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Ce que les remarquables performances du capital investissement nous disent vraiment de celle du gouvernement (et de l’état de la France)
©Reuters

Capital Investissement

Le capital-investissement français a atteint un nouveau record en 2018 avec plus de 18,7 milliards d'euros levés et 2 200 entreprises financées.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Peut-on attribuer cette forte croissance à la transformation de l’ISF en IFI ?

Michel Ruimy : Le capital-investissement est, de manière générale, une classe d’actifs moins volatile que d’autres placements boursiers. Une de ses forces est, en effet, de ne pas présenter de risque systémique : si un fonds commet une erreur, les autres ne sont pas impactés.

En outre, il offre un bon rendement à long terme, qui intéresse de plus en plus d’acteurs comme les fonds de pension, les caisses de retraite et les « family offices » alors que les banques et les compagnies d’assurance ont diminué leur souscription, notamment du fait de contraintes prudentielles. Ces nouveaux acteurs, qui peuvent rester beaucoup plus longtemps au capital des entreprises, sont une concurrence redoutable pour les fonds classiques de « private-equity », ayant des contraintes de rotation du portefeuille.

A l’heure où le ministre des Finances a décidé de faire de l’« épargne patriotique » sa priorité, cet engouement peut s’expliquer, en partie, par un contexte fiscal actuel plus favorable avec notamment la modification de l’ISF. Déjà, en 2017, les particuliers et les grandes fortunes avaient désinvesti plus de 430 millions d’euros placés dans des véhicules offrant un avantage fiscal (FCPI, FIP) et les avaient redéployé dans des « fonds technologiques ».L’an passé, ils ont investi plus de 11 milliards d’euros, soit 75% de leurs capitaux, dans le tissu économique tricolore, des start-ups aux poids lourds de l’industrie.

Ce niveau est en hausse de 13% par rapport à 2017. Il s’agit de la même progression qu’entre 2016 et 2017 mais surtout d’une hausse de plus de 50% par rapport à 2005, année où les montants levés avaient été les plus importants avec 12 milliards d’euros. Ainsi, il semble que les investisseurs particuliers, notamment français, soient aujourd’hui prêts à investir sans filet dans le « non-coté », un mouvement de fond vers l’économie réelle sans avantage fiscal à la clef, donc sur des bases très saines.

Cette tendance se retrouve au niveau mondial. Selon une étude réalisée par Blackrock, un des géants du secteurà la tête de près de 7 000 milliards de dollars d’actifs, plus de la moitié de sa clientèle comptaient, en 2019, réduire son exposition aux marchés actions et accroître ses investissements dans le capital-investissement. Ceci est d’autant plus important que l’une des barrières à l’investissement dans le non coté, l’illiquidité, tend à progressivement se lever avec la montée en puissance du marché de l’occasion. Pour preuve, celui-ci a atteint, au niveau mondial, près de 58 milliards de dollars en 2017 selon Greenhill, soit une hausse de 60% par rapport à 2016, et les décotes par rapport au prix d’origine tendent à diminuer.

Les fonds levés à l'étranger représenteraient également presque la moitié (48%) du capital-investissement en 2018. Comment expliquer ce regain d’attractivité des firmes françaises ? La France est-elle mieux perçue à l’échelle internationale ?

Les fonds levés à l’étranger sont une autre explication à cet engouement. Ils représentent désormais près de la moitié du total contre un peu plus de 35% en 2017.Certes, le marché français du non-coté a bénéficié, comme d’autres compartiments des marchés financiers, de la politique monétaire accommodante que les autorités monétaires (Federal Reserve et Banque centrale européenne) ont mise en place.

Toutefois, les fonds et leurs comités de crédit sont plus regardants, plus sélectifs sur la qualité des entreprises soutenues. La France possède un tissu d’entreprises non cotées, startups, PME, ETI (entreprises de taille intermédiaire), remarquable et des opérateurs de capital-investissement dynamiques, ambitieux et crédibles à l’international.

De plus, l’industrie du capital-investissement semble miser, aujourd’hui, sur la pérennité des entreprises en pratiquant l’investissement responsable. A cet égard, Un grand nombre de sociétés françaises de « private equity » déclarent avoir intégré des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs pratiques et avoir développé des indicateurs de suivi de leur stratégie.Le secteur français est légèrement en avance par rapport à ses homologues internationaux.

Les ingrédients sont donc là.

La conséquence de ces stratégies sur la valorisation des entreprises demeure cependant encore incertaine d’autant que cette initiative demeure encore l’affaire de précurseurs et ne s’est pas généralisée à l’ensemble du private equity français (En 2018, 24 fonds d’investissement sur les plus de 300 membres de France invest). Les fonds non cotés ayant une « thématique verte » sont néanmoins en augmentation constante.

Enfin, à la vue de ces chiffres très encourageants, doit-on toujours considérer les réformes structurelles comme étant prioritaires aujourd’hui en France ?

Le rôle économique et social du non-coté est majeur. Plus les start-ups, PME et ETI bénéficieront de capitaux, plus ces entreprises vont grandir, investir, accélérer leur transformation numérique, créer des emplois et payer des impôts en France. C’est pourquoi, les fonds développent de vraies approches industrielles et sont prêts à mobiliser des enveloppes importantes pour investir dans la croissance des entreprises en portefeuille. Ils deviennent des investisseurs plus engagés sur les perspectives de long terme.

Ainsi, alors que longtempsil a été une classe d’actifs tolérée, le capital-investissement est vu désormais comme utile, à la fois, pour l’économie française et pour l’épargne compte tenu de son excellent rendement.Le gouvernement semble convaincu. C’est pourquoi la loi Pacte (pour la croissance et la transformation des entreprises) est destinée à favoriser l’accès au non-coté, à la fois, aux épargnants et aux compagnies d’assurance.

Pour autant, ces chiffres encourageants ne doivent pas nous empêcher de continuer de réfléchir, selon trois axes, aux réformes structurelles de l’économie et surtout les mettre en œuvre.

Premièrement, il faudrait soutenir l’offre, et non la demande, tant en quantité qu’en qualité des facteurs de production comme, par exemple, la modernisation du capital productif et les compétences accrues de la population active, mais aussi celle des biens et les services et de l’immobilier résidentiel.

Deuxièmement, il faudrait rendre plus compétitifs certains marchés : le marché du travail avec le travail peu qualifié du fait de la rigidité du SMIC, celui des secteurs protégésc’est-à-dire réduire le coût de fonctionnement de la machine administrative de l’Etat et celui de l’immobilier résidentiel du fait d’un excès chronique de la demande.

Enfin, il faudrait concentrer les transferts publics sur les ménages aux revenus les plus faibles afin de dégager des marges de manœuvre budgétaires et de compenser les effets sur le pouvoir d’achat de la baisse du salaire minimum.

Le contexte conjoncturel a été favorable aux réformes structurelles. Les mesures destinées à lever les obstacles bridant le travail et le capital ont été une avancée significative du début de ce quinquennat. Toutefois, même si le capital-investissement profité d’un certain élan, d’autres réformes de plus longue haleine doivent contribuer à renforcer la croissance potentielle à terme.

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