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 5 milliards de baisse d’impôts : mais quelle répartition pour les 15 millions de Français censés en bénéficier ?
©FRED TANNEAU / AFP

Petite baisse pour tous ou grosse baisse pour quelques uns ?

"Baisser les impôts des classes moyennes" a été un élément structurel des annonces formulées par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 25 avril. Pour ce faire, le gouvernement a choisi de baisse l’impôt sur le revenu des Français. Dans un rapport publié par l’OCDE en ce mois d’avril 2019, les classes moyennes formeraient 61% de la population du pays alors que la DGFIP indiquait, en 2016, que l’IR touchait 42% de la population, et ce, de façon très progressive.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : En quoi la structure de l’impôt sur le revenu (IR) pourrait mal se prêter à une « baisse des impôts sur les classes moyennes » ?

Michel Ruimy : A l’heure où les contribuables commencent à remplir leur déclaration d’impôts 2019, Emmanuel Macron a annoncé une baisse d’impôt sur le revenu à destination des classes moyennes.

Première embûche et elle est de taille. Il n’existe pas de définition officielle des « classes moyennes », qui est un concept multiforme. Intuitivement, ce concept traduit la volonté de dépasser une vision binaire de la Société entre dominants et dominés, la France d’en haut et celle d’en bas, entre les prolétaires et les capitalistes.

Dans une conception restrictive, les classes moyennes se définissent par leur niveau de vie. Plusieurs définitions ont été proposées. L’Observatoire des inégalités considère, par exemple, qu’elles se situent au-dessus des 30 % les plus pauvres et en-dessous des 20 % les plus aisés. Un certain nombre de travaux incluent des populations des tranches supérieures, parfois parmi les 10 % les plus aisés car, au sein de ces populations, les écarts de revenus sont considérables.

Dans une conception plus large, les classes moyennes sont des catégories qui regroupent les professions situées à un niveau social intermédiaire entre les catégories supérieures et populaires. Le cœur de ces classes est constitué par les « professions intermédiaires » (techniciens, agents de maîtrise, instituteurs…). A cet ensemble, il convient ajouter une partie des employés et des ouvriers les plus qualifiés, des cadres supérieurs (notamment ceux qui débutent).

Enfin, à l’intérieur même des classes moyennes, les niveaux de revenus et de diplôme, les modes de vie incitent à distinguer, du point de vue des revenus, les classes moyennes dites « inférieures » des classes moyennes dites « supérieures ».

Concrètement, l’INSEE classe, dans la classe moyenne, toutes les personnes dont le revenu disponible mensuel- autrement dit l’ensemble des revenus, prestations sociales comprises - est situé entre 1 350 euros et 2 487 euros (chiffres portant sur l’année 2016). Une distinction est effectuée entre les classes moyennes dites inférieures, entre 1 350 euros et 1 906 euros par mois, et les classes moyennes supérieures, entre 1 906 euros et 2 487 euros par mois.

Seconde embûche. Ces valeurs limites sont discutables car il s’agit de revenus après impôts et prestations sociales et non uniquement les revenus perçus.

Enfin, concernant la « justice fiscale », qui est au cœur des doléances des « Gilets jaunes », il faut rappeler que l’IR n’était acquitté que par 42 % des foyers fiscaux en 2016, une proportion en constante diminution. Si son principe de la progressivité reste incontesté (son taux est plus élevé pour les revenus supérieurs), la question de son universalité est toujours d’actualité. Une faiblesse qui a d’ailleurs été compensée par la création de la contribution sociale généralisée (CSG), une sorte de deuxième impôt sur le revenu, mais qui lui n’est pas progressif. Finalement, cette mesure n’est pas une avancée significative.

Bruno Le Maire a indiqué que cette baisse profiterait à 15 millions de foyers fiscaux, ce qui semble donner un indice sur la méthode. Quelles pourraient être les méthodes employées par le gouvernement d’une baisse annoncée de 5 milliards d’euros sur 15 millions de foyers fiscaux (soit une moyenne de 333 euros par foyer fiscal) ?

