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Acte XVIII des Gilets jaunes : retour prévu de la violence, réponse difficile à prévoir du gouvernement
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

4e mois

L’Acte XVIII de la mobilisation du mouvement des « Gilets jaunes » s’est caractérisée par la violence de casseurs à Paris. Comment a pu réapparaître ce qui rappelle les journées de décembre 2018 ? Les évolutions idéologiques des « Gilets jaunes », en même temps que leur incapacité à se structurer, ont leur part de responsabilité, et le mouvement pourrait avoir à en payer le prix dans l’opinion publique.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico :Quel bilan tirer de cette journée de manifestations ? Le mouvement des « Gilets jaunes » espérait bien en finir avec la baisse de la mobilisation, mais ne va-t-il pas être impacté par ce retour de la violence ?

Christophe Boutin : L’Acte XVIII était annoncé comme essentiel depuis au moins trois semaines par nombre de figures du mouvement. La date du 16 mars marquait en effet à la fois pour eux les quatre mois de mobilisation et la fin de ce « Grand débat national » dont ils sont peu à penser qu’il en sortira quelque chose de concret pour satisfaire leurs revendications. Les « Gilets jaunes » étaient donc appelés à converger vers Paris pour y lancer un « ultimatum » à Emmanuel Macron, et lui prouver, alors que le mouvement était censé s’essouffler, qu’il avait encore de la vitalité, et qu’il devrait compter avec lui dans les prochains mois. « J’espère que ce sera un jour unique en France » avait déclaré Éric Drouet.

À la veille de ce 16 mars, 61% des Français disaient soutenir le mouvement ou avoir de la sympathie pour lui, mais 11% seulement d’entre eux se considéraient eux-mêmes comme « Gilets jaunes », quand et un peu plus de la moitié  souhaitait l’arrêt de la mobilisation. On voit que le moment était donc important, et sur les réseaux sociaux les manifestants avaient partagé des éléments pour pouvoir contourner les blocages et contrôles effectués en amont des manifestations : être hébergé dès la veille à Paris, covoiturage, éviter les péages, ne pas porter de gilet jaune avant le dernier moment, etc…

Les responsables des forces de sécurité avaient elle perçu la menace du retour des Black blocs, et 5.000 policiers et gendarmes étaient mobilisés, un « périmètre d'exclusion » était établi autour de la place de la Concorde, de l'Élysée et de la place Beauvau, un quadrillage autour des assemblées et ministères, quand 51 détachements d'action rapide et six véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) se tenaient prêts à intervenir.

L’Acte XVIII a réuni, selon le ministère de l’Intérieur, 32.300 personnes, dont 10.000 à Paris (contre 28.000 en France dont 3.000 à Paris la semaine précédente) - le Nombre jaune recensait pour sa part 230.766 manifestants pour 174 « actions », dans toute la France, mais englobait aussi les participants à la « Marche pour le climat ». Un succès donc que cette remontée de la mobilisation ? Sans doute pas, au vu de son déroulement. Avec, selon le ministère de l’Intérieur, 230 personnes interpellées et 60 blessés (20 chez les forces de sécurité et 40 chez les manifestants), on ne revient pas au niveau des confrontations de décembre 2018, mais c’est nettement plus que les semaines précédentes, quand on évoquait la fin du mouvement.

En province, à Dijon, à Bordeaux, où une agence de la Société générale a été saccagée, à Toulouse, où le maire a été légèrement pris à partie, la situation était parfois tendue. Mais c’est bien entendu Paris, avec le saccage de l’Avenue des Champs-Élysées, qui retient l’attention. Dès le milieu de la matinée en effet, il était clair que les choses allaient mal tourner. Si, au tout début, il y avait une ambiance bon enfant, avec des slogans et de la musique, plusieurs incendies étaient en effet rapidement allumés sur les Champs-Elysées, utilisant pour cela des motos, des kiosques à journaux ou des poubelles.

Christophe Castaner avait voulu « empêcher la dispersion des casseurs », mais, entre les Champs Élysées et la place de l’Étoile, ces derniers sont arrivés à se jouer des forces de l’ordre largement dépassées et à agir.  Ce fut donc le saccage du Fouquet's, puis son incendie, et la casse systématique des vitrines de magasins et leur pillage. La liste est longue : Jeff de Bruges, Longchamp, Ladurée, la brasserie Léon, le Drugstore Publicis, Hugo Boss, Nespresso, Lacoste, Eric Bompard, Swarovski, Celio, le cinéma Gaumont… La boutique du PSG n’a du son salut qu’à la protection in extremis d’un cordon de CRS. Avenue Franklin Roosevelt, l’incendie de la banque Tarneaud s’est propagé à l’immeuble d’habitation dont elle occupait le rez-de-chaussée, qui a du être évacué en catastrophe.

