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Pourquoi la moralisation et la vertu n’intéressent que moyennement les électeurs de ceux qui en font profession
©LUDOVIC MARIN / AFP

J’ai tiré sur le fil de la morale et tout le macronisme est venu ?

près la polémique Nathalie Loiseau, ou la question des violences pointées par l'ONU concernant la répression du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement être en prise avec une remise en question morale, alors même que le gouvernement prône une forme de vertu en politique.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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David Nguyen

David Nguyen

David Nguyen est directeur conseil en communication au Département Opinion et Stratégies d'Entreprise de l'Ifop depuis 2017. Il a été conseiller en cabinet ministériel "discours et prospective" au ministère du Travail (2016-2017) et au ministère de l'Economie (2015-2016). David Nguyen a également occupé la fonction de consultant en communication chez Global Conseil (2012-2015). Il est diplômé de Sciences-Po Paris. 
 
Twitter : David Nguyen
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Atlantico : Après la polémique Nathalie Loiseau, ou la question des violences pointées par l'ONU concernant la répression du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement être en prise avec une remise en question morale, alors même que le gouvernement prône une forme de vertu en politique. Mais si le gouvernement semble embarrassé, ne peut-on pas voir une tendance d'indifférence de l'électorat à l'égard de telles questions morales ? 

Eric Deschavanne : Il faudrait distinguer l'électorat et l'opinion. L'opinion n'est pas indifférente aux questions morales puisque c'est elle qui les impose dans le débat public. Il suffit de considérer les réseaux sociaux : on assiste au conflit permanent des indignations sur à peu près tous les sujets. La vivacité, voire la violence des échanges tient au fait que, quel que soit l'objet de la discussion, celle-ci est réduite à la dimension de la lutte pour le triomphe du Bien contre l'empire du Mal. Cela tient à un fait de nature anthropologique : la conscience morale est la chose la mieux partagée du mondeien. Rien n'est plus simple que d'énoncer un jugement moral, cela n'exige aucune compétence particulière; le doute n'est pas de mise en matière de morale, et l'ignorance ne constitue pas un obstacle au jugement.
Les passions morales ne déterminent toutefois pas le comportement de l'électorat, lequel tend naturellement à se soucier de l'efficacité des politiques conduites. La contradiction entre l'opinion et l'électorat n'est en un certain sens qu'apparente: l'inefficacité des gouvernants est imputée à leur mauvaise volonté, leur manque de vertu, leur égoïsme, leurs trahisons, etc., de sorte que l'interprétation morale de l'action politique et l'évaluation politique de ses résultats coexistent sans problème. Le paradoxe de la "moralisation" du débat politique est que tout le monde est perdant :  l'opinion impose l'exigence de moralisation aux politiques, qui jouent le jeu par démagogie et par tactique tout en sachant que ce n'est pas la vertu qui conditionne l'échec ou la réussite politique. Ce jeu de dupes condamne le peuple à ne pas comprendre ce qui lui arrive sur le plan politique et les politiques à se voir  chacun leur tour cloués au pilori au nom de la morale.
David Nguyen : Parler d’indifférence des électeurs vis-à-vis de la morale est excessif. Il est certain néanmoins que ces derniers font des arbitrages qui peuvent faire passer la moralité au second plan au moment du vote. Nous l’avons vu pendant la campagne présidentielle de 2017 : l’affaire Fillon a été un coup dur pour la droite mais n’a pas empêché le candidat Les Républicains de dépasser malgré tout la barre des 20% au premier tour. De même, l’affaire dévoilée par Médiapart concernant la présence il y a 35 ans de Nathalie Loiseau sur une liste étudiante accueillant des candidats d’extrême droite, n’a pas eu d’influence à ce stade sur les intentions de vote pour LREM (+ 1 point en une semaine dans l’EuroRolling de l’Ifop). Néanmoins, si les conséquences immédiates d’une affaire ne sont pas toujours visibles sur les scores électoraux, les écarts vis-à-vis de la morale alimentent la défiance des Français à l’encontre des responsables politiques. Le dégagisme se nourrit du « tous pourris », des affaires, des mensonges. Il serait donc très dangereux de parier sur une indifférence de l’opinion à propos de la moralité en politique.

Cette situation n'est-elle pas le révélateur que l'électorat d'Emmanuel Macron n'a jamais réellement cru à cette revendication de vertu, de morale, ou de transparence ? S'agit-il simplement d'un faux semblant assumé ? 