En 2017, la France comptait environ 38 millions de foyers fiscaux :16,5 millions de foyers imposables (42 %du total) et 21,5 millions de non imposables.En estimant que 15 millions de foyers fiscaux bénéficieraient d’une baisse d’IR, ceci signifie donc que pratiquement tout le monde en bénéficierait !

La solution qui permettrait d’arriver à satisfaire le plus grand nombre est de recourir au mécanisme de la décote et d’envisager son relèvement. Les 5 milliards d’euros de baisse d’impôt pourraient être mis en place à l’intérieur de la deuxième tranche (de 9 964 euros à 27 519 euros) pour laquelle s’applique un taux à 14%. Afin d’adoucir l’entrée des contribuables dans le bas du barème de l’IR, deux nouvelles tranches de 5 % et de 10 % pourraient être créées.

A titre d’illustration, le mécanisme de la décote en 2019 ne peut se déclencher que jusqu’à un montant limite d’imposition pour un célibataire de 1 595 euros d’impôt, ce qui représente des revenus nets imposables de 14 610 euros. Cette réforme viserait à atteindre, pour le célibataire, une annulation de son impôt jusqu’à la limite de la tranche supérieure de son impôt à 14 %. Après calcul, la décote serait donc augmentée d’environ 15 %.

Actuellement, ce dispositif de décote est envisagé à hauteur de 4,5 milliards d’euros pour 2019. La réforme le ferait donc « bondir » à 5 milliards d’euros pour 2020.

Cette mesure est peu connue des contribuables. La plupart de ceux qui en bénéficient ne le savent même pas car l’administration fiscale l’applique automatiquement. L’impact sur l’opinion publique sera donc faible. Toutefois, outre le fait de faire preuve de pédagogie pour convaincre les Français qu’il s’agit bien d’un geste en faveur du pouvoir d’achat, le gouvernement pourra compter sur le prélèvement à la source pour le rendre visible, à partir de janvier 2020.

Des classes moyennes qui ne payent pas l’impôt sur le revenu aux classes supérieures qui se « vivent » comme étant des classes moyennes en raison de leurs dépenses contraintes, quels sont les risques de voir cette réforme engendrer des « déçus » ?

En fait, la décote présente l’avantage de ne pas toucher au barème lui-même et à ses tranches. Autrement dit, elle permet de ne pas faire varier à la baisse le nombre d’assujettis tout en faisant pourtant « sortir », en pratique, encore davantage de contribuables de l’IR. De plus, même si mécaniquement, elles profiteraient à l’ensemble des contribuables imposables, les classes populaires et moyennes en seraient les premières bénéficiaires. Enfin, aucun contribuable non-imposable aujourd’hui n’entrerait dans l’impôt pour autant, le seuil d’entrée dans l’impôt restant inchangé, à 9 964 euros par an.

On voit donc que cette technique ne frustrerait personne et présenterait même des avantages pour le gouvernement en dépit de la baisse des recettes fiscales.

Si le gouvernement veut baisser l’IR pour les classes moyennes les plus modestes, il n’a pas d’autre choix que d’augmenter la décote. En effet, comme le relève l’INSEE, la baisse des taux du barème crée mécaniquement plus de « pauvres » sans, pour autant, être sûr que cette mesure n’aboutisse au même résultat (baisse de l’IR pour les classes les plus modestes). En effet, pour 2016, le revenu médian en France s’établissait à environ 21500 euros. Il était donc inférieur au « revenu fiscal » de 26791 euros pour la limite supérieure de la tranche à 14% (27 519 euros pour 2019). Tout allègement du fardeau fiscal sur cette tranche aboutirait à impacter à la hausse du revenu médian et donc à faire augmenter le taux de pauvreté. Il devrait s’en suivre mécaniquement un réajustement à la hausse des minima sociaux indexés sur ce même revenu.

De manière plus large, cette mesure éloigne également un peu plus la perspective d’un élargissement progressif de la base de l’IR, pourtant souhaitable si l’on veut parvenir à imposer 1 euro issu des revenus de remplacement ou de la solidarité comme1 euro issu du travail c’est-à-dire un renforcement de la citoyenneté fiscale.

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