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La Manif pour tous a été un décloisonnement militant de toutes les tendances des “catholiques observants”
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Bonnes feuilles

Depuis l'opposition à la loi Veil qui a légalisé l'avortement, leur savoir-faire militant n'a cessé de s'enrichir. L'ampleur des Manifs pour tous a dévoilé leur force. Mais cette capacité de mobilisation ne peut être comprise en dehors des évolutions de la vie politique. Extrait du livre de Yann Raison du Cleuziou, "Une contre-révolution catholique" (ed. Plon). 2/2

Yann  Raison du Cleuziou

Yann Raison du Cleuziou

Yann Raison du Cleuziou est maître de conférences en science politique à l’université Montesquieu Bordeaux IV et membre du Centre Émile Durkheim (UMR CNRS 5116). Sa thèse sur les transformations de la vie religieuse dans l’Ordre dominicain entre l’après-guerre et la fin des années 1970 a reçu le Prix Richelieu en science politique de la Chancellerie des universités de Paris en 2009. Ses recherches actuelles portent sur les mobilisations politiques dans le monde rural, la politisation des pratiques religieuses et l’histoire contemporaine de l’Église catholique.

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Le début du xxie siècle a été marqué par une série d’infortunes médiatiques pour l’Église : «le berger allemand» en 2005, l’affaire de Ratisbonne en 2006, les scandales de Recife et Williamson ou encore les propos de Benoît XVI sur le préservatif en 2009, les révélations sur les prêtres pédophiles en 2010, l’opposition aux pièces «blasphématoires » en 2011. Ces événements successifs ont ancré un ressentiment certain parmi les catholiques militants. Ils estiment que leur vie ordinaire est écrasée par l’ombre d’un double encombrant: l’image d’une Église rétrograde, hypocrite, intolérante, que coproduisent les médias et les maladresses du Vatican. Démoralisés parce que ce qu’ils vivent n’accède pas à la reconnaissance médiatique, ils sont systématiquement sommés de se justifier par rapport à telle ou telle phrase extraite d’un discours du pape ou d’un cardinal d’outre-Atlantique dont ils apprennent du même coup l’existence.

L’émergence d’une contestation structurée de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe s’inscrit directement dans cette problématique. Le succès éventuel de cette entreprise dépendait de sa capacité à sortir les catholiques du ghetto médiatique dans lequel ils s’estimaient enfermés. La Manif pour tous n’est pas le surgissement spontané d’une partie de la population dans la rue en opposition à un projet de loi. Comme nous le confie Émile Duport, l’un des maîtres d’œuvre de la communication du mouvement, « c’est une manif depubards1 ». Les cortèges sont le résultat d’une stratégie de déploiement d’une image qui correspond à ce que le sociologue des mobilisations Joseph Gusfield appelle un «mouvement de statut ». Son enjeu est de restaurer la capacité d’action d’un groupe en lui construisant une image légitime, support d’une puissance symbolique nécessaire à sa puissance politique. Une image qui tout à la fois mobilise pour une cause des individus aux profils multiples et efface cette pluralité en leur imposant de se conformer aux messages élaborés par les organisateurs.

Une manifestation est un événement construit. C’est à ce titre une entreprise périlleuse, car pouvant être retournée contre ses organisateurs et la cause portée. Sa réussite dépend du succès de la mobilisation d’une masse suffisante pour s’imposer dans la hiérarchisation des informations susceptibles de devenir l’actualité. Mais cette condition n’est pas suffisante. Le poids politique des manifestants dépend ensuite de l’autorité représentative dont leurs porte-parole parviennent à se doter en imposant l’idée que les cortèges qui les mandatent ne sont que la part visible de masses plus importantes et que leur cause est donc d’intérêt général. Et bien sûr le succès de la manifestation dépend de sa médiatisation3. Les médias sont les arbitres qui donnent à voir les cortèges au plus grand nombre et peuvent donc par leurs descriptions en construire ou en détruire la légitimité.

Ces prolégomènes sont nécessaires, car La Manif pour tous a des enjeux symboliques spécifiques en raison de l’histoire dans laquelle elle s’inscrit et de l’héritage dont ses organisateurs ont voulu s’affranchir.

Expression abondamment commentée d’un « retour» ou d’un «réveil» du catholicisme militant, La Manif pour tous n’est pourtant pas une mobilisation catholique. Dimension à la fois manifeste et impensée de la plupart des analyses, le choix d’une stratégie non confessionnelle n’est pas sans incidences. Penser cette manifestation non catholique de catholiques est crucial pour comprendre les conséquences politiques de l’événement.

Extrait de "Une contre-révolution catholique" de Yann Raison du Cleuziou, publié chez Plon

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