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L’Europe est-elle vraiment dirigée par le couple franco-allemand ?
©Thibault Camus / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Coralie Delaume et David Cayla publient "10+1 questions sur l’Union européenne" aux éditions Michalon. Ils abordent les enjeux des élections européennes, se demandent pourquoi tant de pays européens sont tentés par le populisme, s’interrogent sur le couple franco-allemand et analysent la vision de l’Europe d’Emmanuel Macron notamment. Extrait 1/2.

Coralie Delaume

Coralie Delaume

Coralie Delaume est une blogueuse, journaliste et essayiste française. Elle est diplômée de l’Institut d'études politiques de Grenoble, elle devient ensuite journaliste et chroniqueuse pour plusieurs médias. Spécialiste de la gouvernance économique européenne, elle crée le blog L'arène nue en février 2011.

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David Cayla

David Cayla

David Cayla est économiste. Il est membre du collectif Les Économistes atterrés. Il est l'auteur de L'économie du réel. Face aux modèles trompeurs (De Boeck, 2018). 

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22 janvier 2019. Cinquante-six ans jour pour jour après le traité franco-allemand de l’Élysée, la chancelière Merkel et le président Macron paraphent ensemble un nouvel accord bilatéral, le traité d’Aix-la-Chapelle. Le lieu de la signature est symbolique. Non pas tant parce qu’Aix-la- Chapelle est la ville que Charlemagne avait choisie pour capitale, mais parce que c’est là que se firent couronner les empereurs du Saint-Empire romain germanique pendant des siècles, depuis Othon le Grand jusqu’à Ferdinand de Habsbourg. 

Outre le symbole géographique, la question se pose de l’opportunité d’un traité initié par ces deux dirigeants. Angela Merkel est en bout de course, très affaiblie politiquement et d’aucuns se demandent si elle terminera son quatrième mandat.  Emmanuel Macron est confronté à une crise inédite, la crise des « gilets jaunes », née d’un sentiment d’injustice sociale qui doit beaucoup aux politiques  économiques conduites au nom de l’Europe et sous la conduite de Bruxelles. Dans un tel contexte, n’eut-il pas été plus raisonnable de faire une pause dans le processus d’intégration ? Par ailleurs, pourquoi un engagement bilatéral alors que l’Union compte vingt-sept membres ? Pourquoi envoyer aux autres partenaires le message implicite qu’il existerait en Europe un comité directeur dont ils seraient exclus et prendre le risque qu’ils se sentent considérés comme des Européens au rabais ? N’aurait-il pas été plus urgent que la France tente de recoller les morceaux avec l’Italie, cette sœur latine avec laquelle les relations se sont tendues depuis l’entrée en fonction du gouvernement dirigé par Giuseppe Conte ? Paris n’eut-elle pas dû œuvrer plutôt en faveur d’un Brexit doux, le Royaume-Uni étant son principal partenaire européen en matière de défense et un partenaire commercial de premier plan ? 

Le contenu du traité, enfin, donne une impression de déséquilibre. Chaque pays n’apporte pas une dot de même poids dans la corbeille des mariés. Le texte va loin dans l’intention de mettre en commun ce que la France détient, et ne contient quasiment rien qui puisse apparaître comme une concession de l’Allemagne. 

Dans les domaines de la diplomatie et de la défense, il est prévu que les signataires approfondissent leur coopération industrielle en matière d’armement, qu’ils se prêtent assistance mutuelle en cas d’agression « y compris par l’usage de la force armée », qu’ils coordonnent étroitement leur travail au sein des Nations unies et même... qu’ils œuvrent à l’entrée de l’Allemagne dans le club fermé des membres permanents du Conseil de sécurité. Or, c’est la France qui est leader en ces domaines et qui a le plus à proposer, elle qui dispose de l’un des réseaux diplomatiques les plus étoffés du monde, d’un statut de membre permanent au CSNU et du statut de puissance nucléaire. 

