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Les annonces (supposées) d’Emmanuel Macron peuvent-elles produire l’effet waouh recherché sur le pouvoir d’achat des Français
©LUDOVIC MARIN / AFP

Fin du Grand débat

Dans sa brève allocution hier, Emmanuel Macron n'a pas abordé la question des mesures que le gouvernement comptait prendre à la sortie du Grand débat (pourtant, une partie d'entre elles ont fuité)

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Si une nouvelle date de l'allocution présidentielle, initialement prévue pour le 15 avril, n'a pas encore été fixée - suite au report lié à l'incendie de la cathédrale - le contenu de certaines propositions d'Emmanuel Macron ont pu être révélées par RTL (baisse des impôts sur les classes moyennes, allongement de la durée du travail, indexation des petites retraites, ou encore la suppression de l'ENA). Ces mesures -supposées- sont elles en mesure de provoquer l'effet escompté ?

Philippe Crevel : Après l’incendie de la cathédrale de Paris, il faut rendre hommage au Président de la République d’avoir décaler son intervention. C’est une belle reconnaissance des origines chrétiennes de la France en pleine semaine Sainte. Cette tragédie devrait amener la population et les dirigeants à réfléchir sur ce qui est le fondement de la Communauté. Au fil des années, l’Etat a tenté d’imposé son dogme sur fond de laïcité et de prestations. Il est peut être nécessaire aujourd’hui d’admettre qu’un pays ne se limite pas à son administration, à ses impôts et à ses aides sociales.

La décision de reconstruire Notre Dame dans les délais les plus brefs pourrait être bien plus importante que celles prévues dans le plan de sortie du Grand Débat. En effet, ce chantier pourra mobiliser de nombreux Français à travers la reconstruction d’un lieu de culte, symbole de Paris et de la France.

A priori, le Président devrait tenter de réformer les institutions en diminuant le nombre de parlementaires et en facilitant l’organisation de référendum. Il essaie d’imposer ce qu’il n’a pas réussi à faire accepter par les sénateurs depuis 2017. La suppression de l’ENA est une mesure symbolique de nature populiste. Il faudra bien former les cadres futurs de l’Etat. Il y aura des concours, des formations adaptées. La réindexation des petites pensions était demandée par plusieurs partis. La barre des 2000 euros s’appliquera-t-elle au niveau des couples, par personne ? Les revenus du patrimoine seront-ils pris en compte ou pas ? Mesure simple à application complexe. Par ailleurs, cela crée deux catégories de retraités avec des effets de seuil. Pour les mesures concernant l’impôt sur le revenu, l’allègement du taux d’entrée qui est de 14 % aidera les ménages qui étaient tout juste imposables. La diminution des niches fiscales alourdira le poids de cet impôt pour les 10 % des ménages les plus aisés qui en paie 70 %. Pour l’allègement du coût du travail et peut être la libéralisation du temps de travail, il faudra avoir les dispositifs complets avant de se prononcer. Le plus simple serait de revenir à 39 heures en lieu de raffiner à l’infini.

Michel Ruimy : Sur la base du contenu des mesures qui ont fuité, les pistes envisagées par Emmanuel Macron - un inventaire « à la Prévert » - sont d’abord institutionnellespuis, dans une moindre mesure, économiques et sociales. Il souhaiterait répondre à une triple crise : crise de la représentation, crise de l’efficacité et crise de la justice.
Sur la représentation, le ressentiment des Français envers leurs dirigeants a été retenu par l’exécutif comme l’un des principaux enseignements du grand débat. Plusieurs projets d’Emmanuel Macron viseraient à y répondre tout en faisant avancer sa réforme institutionnelle, suspendue depuis la mi-2018. Celle-ci introduirait une dose de proportionnelle dans l’élection des députés, dont le pourcentage exact reste à préciser. Il envisagerait de proposerla facilitation du Référendum d’Initiative Partagée, l’introduction de Referenda d’Initiative Populaire - une revendication clé des Gilets Jaunes - circonscrits aux sujets locaux et une assemblée citoyenne de 300 personnes tirées au sortchargée de travailler sur les moyens « concrets » de la transition écologique. 
Au plan de l’efficacité, est également entrevuele gel des fermetures d’écoles ou d’hôpitaux pour répondre à l’injustice territoriale. Le chef de l’Etat entend lancer un nouveau chantier de décentralisation. Le transfert de nouvelles compétences aux collectivités devrait s’accompagner d’un transfert de nouvelles « responsabilités », notamment financières. Il souhaiterait assurer la présence des services publics, notamment avec plus d’agents de l’Etat sur le terrain avec davantage de responsabilités et moins de fonctionnaires à Paris pour écrire des normes ou créer des règles.Enfin, le gadget sur lequel tout le monde va s’énerver : le chef de l’Etat est favorable à un changement de la formation, de la sélection, des carrières en supprimant, en particulier, l’ENA et de l’ENM, et en voulant donner aux jeunes leurs chances en fonction uniquement de leur mérite et pas de leur origine sociale ou familiale. Pourquoi pas supprimer aussi Polytechnique, l’Ecole Normale Supérieure, les Mines de Paris, les Ponts et Chaussées… pour définitivement tordre le cou à l’élitisme ?!