Et non seulement les casseurs et pillards s’en donnaient à cœur-joie contre les magasins les plus variés, mais ils recherchaient clairement les affrontements avec les forces de l’ordre. Place de l'Étoile ils se servaient ainsi de pavés pour les agresser, et de matériel de chantier pour se protéger des grenades et canons à eau, et il y eut aussi des attaques dirigées contre des véhicules de police ou de gendarmerie, avenue Mac-Mahon ou sur les Champs-Elysées.

Une violence de casseurs donc, en même temps que dirigée contre les forces de l’ordre. Mais qui sont ces éléments violents, et comment comprendre leur rapport au mouvement des « Gilets jaunes » ?

Le ministre de l’Intérieur disait en mi-journée se trouver en face de 7.000 à 8.000 manifestants dans la capitale, dont « 1.500 ultra-violents ». Et, de fait, tous les journalistes ont noté la présence de ces groupes de jeunes hommes habillés en noir, capuche rabattue sur la tête et équipés de masques, dans toutes les scènes de violence et de pillage. Pour Édouard Philippe, présent pour la première fois en personne sur le terrain, « quelques milliers de casseurs sont venus à Paris pour en découdre avec les forces de l'ordre, avec les symboles de l'Etat, avec la propriété privé, avec la démocratie ».

Mais qui sont-ils ? D’un côté, selon le ministre de l’Intérieur, les « ultra-violents (…) répondent aux appels de violences de la part de certains leaders des 'gilets jaunes' ». Mais Christophe Castaner tweetait aussi : « Des professionnels de la casse et du désordre équipés et masqués ont infiltré les cortèges ». « À Paris, des individus radicaux, violents, équipés et masqués tentent de déclencher des incidents en marge des cortèges. Gilets jaunes, dissociez vous des casseurs ! », écrivait pour sa part la gendarmerie. Et l’ancien député EELV Sergio Coronado déclarait pour sa part que « ceux qui cherchent l'affrontement avec la police, ne portent pas de gilets jaunes ».

Ces « hommes vêtus de noir », « en capuche », qui attaquent les magasins ou les forces de l’ordre, sont en effet bien du type Black Bloc. Quand un commerçant se plaint d’ailleurs aux « Giles jaunes » et leur demande pourquoi ils ne les écartent pas de leurs cortèges, ces derniers ne peuvent que répondre, fort mal à l’aise : « C’est difficile, ils sont violents, c'est à la police de le faire ». Il n’y a en fait guère que l’ineffable Bernard-Henri Levy pour tweeter, à rebours de toute évidence : « Arrêtons avec ce mythe de "certains" Gilet Jaunes "infiltrés" par des méchants "casseurs". Ce mouvement des Gilets jaunes est, depuis le premier jour, un mouvement factieux, haineux et anti républicain. »

Ces éléments étaient certes différents des « Gilets jaunes » « classiques », ceux du début du mouvement, ceux des ronds-points, mais sont-ils des « Gilets jaunes » radicalisés ou des éléments extérieurs, se servant du mouvement pour se livrer à une guérilla urbaine ? Et même dans le second cas, quelle est la part de responsabilité du mouvement dans leur présence ?

Nous avons déjà évoqué l’aspect trouble de l’appel à la « convergence des luttes » chère à la « gauche de la gauche » dont sont issus les Blacks bloc. Or Priscillia Ludosky et François Boulo affirmaient leur envie de convergence avec deux autres manifestations parisiennes de la journée, la Marche des Solidarités (contre les violences policières) et la Marche du Siècle (pour le climat), peut-être pour faire nombre, mais aussi pour des raisons idéologiques assumées. Quant à Éric Drouet, il avait lui apporté dans la semaine son soutien aux émeutiers de Grenoble, et appelé les « gens de cité » à rejoindre des « Gilets jaunes » soumis à la même violence policière qu’eux. Nombre de slogans anticapitalistes entendus ce 16 mars, d’affichettes collées, de tags, montrent par ailleurs que les messages des communistes ou de la France Insoumise sont reçus, et que leurs militants sont présents dans les cortèges. Or ce mélange des genres change la composition du mouvement, et peut modifier ses revendications comme ses méthodes d’action. « Il s’agit de poser les bases d’une montée en puissance du mouvement de révolte et l’inscrire dans la durée autant que dans la radicalité » annonçait ainsi un appel à manifester sur Internet. C’est un premier élément d’explication.

