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La liberté politique : la plus vulnérable des libertés
©Thomas SAMSON / AFP

Bonnes feuilles

Monique Canto-Sperber publie "La fin des libertés ou comment refonder le libéralisme" (Robert Laffont). Ce livre établit que de larges pans de l'expérience des libertés ont disparu de notre vie politique et sociale. Nous défaire des dogmes du libéralisme est une condition pour sauver nos libertés les plus précieuses et mieux comprendre le temps présent. Extrait 2/2.

Monique Canto-Sperber

Monique Canto-Sperber

Monique Canto-Sperber est philosophe. Elle a enseigné à l'université avant d'entrer au CNRS comme directrice de recherche. Elle a dirigé l'École normale supérieure, puis établi et présidé l'université de recherche Paris-Sciences-et- Lettres. Elle a publié de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues, dont L'Inquiétude morale et la vie humaine (PUF, 2001), Le Bien, la guerre et la terreur (Plon, 2005), et dirigé le Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (PUF, 1996, 3e éd. 2005). Elle est l'auteur de nombreux essais sur le libéralisme, dont Le Socialisme libéral : une anthologie – Europe-États-Unis (avec Nadia Urbinati, Esprit, 2003) et Les Règles de la liberté (Plon, 2003).

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L’affaiblissement de la liberté politique évoqué au début de ce chapitre résulte de plusieurs facteurs. D’abord de son histoire. Elle est, si l’on peut dire, une vieille liberté, issue de la lutte contre l’absolutisme royal puis de l’action émancipatrice de la bourgeoisie. Le cadre conceptuel dans lequel elle a été définie n’a pour cette raison plus grand-chose de commun avec le monde contemporain, au point qu’on peut se demander si elle est encore, dans la définition que j’ai rappelée, une liberté de notre temps. 

La liberté politique est par ailleurs la plus vulnérable des libertés. Qu’elle exprime la pluralité sociale ou se nourrisse des initiatives des citoyens, sa fonction critique, comme le fait qu’elle dépende largement de la volonté de respecter des règles et des procédures, qu’elle impose la prise en compte de la pluralité de points de vue et rende nécessaires les arbitrages l’oblige le plus souvent à ralentir l’action politique ou à la rendre moins spectaculaire. C’est pourquoi elle est souvent perçue comme une gêne face à l’urgence et à l’efficacité aujourd’hui exigée des gouvernants. 

Surtout, la liberté politique n’a plus beaucoup d’espace où se déployer lorsque, conformément à une pratique du pouvoir de plus en plus répandue, l’action gouvernementale prétend se fonder sur une expertise souvent issue de la haute administration, comme en une forme de gouvernement des cadres ou « épistocratie », qui n’a pas la légitimité de la recherche ou de l’expérimentation des actions préconisées, mais qui tend tout de même à s’imposer aux délibérations du Parlement, voire à s’y substituer. 

Enfin, la menace qui guette aujourd’hui plus que jamais la liberté politique mais qui est paradoxalement la plus ancienne, consiste à en appeler directement au peuple pour légitimer les gouvernants en négligeant les représentants, les contre-pouvoirs ou l’avis des autorités indépendantes. 

Le fait que les libertés personnelles soient garanties et que le développement économique permette de dispenser à tous des moyens de liberté ne suffit pas à assurer que nous vivrons toujours dans des pays libres. Des gouvernements libéraux sont parfois à l’origine de l’affaiblissement des libertés. Faut-il pour autant donner raison à Friedrich Hayek, selon lequel, dès qu’un État libéral veut intervenir dans l’économie et rétablir une forme d’égalité sociale entre les citoyens, il évolue lentement vers la tyrannie (et donc vers l’anéantissement de la liberté politique) ? Ou faut-il au contraire s’obstiner à montrer que le fait de dispenser des aides et protections sociales n’est pas liberticide quand de telles aides sont conçues comme des moyens de liberté pour ceux qui en bénéficient ? Faut-il persister à défendre le pluralisme politique, la neutralité de l’État et la protection de la vie privée comme des libertés individuelles comme autant de moyens de renforcer la liberté politique au sein des États modernes, alors que ces derniers sont devenus responsables de la réalisation des biens collectifs ? 

Extrait du livre de Monique Canto-Sperber, "La fin des libertés ou comment refonder le libéralisme", publié aux éditions Robert Laffont.

A lire aussi sur Atlantico, un entretien avec l'auteur : Monique Canto-Sperber : « La dramatisation de la confrontation entre raisonnables et populistes qui est  la clé de la stratégie d’Emmanuel Macron est préoccupante pour la démocratie libérale »

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