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Brexit : quels que soient les errements britanniques, l’UE se trompe-t-elle de stratégie vis-à-vis de Londres
©Jonathan Brady / POOL / AFP

Report ?

Après la demande formalisée de Theresa May de reporter le Brexit, l'Elysée a répondu qu'il serait prêt à s'y opposer si aucune stratégie précise n'était présentée.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le Conseil européen se réunira ce jeudi 21 mars dans un contexte dominé par la question du Brexit, prévu à la date du 29 mars prochain. Après la demande formulée par Theresa May de reporter le Brexit à une date ultérieure, L'Elysée serait serait prêt à s'y opposer en l'absence de la présentation d'une stratégie précise. Comment comprendre ce positionnement français, soutenu également par Jean-Yves Le Drian devant l'Assemblée nationale ? 

Edouard Husson : Il est très facile de perdre ses nerfs dans cette affaire de Brexit. Ce sont ceux qui les garderont qui l’emporteront. Et je pense qu’à ce jeu-là les Brexiteers durs sont gagnants. Tout le monde flanche autour d’eux et ils maintiennent le cap. Theresa May n’a pas été capable de tenir sur le mandat qu’elle avait reçu du Parlement le 29 janvier: renégocier le backstop ou ce serait un no deal. Il faut dire que les Remainers du parti conservateur, héritiers des wets que détestait tant Margaret Thatcher, l’ont menacée de démissionner si elle s’obstinait sur une telle alternative. Ils espéraient ainsi faire pression sur les Brexiteers du parti, pour les amener à voter l’accord Robbin-Barnier. Mais ceux-ci n’ont pas cillé. Pas plus qu’ils ne se sont émus lorsque le Labour, dénué de colonne vertébrale, a poussé sans vraiment s’acharner la cause d’un « second référendum ». 
Le rêve avoué des Brexiteers intransigeants, c’est que le couperet tombe le 29 mars. Eh bien ! Ils ont un allié objectif, désormais, en la personne d’Emmanuel Macron. Lui aussi a les nerfs qui craquent: sans cesse humilié par le gouvernement allemand, frustré par la crise des Gilets Jaunes qui n’en finit pas, il entend compenser par une attitude dure vis-à-vis de Theresa May. Ce faisant, il travaille pour les Brexiteers intransigeants. Jacob Rees-Mogg, l’un des chefs de file des Brexiteers, a tweeté cet après-midi à propos de l’annonce d’un possible veto français au prolongement de l’article 50: « If true, then Vive la France. » 

Quelles peuvent en être les conséquences du côté de Londres ? Quelles sont les possibilités encore offertes à Theresa May dans l'attente du 29 mars ? 

Les mouvements de menton ou les hochements de tête effarés de ce côté-ci de la Manche ne sont que des poses ou des façons de se dissimuler la réalité. L’Union Européenne a pensé faire plier la Grande-Bretagne: soit un accord léonin soit un second référendum. Mais la réalité est bien différente: aujourd’hui, l’Union Européenne en est réduite à essayer de sauver l’accord Robbin-Barnier pour essayer de maintenir un petit peu la Grande-Bretagne dans l’Union - pour les échanges de biens. Sinon, ce sera le no deal, qui tournera à l’avantage de la Grande-Bretagne, puisqu’elle retrouvera toute sa liberté. Le taux d’emploi est le plus haut de l’histoire de la Grande-Bretagne. Le chômage est au plus bas depuis 1975. L’inflation n’est qu’à 2%. Les marchés sont aussi calmes que les Brexiteers intransigeants. Il n’y aura pas de second référendum parce que beaucoup de députés savent qu’ils jouent leur réélection sur la capacité de l’actuel parlement à réaliser le voeu des électeurs. La seule vulnérabilité du Royaume-Uni, c’est la menace d’un référendum écossais. Mais l’Union Européenne a commis une erreur psychologique majeure en mêlant la question irlandaise à la résolution du Brexit. Ils se sont privés d’un large soutien à la Chambre des Communes. Personne, dans la classe politique britannique, n’a envie de jouer avec le feu et de rouvrir la guerre civile en Irlande du Nord. Le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, est d’une extrême prudence, quand on lui pose la question d’un second référendum sur l’indépendance. Elle explique qu’il va falloir mesurer les conséquences du Brexit pour l’Ecosse. Mais ce que personne ne mentionne parmi les Remainers, le doute qui les ronge, c’est l’état réel de l’Union Européenne. Croyez-vous vraiment qu’une France où l’état de droit est bafoué chaque samedi par un gouvernement qui matraque, fait arrêter, et juger de manière expéditive les Gilets Jaunes, est attirante? Croyez-vous qu’une Allemagne à l’insécurité croissante du fait de l’absence d’intégration sur le marché du travail des immigrés des années 2015-2016 est un modèle ? Et puis, si l’on est un progressiste britannique bon teint, a-t-on envie d’une Europe où montent les populismes? 

Peut-on voir ici une Europe coordonnée sur cette question ? Quels sont les intérêts qui s'expriment ? 

L’Union Européenne n’a pas de direction politique. Les gouvernements conservateurs sont trop occupés à se méfier des mauvais coups possibles de la nomenklatura bruxelloise pour prendre le risque de donner un avis propre sur le Brexit. L’Europe du Nord se dit au fond d’elle-même qu’elle profitera de l’inévitable rebond économique de la Grande-Bretagne, à laquelle la lie la géographie. Du coup, tout dépend de l’Allemagne et de la France. L’Allemagne est très ennuyée. D’un côté, le bon sens économique lui dit qu’il faudrait trouver un accord équilibré avec la Grande-Bretagne - l’Allemagne assure 50% de l’excédent commercial de l’UE vis-à-vis de la Grande-Bretagne, d’un autre côté, la maîtresse d’école qui ne sommeille jamais longtemps chez Angela Merkel pense qu’il faut rester intransigeant avec Londres, de peur que d’autres aient l’idée de réclamer une Europe à la carte voire de sortir. La position française est elle sans nuances: non seulement il faut faire payer à la Grande-Bretagne son insolence. Mais Emmanuel Macron croit dur comme fer que la France va profiter du vide laissé par la Grande-Bretagne. Alors que c’est le contraire. la Grande-Bretagne était, objectivement, notre alliée dans l’UE pour faire contrepoids à l’Allemagne. C’est cette dernière qui va prendre définitivement le contrôle de la Commission et du Parlement Européen. Et la Grande-Bretagne nous rendra, dès qu’elle aura les mains libres, la monnaie de notre pièce. 
En fait, si l’Allemagne décide qu’elle veut à tout prix un accord, la France se pliera à la volonté de Berlin, comme d’habitude. Mais nul ne peut dire ce que va choisir Berlin. L’UE est un bateau sans pilote.  

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