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Mauvais chiffres pour l’industrie européenne : mais que pourraient faire Nathalie Loiseau et Emmanuel Macron s’ils s’emparaient du sujet clé pour l’Union
©Reuters

Industrie en Europe

L'institut Markit publiait ce 1er avril ses derniers indicateurs relatifs aux secteurs manufacturiers de la zone euro, pointant une contraction sévère pour l'Allemagne, et, dans une moindre mesure pour la France et l'Italie.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : L'institut Markit publiait ce 1er avril ses derniers indicateurs relatifs aux secteurs manufacturiers de la zone euro, pointant une contraction sévère pour l'Allemagne, et, dans une moindre mesure pour la France et l'Italie. Dans le même temps, l'inflation sous-jacente de la zone euro s'est affichée à la baisse à 0.8%, témoignant d'une faiblesse de la demande sur le continent. Dans de telles circonstances, et dans un contexte de campagne pour les élections européennes, quel serait le discours adapté pour Nathalie Loiseau et Emmanuel Macron, pour essayer de convaincre nos partenaires européens de la nécessité d'agir ?

Alexandre Delaigue : Fondamentalement, toute une série de pays européens semblent être pris dans une idée de fonctionnement qui correspondait à celle de petits pays. C'est à dire des pays qui dépendraient exclusivement de leurs exportations, qui ne seraient pas maître de leur propre monnaie, et seraient ainsi contraints de maintenir leur compétitivité vis à vis de l’extérieur, et pour lesquels soutenir la demande intérieure par le biais du budget de l’Etat serait totalement inutile et risquerait de créer des crises de l’endettement. Qu’un pays comme les Pays-Bas, par exemple, adopte ce genre de raisonnement est à la limite compréhensible mais le problème de fond est que l’essentiel des politiques et des institutions en Europe sont centrées sur cette logique et que l’Allemagne, plus grande économie de la zone euro, y est entièrement soumise, en ne se préoccupant que de ses exportations. Or, à partir du moment ou le contexte international devient un peu plus difficile, et en particulier au moment ou la Chine ralentit, ou le commerce avec les Etats-Unis n’est plus du tout garanti, ou la perspective du Brexit est susceptible de provoquer pas mal de distorsions dans le commerce extérieur de la zone euro; il y a l’opportunité de tenir un véritable discours de soutien de la demande intérieure européenne. Mais le problème est de savoir s’il sera audible, étant donné que le récit du “nous devons rester compétitifs et lutter contre la dette” est extraordinairement fort dans de nombreux gouvernements et pays de la zone euro. On pourrait même dire que cela est un discours qui a été largement absorbé par le gouvernement français. Il paraît donc vraiment difficile de voir ce gouvernement avoir la capacité de le faire.

A un moment, on a vu apparaître l’idée française de changer les politiques européennes en se montrant comme un bon élève budgétaire de la zone euro. L'entrée de la crise des Gilets jaunes a conduit, de manière assez ironique, le gouvernement à relancer budgétairement l’activité économique du pays, avec succès, avec une politique de soutien à la demande pour satisfaire le mouvement. Paradoxalement, ce succès apparaît presque comme un échec aux yeux du gouvernement dans sa perspective générale d’être le bon élève dans la classe européenne. Le résultat est qu’il va être très difficile de construire un discours qui serait tout simplement un discours de soutien intérieur à la demande étant donné le changement de circonstances, il va être très compliqué de produire ce type de récit alternatif.   

Quels sont les véritables blocages à une telle ambition ?

Le premier blocage est qu’il ne s’agit pas du sens prôné par les traités européens. Les contraintes sont plutôt de pousser les Etats vers des excédents budgétaires, comme l’Allemagne a un excédent tandis que le gouvernement suédois se glorifie d’afficher son plus grand excédent depuis des années et voyait cela comme une raison supplémentaire de ne surtout pas relancer la demande. On constate des blocages très importants  dans l’idéologie des gouvernements, dans les politiques menées par un grand nombre de gouvernements européens qui ne veulent tout simplement pas entendre parler de ce type d’idée d’une relance européenne, et encore moins de relance concertée ou d’intégration budgétaire. Il faut reconnaître aussi que de manière générale on voit monter les nationalismes économiques, une note récente constatait que de plus en plus de gouvernements n’en faisaient qu’à leur tête. Ainsi, toute relance concertée paraît d’autant plus difficile en ce moment.

Pour ce qui concerne le cas français, nous sommes tout simplement confrontés à un gouvernement qui n’arrive pas à retrouver un récit dans ce sens d’un soutien à l’activité, même par la baisse d’impôts, qui pourrait même être un discours libéral, qui soit autre chose qu’un discours autour de la réforme structurelle. Nous sommes sur des récits totalement inchangés parce que dans l’ensemble, les marges de manœuvres sont potentiellement présentes. La Banque centrale européenne n’est pas très loin de pouvoir soutenir l’activité, il suffirait que le contexte général y soit favorable. De nombreux gouvernements ont des excédents budgétaires, il n’y a donc pas véritablement de contraintes pratiques, il n’y a que les contraintes que les gouvernements ont décidé de s’imposer, mais ce sont les plus difficiles à surmonter. Ils sont empêtrés dans ces discours parce qu’ils y croient, à force de les répéter. Il s’agit véritablement d’une croyance profonde que ces politiques sont la bonne chose à faire. Cette focalisation sur la compétitivité aboutit à ce que les pays européens, en ordre dispersé, adhèrent les uns après les autres, à l’initiative Belt and Road menée par la Chine. Le soutien aux infrastructures, aux investissements, qui ne viennent pas de l’Europe, pour des pays comme l’Italie ou le Portugal, ou même l’Allemagne qui commence à dire qu’elle pourrait être disposée à accueillir Huawei, montre que ces pays là, plutôt que de faire les choses entre européens avec une politique globale et commune en Europe préfèrent aller en ordre dispersé adhérer à la politique chinoise. Cela n’a aucun sens.

Quels sont les risques de l'inaction ?

Le risque est que l’on reste dans une période comme celle-ci. Beaucoup de gens disent que l’Europe est partie pour une longue période de stagnation qui ressemblerait à celle du Japon du milieu des années 90. Certains facteurs structurels poussent plutôt vers ce constat, il est vrai que l’Europe est un continent qui a tendance à vieillir. Mais si les politiques économiques ne sont pas utilisées pour contrebalancer cette tendance assez forte vers la stagnation économique, le risque est effectivement de se retrouver avec une très longue période de stagnation mais sans le degré de cohésion de la société japonaise. Ce qui conduit à des troubles politiques de plus en plus importants, un délitement de l’idée d’Union européenne, de plus en plus de politiques menées au niveau national avec peu d’efficacité. Nous allons vers une forme de délitement et de marginalisation de la construction européenne dans un contexte de stagnation économique, ce qui n’est pas exactement une perspective réjouissante. Et ce n’est absolument pas une fatalité. L’Europe pourrait être en bien meilleure position. Il ne faut pas oublier que l’année prochaine, le gouvernement américain annonce qu’il aura un déficit global de 1000 milliards de dollars. On peut trouver cela absurde de le faire sous forme de baisses d’impôts ou de “cadeaux aux riches”, parce que cela n’a pas soutenu l’investissement, mais s’imaginer au niveau mondial que les grands pays et les grandes zones économiques sont contraintes au niveau budgétaire, ne peuvent pas faire les investissements nécessaires, cela est aussi aberrant que ridicule.

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