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Mais que gagnerait l’Europe à un Royaume-Uni qui en reste membre à reculons ?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Be careful what you wish for

A seulement quinze jours de l'échéance, les députés britanniques ont voté pour un report du Brexit fixé au 30 juin.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans un contexte marqué par l'imprévisibilité du résultat concernant le Brexit, et en acceptant l'hypothèse d'un Royaume Uni révoquant l'article 50 - c'est à dire renonçant à la sortie de l'UE-, comment évaluer le potentiel de nuisance que pourrait avoir un Royaume Uni toujours plus rétif mais intégré, à l'Union européenne dans le contexte actuel ? 

Edouard Husson : Le Brexit va se faire. Le Parlement britannique est en train de rendre fous les technocrates de l’Union Européenne, qui vont faire une dépression nerveuse et supplier la Chambre des Communes de mettre fin à ces débats qui n’en finissent plus ! C’est l’effet corrosif de la liberté; nous autres Européens continentaux avons, surtout à l’ouest, perdu l’habitude de la démocratie.  
Cependant, acceptons votre fiction. La Grande-Bretagne ne peut pas sortir, elle est prisonnière, elle n’arrive pas à sortir. La Chambre des Communes vote la révocation de l’article 50. Vous avouerez que votre fiction implique que le peuple britannique ne bronche pas; en particulier pas les Anglais. Theresa May démissionne. De nouvelles élections ont lieu car le parti conservateur n’a pas été capable de lui trouver un successeur. Il en est ressorti une majorité Labour. Jeremy Corbyn est aux commandes. Il a une majorité fragile car la somme des conservateurs qui ont survécu, des partis régionalistes et de UKIP, qui a fait irruption au Parlement est supérieur au total du Labour. Corbyn ne s’en est tiré qu’en s’alliant avec les régionalistes écossais. Du coup, pour arriver à s’enraciner, Corbyn met en place une nouvelle social-démocratie protectrice des intérêts nationaux. Il a profité de la baisse de la livre, à l’issue des difficultés politiques, pour donner du corps à sa vision d’une réindustrialisation de la Grande-Bretagne. Les Européens, satisfaits de l’issue des événements, ne se méfient pas et laissent des Britanniques réinvestir en force la Commission et les agences européennes. Leur lobbying si efficace s’en donne à coeur joie: ils sont poussés par une opinion britannique qui a envoyé une majorité d’eurosceptiques au Parlement européen...

Un tel scénario ne serait-il finalement pas plus déstabilisant pour l'avenir de l'Union européenne qu'une sortie pure et simple du Royaume Uni ? 

En fait, l’Union Européenne est d’ores et déjà profondément déstabilisée par ce qui se passe depuis deux ans. Les Britanniques apportent la preuve, positivement, qu’il est possible de mettre en cause l’appartenance à l’UE; et, négativement, qu’il est difficile de se défaire de la technocratie bruxelloise. 
Alors, si l’on imagine que les Britanniques décident de rester, je me demande si cela ne reviendrait pas, en fait, à laisser une torpille creuser la coque du paquebot Union Européenne. L’effet destructeur est garanti, même si le bateau est énorme. Selon quelles conditions les Britanniques resteraient-ils dans l’UE? Peut-on décemment les priver du contrôle de leur immigration? Peut-on ne pas leur donner le droit de limiter l’accès des ressortissants de l’UE arrivant pour s’installer au Royaume-Uni qu’on leur avait promis avant le référendum de 2016? Pourra-t-on leur refuser une renégociation de leur contribution au budget de l’Union? 
Cependant, à partir du moment où vous favorisez la Grande-Bretagne, comment résister aux demandes d’exception pour tous les autres? On irait rapidement vers une Europe à la carte.

Au regard des lignes politiques intérieures actuelles, un tel scénario n'aurait-il pas pour effet de voir naître des alliances inhabituelles, rapprochant de fait le Labour de Jeremy Corbyn des positions d'Emmanuel Macron, sur certaines questions, comme l'élargissement de l'Union? 

Corbyn a bien des défauts. Il est politicien, manoeuvrier au point de devenir prisonnier de ses propres intrigues; il a manqué de fermeté, pour le dire gentiment, face à la tentation antisémite d’une partie de ses cadres. Mais il n’y a aucune chance qu’il puisse s’entendre avec Emmanuel Macron. Ne serait-ce que parce que sa social-démocratie est pensée dans un cadre national alors que le progressisme du président français est fondé sur l’antinationisme. Corbyn sait de quoi il parle quand il imagine sa « politique industrielle ». J’imagine plutôt un rapprochement de la Grande-Bretagne dans un tel cas avec l’Europe du Nord. Ou bien, scénario plausible, un rapprochement entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne -dont la France sera le dindon de la farce. 

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