Mais Benjamin Cauchy estimait que les manifestants voudraient « marquer cette journée et renouer avec les démonstrations de force des premières semaines de la mobilisation », et certains des leaders, inquiets à la fois de l’affaiblissement de la mobilisation, et de la manière dont le Grand débat risquait de les détourner, n’ont effectivement pas hésité à faire évoluer leur rapport à la violence Priscillia Ludosky se disait ainsi prête à utiliser des « solutions non-violentes, mais radicales, précises, ciblées pour avoir la pleine attention attendue », quand Maxime Nicolle, affirmait lui : « Je n'appellerai pas à la non-violence, je n'appellerai pas à la violence. (…) Chacun fera ce qu'il voudra. (…) Le gouvernement s'est trop fichu de nous à ne pas nous écouter. Il se débrouille. »

Il est donc vraisemblable que les casseurs n’aient rien à voir avec le mouvement initial des « Gilets jaunes », et soient en très grande part bien issus de la mouvance d’extrême-gauche. Mais la « convergence des luttes » telle qu’elle a été menée a modifié ce mouvement original et l’a rapproché de la gauche de la gauche, facilitant l’entrisme d’éléments violents. Par ailleurs, la déception de certains « Gilets jaunes » devant les réponses gouvernementales a conduit militants comme dirigeants à se radicaliser plus ou moins, ce qu’ils pouvaient faire d’autant plus facilement autour de ces revendications apportées par l’extrême-gauche et en adoptant leurs méthodes de guérilla urbaine Enfin, ceux qui auraient voulu renouer avec le caractère de la première manifestation étaient incapables de contrôler le déroulement de cet Acte XVIII faute de disposer d’un service d’ordre efficace pouvant agir contre les casseurs infiltrés. Et dans tous ces domaines, du plus idéologique au plus pratique, les « Gilets jaunes » payent le fait de ne toujours pas avoir de structure.

Quelles peuvent être le suites de cet Acte XVIII ? Et ses conséquences politiques ?

Que peut-il advenir ? Emmanuel Macron, victime collatérale de la journée, l’opposition mettant en parallèle sa situation et l’état des Champs Élysées, a décidé d'écourter son week-end au ski pour rentrer à l’Élysée. Il y aura certainement dans les jours qui viennent une réponse gouvernementale, mais on peut penser qu’elle prendra la forme de mesures générales – du type de la loi anticasseurs – sans permettre de « casser », justement, les structures de certains groupes violents pourtant parfaitement identifié.

Qu’importe car le Président trouvera alors l’appui de ses opposants, le Versaillais François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux élections européennes, ayant par exemple déclaré : « Il est inacceptable de voir que le gouvernement n'arrive pas à maintenir l'ordre dans notre pays. Aujourd'hui, il faut mettre fin à l'impuissance de l'Etat » car ces violences seraient des « images d'humiliation de notre pays que nous ne pouvons plus accepter ». Et, de la maire de Paris au sénateur LR Bruno Retailleau, l’appel à l’ordre est finalement le même.

Mais le mouvement n’est pas mort, et il a muté. Pour Éric Drouet, « il ne va rien sortir de ce grand débat qui a été une pure opération de communication de Macron. Aucune mesure attendue ne va être annoncée», et, à cause de la déception qui s’ensuivra, le mouvement continuera. Mais il pourrait le faire sous d’autres formes, et le même Éric Drouet a par exemple déclaré : « Après cette journée, pour moi, ce sera fini les manifestations. Ce sera des vraies actions pour la suite. (…) Marcher, tout ça, on a prouvé qu'on savait le faire, on a prouvé que ça ne fonctionnait pas, on a prouvé qu'on n'était pas entendu avec ces marches. (…)  La seule chose à faire, [ce sont] les blocages de l'économie ». Convergence des luttes et très claire gauchisation là encore. Ces tentatives de blocage ont déjà existé, et ont échoué, comme l’appel à la grève générale, mais certains tentent manifestement de relancer la machine.

Les violences de l’Acte XVIII auront donc peut-être des conséquences sur cet éventuel « tournant social » du quinquennat que certains appelaient de leurs vœux il y a peu encore, comme il pourrait renforcer cette alliance du centre élargi qu’est la liste LaREM-MoDEM-et-plus-si-affinités en rassemblant derrière elle un « parti de l’ordre » europhile.

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