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Recours à l’armée face aux Gilets jaunes : la dangereuse fuite en avant du gouvernement
©XAVIER LEOTY / AFP

Y a-t-il un pilote (doué de maturité) dans l’avion ?

Après les scènes de violence de la semaine dernière à Paris, l'exécutif a décidé de mobiliser la force Sentinelle ce samedi pour l'acte 19 des Gilets jaunes.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le gouvernement a annoncé, mercredi 20 mars, son intention de mobiliser les militaires de l’opération antiterroriste « Sentinelle » dans le cadre du dispositif de maintien de l’ordre prévu samedi 23 mars pour encadrer la dix-neuvième journée de mobilisation des « gilets jaunes ». Est-ce une mission normale pour l’armée, qui se doit avant tout de défendre les Français ?

Alain Rodier : Tout d’abord il faut raison garder face à des déclarations gouvernementales qui sont destinées à faire le buzz. Les militaires ont toujours eut des missions de garde de points sensibles et d’interventions dans le milieu civil. Ces interventions ont toujours été pacifiques, telle l’aide aux populations en cas de catastrophes naturelles. Je me rappelle personnellement de missions où nous allions aider des agriculteurs, déménager des immeubles menacés par des incendies, dresser des barrages de fortune lors d’inondations, etc... Il faut reconnaître qu’il fut aussi un temps où l’armée était appelée à la rescousse en cas de grèves dans les transports ou du ramassage des ordures pour assurer un minimum de service public. Elle était alors accusée par les syndicats d’être "briseuse de grèves" mais elle agissait sur instructions du pouvoir politique. 

Le fait que les militaires participent à la vie civile n’est donc pas quelque chose de très nouveau. Il n’est pas non plus nouveau qu’ils reçoivent pour mission de garder des points sensibles mais, jusqu’à présent, il s’agissait essentiellement d’enclaves militaires. Aujourd’hui, il va falloir savoir quelles sont les structures à défendre et quels effectifs de police ils doivent remplacer. A Paris, c’est déjà le rôle des gendarmes (qui sont des militaires), avec notamment la présidence et l’Assemblée nationale : il y a effectivement des militaires qui sont de garde 24/24h et 365 jours par an. Je pense en particulièrement à la Garde Républicaine qui ne fait pas que rendre les honneurs.

Dans le contexte actuel de tensions sociales fortes, n’est-il pas cependant dangereux de la part du gouvernement d’insister sur cette participation, même inactive, des militaires aux opérations de maintien de l’ordre ?

Il est vrai que sur le fond, je ne suis pas choqué mais étonné. Toutefois, après les déclarations pour le moins surprenantes de l'Élysée, le ministère des Armées a précisé qu'il ne s'agissait  "pas de mission de maintien de l'ordre pour Sentinelle" mais uniquement d'un "effort" pour soulager les forces de l'ordre sur certains points sans qu'il soit besoin d'apporter des "renforts". Pour lui, le ministère des Armées, il s'agit d'"une mesure ponctuelle".

En revanche, l’effet d’annonce initial est problématique. Dire que l’armée va intervenir pour dégager des effectifs de policiers voire de gendarmes pour permettre à ces derniers de renforcer le dispositif maintien de l’ordre, et ainsi de mettre en avant le rôle de l’armée dans une mission de ce type qui n’est pas la sienne, c’est extrêmement inquiétant.

En matière de maintien de l'ordre, les forces armées sont régies par l'Article D1321-10 du Code de la Défense. C'est l'autorité publique qui doit "réquisitionner" les forces nécessaires. Le commandement a ensuite la responsabilité de leur mise en oeuvre. Il me semble qu’il y a là une dérive du politique qui n’engage bien entendu absolument pas les militaires. C’est une erreur de communication qui est extrêmement dangereuse pour l’avenir.

On aurait très bien pu mettre en place ce dispositif sans l’annoncer. Et dans ce cas cela n’aurait posé aucun problème. C’est dans la mission des forces armées que de garder les zones sensibles. Cela dit, il y a un point opérationnel qui me semble épineux. Les militaires sont là pour garder des zones sensibles contre un "ennemi" armé, par exemple du temps de la splendeur du Pacte de Varsovie, contre les Spetsnaz dont la mission était d’infiltrer les pays européens pour neutraliser des points vitaux (centres de commandement, de communications, ports, aéroports, etc.). Dans ce cas là, c’était logique car c’était l’ennemi extérieur officiel qui menait des opérations agressives sur le sol français.

Or, les manifestants ne constituent absolument pas un "ennemi". En maintien de l’ordre, les gendarmes parlent parfois de "citoyens égarés". Et il faut bien savoir que les militaires, hormis quelques rares unités précises, ne sont pas formés aux techniques du maintien de l’ordre. Ils ne sont pas non plus équipés pour cela.  Si une manifestation venait à arriver devant un lieu gardé par des militaires, quelles sont les consignes données par le pouvoir politique à ces militaires ? Je rappelle qu’en France, l’armée est aux ordres du pouvoir politique. Qui assumera la responsabilité d’un incident qui pourrait être grave ?

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