Au plan de la justice fiscale, pour faire face à l’« exaspération », la baisse de l’impôt sur le revenu des classes moyennes, la création d’une tranche supplémentaire pour que l’entrée dans l’impôt soit « moins douloureuse », la ré-indexation des retraites les plus faibles (moins de 2 000 euros) sur l’inflation et la garantie des pensions alimentaires, la pérennisation de la prime exceptionnelle de 1 000 euros défiscalisée et sans cotisations sociales décidée fin décembre 2018seraient annoncées.
Ces mesures seraient financées d’une part par une baisse de la dépense publique. Ensuite, le président demanderait aux Français de travailler plus. Diverses hypothèses sont avancées : suppression de jours fériés, recul de l’âge de départ à la retraite, révision de la durée de travail hebdomadaire.Enfin, la suppression de certaines niches fiscales (sans indiquer lesquelles) est également envisagée. 

Même s’il ne peut satisfaire tout le monde, il n’est pas certain que ces mesures répondent aux doléances. Au plan politique, il répond immédiatement aux revendications des « gilets jaunes » en termes de pouvoir d’achat et de baisse de la fiscalité. Toutefois, on reste sur des réformes paramétrées, « cosmétiques ». Un « big bang » avait été annoncé, on est plutôt sur un « Pschitt ». Aucune autre piste d’augmentation de la fiscalité pour les plus ménages les plus fortunés n’est annoncée, même si Emmanuel Macron entend proposer dans l’avenir « des mesures précises » pour lutter contre l’évasion fiscale.

Quant au financement, cela reste encore très hypothétique. Concernant la dépense publique, l’effet« big bang » aurait été de nous dire comment il envisageait la réforme de l’Etat et là,on ne voit rien venir. Certes, il y a la réforme de la haute fonction publique mais elle ne reste qu’à l’état d’annonce. Là, se joue la crédibilité de ses réformes car cela fait depuis longtemps que les gouvernements annoncent une réforme dela dépense publiquesans quoi que ce soit ne se soit fait. 

Quels pourraient être les effets de ces mesures sur la situation économique du pays ?

Philippe Crevel : L’effet de relance dépend des avantages fiscaux qui seront attribués. Pour l’indexation des petites retraites, l’impact interviendra en 2020. Il ne faut pas attendre un rebond important de croissance. L’effet escompté est avant tout psychologique. Il convient de solder une période difficile et s’engager dans un nouveau cycle pour le Président. La voie est étroite.

Michel Ruimy : La grande difficulté pour apprécier l’excellence de ces mesures réside dans leurs différents horizons temporels. 
Pour certaines, cela relève d’un projet national car leur efficacité ne pourra se mesurer qu’à long terme comme, par exemple, la nouvelle décentralisation. Quel(s) niveau(x) d’administration seraient concernés par cet élagage ? 
D’autres, comme la baisse des impôts sur le revenu des classes moyennes qui ont supporté la pression fiscale de ce début de mandat, l’impact pourrait être plus immédiat. 
En outre, au plan structurel, plusieurs rapports ont montré que la France peine à être compétitive du fait notamment d’un problème d’offre. Cela passe, en particulier, par un allongement du temps de travail. Au-delà du domaine économique, l’enjeu est, ici, politique. Le gouvernement a-t-il la capacité et la légitimité de faire cette réforme qui sera vraisemblablement très impopulaire. A ce stade cela semble bien incertain.  
Pour autant, au-delà de ces aspects, le président doit renouer le contact avec les Français, annihiler voire amoindrir le ressentiment qu’ils ont envers leurs élites. Il doit tisser, assez rapidement, un nouveau fil de confiance afin de faire adhérer un maximum de personnes à son projet notamment dans la perspective des élections européennes de la fin mai afin que ce référendum ne se transforme en une opposition flagrante dans les urnes. 

Comment mesurer l'impact budgétaire des propositions formulées, notamment dans le cadre des engagements pris devant la Commission européenne ? 

Philippe Crevel : Tout dépend de l’arbitrage fiscal. Si l’allègement de l’impôt sur le revenu avec la création de deux tranches de 5 et 10 % est compensé par la suppression de niches fiscales, l’impact budgétaire sera réduit. Pour les régimes de retraite, le surcoût de la réindexation partielle pourrait être de 2,5 milliards d’euros. Les mesures d’exonération des primes et des heures supplémentaires devraient coûter autour de 3 milliards d’euros. Cela pérenniserait des mesures existantes. Pour la trajectoire budgétaire de la France, ces mesures n’améliorent pas la situation mais cette dernière n’était pas très florissante. La France est très en retard par rapport à ses partenaires. Le déficit public est de 2,5 % du PIB en 2018 quand la moyenne de la zone euro est inférieur à 1 %. 

Michel Ruimy : La France pourra-t-elle respecter ses engagements européens en 2019 et au-delà ? Certes, ne pas respecter ses engagements, ce n’est pas bien. Mais, ces engagements sont-ils respectables ? 
N’oublions pas, que, déjà, en 2019, le budget devra rembourser aux entreprises 20 milliards d’euros correspondant au remboursement des créances CICE. Le gouvernement français pourra prétendre qu’il s’agit d’une dépense exceptionnelle qui ne doit pas figurer dans le solde structurel. Mais, avec ces nouvelles mesures dont on ne sait comment elles seront financées, la « barque risque d’être encore plus chargée ». 
A ce stade, nous pouvons simplement dire que les règles européennes de finances publiques concernant le solde budgétaire et l’endettement public risquent de ne pas être, encore une fois, respectées au risque de ternir l’image d’un président « pro-européen ».

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