Viennent ensuite les questions économiques, et c’est là que l’Allemagne aurait des choses à offrir. Elle est la grande puissance économique et commerciale du continent, est dotée de l’un des excédents commerciaux les plus élevés au monde (près de 250 milliards d’euros), son budget est à l’équilibre parfait et sa dette est orientée à la baisse. L’ambition de poursuivre la convergence et l’intégration économiques est martelée dans le traité et l’on pourrait penser en le lisant que la richesse germanique sera en partie mutualisée. Là où le bât blesse, c’est que l’on savait dès avant la signature du texte qu’il n’en serait rien. Quelques semaines auparavant, et après avoir formulé des réponses dilatoires pendant des mois, Angela Merkel a torpillé les ambitions macroniennes d’établissement d’un budget de la zone euro autonome et conséquent, auquel Berlin aurait cotisé à hauteur de sa richesse. Tel ne sera pas le cas. La formule imposée par l’Allemagne lors du Conseil  européen de décembre 2018 – une ligne budgétaire d’un montant modeste intégré au budget général de l’Union européenne – restera sans commune mesure avec les déséquilibres macroéconomiques qui scindent l’eurozone et qu’il conviendrait de corriger, y compris entre la France et  l’Allemagne. Dans ces conditions, davantage d’intégration économique ne signifie rien d’autre, pour la France, qu’un surcroît d’austérité budgétaire et une pression à la baisse maintenue sur les salaires. 

À première vue, le traité d’Aix-la-Chapelle peut apparaître comme un catalogue de déclarations d’intention et de vœux pieux. Il est toutefois très emblématique de ce qu’est devenue la relation franco-allemande, où la formule « je prends ce qui est à toi mais je garde ce qui est à moi » pourrait faire office de devise de l’Allemagne. La France n’a de cesse de courtiser sa voisine, de lui faire des offres de rapprochement et de l’enjoindre à prendre des engagements consignés dans des textes. Mais elle fait régulièrement figure d’amoureuse éconduite. Ce fut encore le cas, par exemple, avec le projet de taxe européenne sur les géants du numérique (ou taxe Gafam), porté à bout de bras par le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire pendant des mois et finalement repoussé par l’Allemagne fin 2018 – en même temps que le budget de l’eurozone – parce que cette dernière craignait que les États-Unis ne répliquent et ne taxent en retour les automobiles made in Germany.

Entre le « couple franco-allemand » et la relation germano-américaine, notre voisine a privilégié la seconde. C’était à prévoir si l’on sait ce que le redressement de la patrie de Goethe après-guerre doit à l’Oncle Sam. Ne sont-ce pas les États-Unis qui ont patronné la création du Deutschemark en 1948 juste avant que ne soit fondée la République fédérale d’Allemagne de l’Ouest ? Aujourd’hui encore, l’Allemagne ne peut se concevoir comme une « grosse Suisse » débonnaire entièrement dédiée aux joies du doux commerce que parce qu’elle s’en remet à Washington pour sa défense. Le traité d’Aix-la-Chapelle, qui semble indiquer un intérêt germanique nouveau pour les sujets régaliens, n’infirme pas cela mais au contraire le confirme. Il y est précieusement consigné que les « avancées » franco-allemandes en matière de défense se feront dans le cadre de l’OTAN. Rien à voir avec l’esprit originel du traité de l’Élysée de 1963 qui prétendait, sous l’impulsion des gaullistes français, poser les jalons d’une diplomatie et d’une défense indépendantes des États-Unis (on parlait à l’époque d’« Europe européenne »). Mais qui se souvient qu’avant de ratifier le traité de l’Élysée, le Bundestag y ajoutait un préambule unilatéral réaffirmant le rôle de l’OTAN sur le Vieux continent, le vidant ainsi de sa substance et anéantissant les ambitions françaises d’autonomie stratégique européenne ?

Cinq décennies après cette déception, notre pays continue de prétendre qu’il forme un « couple » avec l’Allemagne. L’expression « couple franco- allemand » n’existe pourtant que de ce côté-ci du Rhin, nos voisins ne l’employant jamais. Elle vise à faire croire que les deux pays dirigent l’Europe ensemble et sur un pied d’égalité. Or, rien n’est moins vrai. Si l’Europe a d’abord été française, lorsque l’Allemagne vaincue était encore faible, pénitente et divisée, elle est aujourd’hui très nettement allemande. La République fédérale domine d’une tête l’économie continentale, et domine politiquement toutes les institutions de l’Union. Pour autant, les raisons de ce leadership sont moins à rechercher dans un quelconque impérialisme allemand ou dans une volonté consciente de prédation qu’à la configuration de l’Union européenne et à ses structures mêmes. Elles découlent des effets mécaniques de choix qui ont été faits par le passé, y compris, parfois, de choix imputables aux dirigeants français.

Extrait du livre de Coralie Delaume et David Cayla,"10+1 questions sur l’Union européenne", publié aux éditions Michalon.

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