Eric Deschavanne : J'espère bien, pour lui et pour nous, qu'Emmanuel Macron n'a jamais cru à la politique de la vertu ou à la "moralisation de la vie politique". En revanche, il en a fait un thème de mobilisation lors du lancement de son mouvement, puis durant la campagne électorale. Il n'y a pas de doute que ceux qui l'ont suivi y ont cru. Durant l'affaire Richard Ferrand, par exemple, nombre de marcheurs ne comprenaient pas pourquoi Macron ne coupait pas cette "branche pourrie", eu égard aux critères de moralisation qu'il affichait. En tant que nouveau venu dans la politique, Macron pouvait jouer à fond la carte de la vertu, mais, pour lui comme pour les autres, il s'agit d'une arme qui se retourne rapidement. Le thème de la "moralisation de la vie politique" est un argument de tactique politique à utiliser avec modération et à manier avec prudence, spécialement dans une démocratie hypermédiatisée.
David NguyenNon au contraire, je pense que la rhétorique de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, sa promesse de faire de la politique autrement, notamment en la moralisant a été entendue et a suscité de l’adhésion. Un espoir prudent certainement, mais un espoir malgré tout. Alors que la mode était au dégagisme, ce thème était nécessairement porteur. C’est ce qui a conduit Régis Debray à parler de moment « néo-protestant » pour qualifier l’élection du candidat d’En Marche. Depuis, il y a peut-être eu une désillusion, d’ailleurs davantage en lien avec l’affaire Benalla que l’affaire Nathalie Loiseau, mais cela ne veut pas dire que l’électorat LREM, comme l’ensemble de la société française, n’attende plus des élus qu’ils soient exemplaires et honnêtes. Les marcheurs considèrent certainement que LREM reste la meilleure offre politique à leurs yeux et mérite donc leur vote pour les européennes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de la déception sur le plan de l’incarnation morale.

L'important est-il en ce sens de prétendre à la vertu , ou à l'instar d'un Donald Trump, de se servir de cette approche comme un contre-levier électoral ? 

Eric Deschavanne : Bienpensants et populistes prétendent pareillement à la vertu. Pour les uns comme pour les autres, l'adveraire est l'incarnation du diable. Les bienpensants dénoncent  les fake news et l'indifférence à la vérité, la xénophobie, le racisme, le racisme, le sexisme, l'homophobie, etc.; les populistes dénoncent la trahison et la corruption des élites, leur indifférence aux malheurs du peuple. Trump et les populistes jouent de manière perverse, par tactique et démagogie, sur le renversement des stigmates : puisque que les méchants, les "élites pourries" font la morale au bon peuple, la transgression devient paradoxalement la marque d'appartenance au camp du Bien. 
L'impérialisme de l'indignation morale est ce qui caractérise les deux pôles, et ce qui caractérise le débat politique contemporain où s'impose ce nouveau clivage. Le clivage droite/gauche était à la fois politique, moral et culturel, voire scientifique. Les débats pouvaient prendre appui sur des traditions intellectuelles et morales bien ancrées, lesquelles permettaient de donner au moins une apparence d'objectivité et de vérité aux arguments échangés. Désormais, l'argumentation est réduite à sa plus simple expression : l'adversaire est d'emblée diabolisé. Ce règne des passions morales explique le renouveau de la virulence des débats, voire le retour de la violence en politique. La lutte politique revêt plus que jamais l'aspect du combat de la haine et du mépris : on ne peut que haïr ou mépriser ceux qui s'opposent à vous parce qu'ils ont fait le choix du Mal; on ne peut que haïr ceux qui vous méprisent et mépriser ceux qui vous haïssent. L'enfer démocratique est pavé de (plus ou moins) bonnes indignations.
David Nguyen : L’important est d’aligner le plus possible ses actes sur ses paroles. Donald Trump réussit effectivement à faire oublier ses propres affaires en dénonçant soit un harcèlement médiatique, soit l’hypocrisie de ses adversaires qu’il juge tout aussi corrompus que lui, mais c’est une politique de la terre brulée, qui clive toujours plus la société et alimente in fine l’idée du tous pourris. A la fin tout le monde perd. Bien sûr, les électeurs de Trump préfèrent sa corruption assumée à l’hypocrisie moralisatrice de certains démocrates. Mais est-ce que cela signifie qu’il faille abandonner la morale en politique ? Il doit quand même être possible de tenir un discours moral, sans donner le sentiment d’être au-dessus des autres…

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