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58% d’abstention aux Européennes malgré 12 listes en présence : les Français sont-ils des enfants gâtés de la démocratie ou les orphelins d’une vraie-fausse variété de l’offre politique ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Eclatement de l'offre politique

La profusion d'offres politiques pour les européennes, résultat de la recomposition du paysage politique en 2017, ne semble pas être en mesure de répondre aux attentes des Français.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Avec 15 listes potentielles pour les élections européennes, les Français sont confrontés à un choix politique fortement diversifié, sans que pour autant ne se dessine une forme enthousiasme, d'intérêt, de capacité de former une majorité, ou de consensus derrière l'une ou l'autre formation. Comment expliquer ce paradoxe ?

Chloé Morin : Clairement, loin d’être perçue comme une richesse, la dispersion engendre la confusion. Notons que c’était déjà le cas lors des législatives : il y avait beaucoup de nouveaux candidats, et nombre d’électeurs se disaient désorientés face à un paysage politique en pleine transformation. Les repères d’hier sont effacés, mais le « nouveau monde » organisé autour du clivage ouverts/fermés, progressistes/populistes ne semble pas non plus tout à fait au goût de tous - LREM et le RN, qui incarnent ce clivage, ne rassemblent après tout que44,5% des votes dans notre dernière enquête électorale IPSOS pour Le Monde et le CEVIPOF...
Cette dispersion joue clairement en faveur des forces établies, installée dans le paysage, dont le positionnement global paraît clair. LREM, perçu comme clairement pro-européen quitte à être trop associé au « statu quo ». Le RN, clairement anti-européen. Et entre ces deux pôles, une fragmentation et une confusion incroyables. Le débat du 12 sur France 2 illustrait parfaitement cette impression de cacophonie...
Les forces nouvelles, comme Générations, ou en cours de transformation et de reconfiguration idéologique, comme LR ou le PS, pâtissent de cette situation. Les électeurs ne perçoivent pas - encore?- quelle est leur offre politique. Reste à savoir si certains parviendront, à la faveur de la campagne, à percer le voile de la confusion et amorcer une dynamique. Car à ce stade, ce qui est frappant, c’est qu’il n’y a aucune réelle dynamique dans cette campagne.

Quelles sont les racines de cette divergence apparente entre l'offre politique proposée aux Français et la demande des citoyens ? 

Ce n’est pas parce qu’une déception est majoritaire qu’elle se transforme nécessairement en offre politique alternative cohérente. A ce stade, et c’est un immense avantage stratégique pour Emmanuel Macron depuis mai 2017, notre paysage politique compte un front d’opposition extrêmement fragmenté. 
Une majorité de Français, installés dans le rejet du pouvoir, semblent désormais savoir ce dont ils ne veulent plus, mais n’ont pas pour autant trouvé leur bonheur dans l’offre des oppositions actuelles. 
Et c’est compréhensible :
- Il y a, à gauche de LREM, trois forces politiques dont les électeurs sont extrêmement proches sur le plan des valeurs, qui pourraient ensemble prétendre à la 3e place de cette élection, et dont on peine à comprendre le sens de leurs divisions.
- A droite, LR a joué la carte du renouveau avec Bellamy, et son entrée en campagne est assez intéressante, en tout cas moins décevante que les commentateurs avaient initialement voulu le croire. Mais Les Républicains peinent encore à justifier leur utilité par rapport à un Président largement perçu comme menant une politique de droite, qui plus est plus courageuse que celle menée par la droite elle-même lorsqu’elle a exercé le pouvoir…
Si l’on prend le problème non pas à partir de l’offre politique, mais à partir de la demande des électeurs, il existe là encore des lignes de faille qui expliquent la dispersion et donc la paralysie des fronts d’opposition. Le clivage entre la France « ouverte », optimiste, incluse, et celle qui craint la mondialisation, le déclin collectif et le déclassement individuel, a pris le dessus, mais il n’a pas effacé les multiples autres lignes de fracture qui divisent le pays. Ces fossés qui se creusent sans cesse compliquent d’autant plus la constitution d’une offre politique alternative à celle du pouvoir et à vocation majoritaire. 
Ajoutons à cela que pour construire une dynamique politique, ce qui fonctionne le mieux dans le paysage actuel c’est le clash, l’affrontement, la désignation d’ennemis, de boucs émissaires… autant d’attitudes qui créent davantage encore de tension et de divisions, et n’incitent pas au compromis et à la réconciliation...

Cette situation est-elle une particularité française ?

Si par « situation » vous entendez une reconfiguration profonde des clivages et donc du paysage politique, alors non, la situation Française n’est pas nouvelle. L’effondrement du « vieux monde » nous a sans doute paru extrêmement soudain, mais les plaques tectoniques sur lesquelles reposaient nos clivages partisans étaient en réalité en mouvement depuis longtemps. Et les mêmes mouvements sont à l’oeuvre ailleurs en Europe : montée de l’insécurité culturelle en Europe, sur fond de peur de l’immigration et du terrorisme, rejet du « système » politique et des élites, sentiment que les règles du jeu sont faussées en faveur des puissants, crainte du déclassement collectif et individuel, transformation de la composition ethnique de nos sociétés (la « diversité » est devenue une réalité)… autant de tendances de fond, que l’on retrouve aux Etats Unis, comme dans la plupart des pays Européens, et auxquelles les partis de gouvernement, souvent issus d’une longue histoire et focalisés sur la préservation du statu-quo, n’ont pas su adapter leur offre idéologique. 
Dès lors que nos sociétés ont changé, de nouvelles offres fleurissent partout, et les offres politiques obsolètes meurent à petit feu ou sont appelées à se transformer radicalement. Un tel processus paraît tout à fait normal, même s’il engendre une grande confusion. Reste à savoir combien de temps cette forme de transition démocratique et idéologique durera…
J’ajoute que les Gilets jaunes sont sans doute l’expression de l'insatisfaction d’une partie du pays face à l’offre politique actuelle, et de l’incapacité des partis politiques institutionnalisés à capter les aspirations et y apporter des réponses. De ce point de vue, le cas Français est en effet assez unique : nulle part ailleurs - dans des pays à niveau de développement et modèle démocratique comparable - on n’a vu le débat démocratique sortir de sont lit naturel aussi brutalement, pour inonder les rues. Le parallèle avec le mouvement 5 étoiles est d’ailleurs assez limité, car celui-ci avait su s’institutionnaliser, ce que les Gilets jaunes ne veulent ou ne parviennent à ce stade pas à faire. 

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