monde

Un autre aspect crucial pour l’ensemble du continent est la place qu’elle occupera dans le monde dans dix ans. Dire que l’Europe n’est plus le centre du monde, c’est une évidence – et ce au moins depuis 1945, si ce n’est depuis 1918. Mais la réalité, c’est qu’aujourd’hui notre continent perd du terrain chaque année face à des grands ensembles, notamment asiatiques, qui voient aujourd’hui de plus en plus comme le continent comme nous voyions la Chine à l’époque coloniale, à savoir comme un juteux gâteau à se partager. C’est là le risque principal pour l’Europe : que les divisions dont je parlais à l’instant se transforment en instruments du démantèlement (voire de l’assujettissement) par des puissances étrangères. Le problème aujourd’hui, c’est que notre continent ne sait pas où il va : une partie des Européens sont tentés par une « continentalisation » de l’Union (à savoir privilégier les relations avec la Chine et la Russie, au prix de concessions territoriales ou de transferts de technologies), tandis que d’autres restent convaincus que la relation transatlantique reste la meilleure garantie de sécurité et de prospérité pour l’Europe (c’est mon cas, et force est de constater que l’Histoire de ces 60 dernières années plaident en notre faveur – ce qui n’empêche pas le doute de s’installer à la longue, et en particulier lorsque l’Allié américain demande des garanties plus solides de l’engagement européen dans sa propre défense). L’Europe doit résoudre ce dilemme et avancer collectivement pour éviter de se retrouver comme la Chine l’a été au XIXe Siècle, divisée et humiliée.

La place de la France en Europe

Le dernier sujet-clé est hexagonal, mais non moins important – quelle place notre pays doit-il occuper dans cette Union européenne ? On connait la puissance de blocage de notre pays dans l’Union : la France a réussi à saborder un grand nombre d’initiatives fédéralistes en Europe depuis 1945, de la Communauté européenne de Défense (CED) en 1954 à la (certes mauvaise) constitution européenne en 2005. Mais le vrai pouvoir dans l’Europe, c’est celui de faire avancer les choses. Or, la France manque cruellement de stratégie pour avancer sa vision de l’Europe, comme en témoigne l’isolement spectaculaire d’Emmanuel Macron deux ans à peine après son élection. Le Président n’est pas le seul en faute ici : notre pays, qui n’a pas la culture du « coalition-building », refuse de jouer collectif en Europe, et se retrouve piégé dans une relation franco-allemande certes puissante, mais insuffisante pour faire avancer les choses (sans compter que nous sommes aujourd’hui clairement le « Junior Partner » dans ce couple). Nous ne sommes plus en 1799, et parler d’Europe ne revient pas à vanter les mérites de la Grande nation et des (petites) Républiques sœurs. Si la France veut garder son influence, elle doit faire l’effort de parler à tous ses partenaires – y compris dans les petites nations d’Europe centrale ou du Sud, ne serait-ce que pour équilibrer sa relation avec l’Allemagne. Emmanuel Macron a prouvé que la France ne pouvait plus se permettre de jouer solo, il lui reste encore trois ans pour commencer à prouver qu’elle peut jouer collectif, dans l’intérêt des Européens.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !