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Grève mondiale des élèves pour le climat : 5 éléments pour déterminer s’il faut s’en réjouir ou... s’en inquiéter sérieusement
©WALTER DIAZ / AFP

En marche pour un bulle à la Nuit Debout ?

Ce vendredi 15 mars a lieu partout dans le monde une grève étudiante initiée par la très médiatisée Greta Thunberg pour protester contre l'inaction des sociétés face aux menaces qui pèsent sur le climat.

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Benoit Rittaud

Benoit Rittaud

Benoît Rittaud est un mathématicien maître de conférences à l'université Paris 13, au sein du laboratoire d'analyse, géométrie et applications (Institut Galilée).

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Atlantico : Dans les faits, est-ce que la jeunesse se retrouve particulièrement dans ce genre de position ? L'ampleur réelle du mouvement (70.000 personnes dans le monde) justifie-t-elle une telle couverture médiatique ?

Ferghane Azihari :Je n’en veux pas aux médias d’être fascinés par la mode Greta Thunberg. Il est vrai que la communication est particulièrement bien ficelée et qu’il est extrêmement difficile de lutter contre cette machine médiatique. Les organisations militantes et écologistes derrière la jeune suédoise excellent visiblement dans le talent, l’habilité marketing et sans doute un peu dans le cynisme pour jouer sans trop de scrupules la carte de la jeune fille mineure atteinte du syndrome d’Asperger (puisque c’est comme ça qu’elle est présentée sur les réseaux sociaux). Mais ce phénomène est un symptôme. Non une cause. Il n’aurait pas pris autant d’ampleur si les opinions publiques n’avaient pas été travaillées depuis des décennies par des discours apocalyptiques produits par des élites intellectuelles très bien organisées. Les jeunes générations constituent le public cible de cette nouvelle eschatologie verte puisqu’il est dit qu’elles seront sacrifiées par la cupidité de leurs aïeux et qu’ils hériteront d’un monde invivable. Le recours à des jeunes figures permet donc de susciter l’identification du public juvénile - qui accorde habituellement très peu d’intérêt à la politique -  tout en mobilisant l’empathie de leurs aînés. Vous avez sans doute raison de souligner que le nombre de manifestants est dérisoire à l’échelle de la planète. Cependant, je doute qu’il faille sous-estimer la sympathie qu’il génère auprès du grand public.

Benoit Rittaud : On a affaire comme d’habitude à une stratégie de communication bien menée. Toutes ces questions climatiques en réalité intéressent moins et convainquent moins qu’elles ne font parler d’elles dans certains milieux qui savent mettre en scène et proposer des story-telling sophistiqués comme c’est le cas avec cette jeune Suédoise autiste qui a une histoire touchante à raconter. Cela fait les choux gras de la presse. 

On peut comparer ce mouvement avec Nuit Debout, en effet, même s’il est possible que le mouvement soit porté dès demain par les médias et prennent une autre ampleur (je n’ai pas de boule de cristal!), là où Nuit Debout a finit par s’effondrer. 

La perception portée par ce mouvement des enjeux environnementaux qui pèsent sur notre planète correspond-elle véritablement à la situation véritable que nous connaissons ? 

Ferghane Azihari : Personne ne peut nier que les gaz à effet de serre et les changements climatiques qu’ils impliquent constituent un défi pour les sociétés humaines. Mais c’est une chose que de dire qu’il va falloir traiter ce problème au même titre que bien d’autres défis auxquels l’humanité a été confrontée au cours de son histoire. C’en est une autre de proclamer la fin du monde. Les spécialistes les plus reconnus dans le domaine de l’étude des effets du changement climatique sur les sociétés humaines tiennent évidemment un discours beaucoup plus modéré et rationnel. Ils reconnaissent que le changement climatique va générer des coûts. Mais ils ne s’avancent pas à dire que les sociétés humaines n’ont aucun moyen de les absorber ou de les déjouer, notamment par l’adaptation, l’innovation et la résilience. Tout l’enjeu réside donc dans l’arbitrage entre les externalités négatives et les bénéfices induits par nos sociétés industrielles. C’est notamment le sens des controverses scientifiques autour des travaux du récent lauréat du Nobel d’économie, William Nordhaus. Hélas, ces controverses scientifiques sont beaucoup trop techniques et subtiles pour bénéficier du même écho médiatique que les discours apocalyptiques, lesquels ne s’embarrassent pas de la complexité. 

Par ailleurs, le catastrophisme contemporain se plaît à entretenir le récit mensonger d’un environnement en état perpétuel de dégradation sur tous les plans et qui présenterait des risques toujours plus grands pour la survie de l’humanité. Pourtant, à y regarder de plus près, l’humanité ne cesse de progresser sur de nombreux fronts environnementaux. À l’échelle mondiale, des progrès substantiels ont été accomplis dans l’accès à l’eau potable et aux infrastructures sanitaires. L’humanité ne cesse d’optimiser l’usage de ses ressources. Dans l’agriculture, par exemple, nous avons réduit de plus de 68% les terres nécessaires à la production d’une même quantité de nourriture. Ceci permet à de nombreux pays riches d’arrêter la déforestation voire d’amorcer un processus de reforestation. L’intensité énergétique de nos économies décroît sensiblement. La pollution de l’air et le taux de mortalité liée à celle-ci tendent sensiblement à reculer dans les pays développés même s’il reste beaucoup à faire. Le nombre de victimes lié aux catastrophes naturelles ne cesse de diminuer à mesure que les sociétés humaines s’enrichissent. Je pourrais multiplier les exemples analogues.

En dépit du problème des gaz à effet de serre, le monde est donc loin de sombrer dans les dystopies environnementales que nous promettent les scénaristes hollywoodiens. Je me permets d’ailleurs de noter que le changement climatique est à bien des égards un problème environnemental de riche. Les pays pauvres sont encore confrontés aux fléaux environnementaux traditionnels, lesquels sont bien plus urgents à traiter : le nombre de victimes d’infections respiratoires relatives aux pollutions domestiques et de maladies diarrhéiques en raison d’infrastructures sanitaires encore insuffisantes révèle la divergence des agendas politiques. D’où la difficulté d’obtenir un consensus mondial sur la régulation des gaz à effet. En effet, ces problèmes que je viens de mentionner ne pourront être traités que si ces pays parviennent à s’enrichir et à s’industrialiser. Vous comprenez donc en quoi les sermons tiers-mondistes et décroissants sont parfaitement contradictoires.

Benoit Rittaud : Oui, mais on ne peut pas tellement le reprocher aux jeunes. D’une manière générale, sur les questions d’environnement, on observe une réelle confusion de tout. On confond par exemple la question climatique avec la question de la pollution. Il y a une quantité de gens qui croient aujourd’hui que le gaz carbonique est un polluant. Alors que c’est le contraire d’un polluant, que c’est la nourriture première des plantes et qu’on en met dans les serres, que la terre verdit depuis des années grâce au CO2. Mais on croit que le CO2 nous intoxique, alors qu’on en émet nous-mêmes en respirant. D’une façon générale, tout ce qui tourne autour des questions d’environnement est très mal posé et présenté. Frontalement, on tient des propos frontalement anti-scientifiques quand on dit par exemple que « tout est lié » comme le répètent ces jeunes étudiants. La pensée réelle ne peut pas se développer si tout est lié. 

Le discours écologique dominant glisse de la question du climat à celle de la pollution, puis à celles des matières plastiques, qui n’a rien à voir avec celles des particules fines etc. On ne sépare plus les problématiques pour les analyser et les traiter unes à unes. 

Ce mouvement de jeunes, contrairement à celui de mai 68, n’a pas de slogan à lui, mais ne fait que répéter ce que lui disent des idéologues. Les jeunes de 68 portaient des slogans qui étaient les leurs. La crainte générale de la crise environnementale est déjà sur le point d’être dans les programmes scolaires. Ils répètent dans la rue ce qui leur a été enseigné, contrairement à 68 où les étudiants contestaient dans la rue ce que disaient leurs maîtres. 

S’agissant d’environnement et d’écologie, il faut sortir de la pensée magique et religieuse qui règne en maîtresse. 

La vision catastrophiste et moraliste que porte un telle mouvement n'est-elle pas contreproductrice en ce qu'elle empêche de penser en dehors du dilemme chaos ou décroissance ? N'étouffe pas ainsi toutes les solutions scientifiques et politiques efficaces pour agir ?

Ferghane Azihari : Tout dépend du point de vue selon lequel vous vous placez. Les tenants d’une écologie fondamentaliste tiennent absolument à imposer la grille de lecture qui nous laisse aucun autre choix entre l’effondrement de la civilisation et la décroissance. En ce sens, leur discours apocalyptique est très productif…pour leurs propres objectifs ! En réalité, il faut bien comprendre que de nombreux militants et intellectuels écologistes n’ont que faire de la qualité de l’environnement. 

Ou plutôt, leur amour pour l’environnement passe après la haine qu’ils éprouvent pour la civilisation industrielle et le système capitaliste qui la sous-tend. En témoigne par exemple l’attitude du mouvement vert vis-à-vis de l’hypothèse du nucléaire alors que tous les spécialistes suggèrent qu’il s’agit de la voie la plus crédible si l’on estime que le CO2 fait peser de graves risques sur l’humanité. De plus, la plupart des militants verts ne veulent pas admettre ce que tous les indicateurs internationaux suggèrent. Que c’est précisément les pays les plus riches, les plus capitalistes, et les plus animés par l’éthique industrielle qui sont en mesure d’innover au moindre coût et de mobiliser de vastes quantités de ressources pour investir dans la protection de l’humanité face aux risques du futur. 

D’autant que le fonctionnement de la civilisation industrielle n’est pas incompatible avec la mise en oeuvre d’institutions pour réguler convenablement les externalités négatives. Entre les mesures qui s’inscrivent dans les travaux d’Arthur Cecil Pigou, de Ronald Coase ou d’autres courants de pensée, la littérature académique regorge de solutions à explorer pour faire face aux défis environnementaux. Le think tank avec lequel je collabore, l’IREF, travaille d’ailleurs actuellement sur une note à ce propos qui sera publiée dans les semaines à venir. Nous ferons donc nos propositions. 

Vous avez toutefois raison sur la difficulté d’opposer un discours scientifique aux récits contemporains. Hélas, il ne s’agit pas seulement de « moralisme ». Cette difficulté provient du fait que la controverse environnementale est de plus en plus façonnée par des attitudes qui confinent à la religion. En effet, toutes les approches que j’ai évoquées jusqu’à maintenant ne sont solubles que dans un paradigme anthropocentré où l’on admet la légitimité de l’espèce humaine à mettre en oeuvre une conception instrumentale de la nature et de l’environnement à son profit.

Or ce paradigme est de plus en plus contestée par les écoles de pensée écologistes les plus radicales où il est parfois question de déifier un environnement « naturellement bienveillant » dès lors qu’il est affranchi de toute emprunte humaine. Cette conception de la nature alimente la petite musique misanthrope ambiante sur la décroissance, la surpopulation voire la dénatalité. Elle tend aussi à délégitimer toute ingénierie humaine dans la résolution des problèmes environnementaux. Nul doute que les pourfendeurs des récits apocalyptiques et décroissants ne pourront pas se contenter d’un discours technicien. Le combat sera éminemment éthique, moral et philosophique. 

Benoit Rittaud : Oui, d’autant plus que les bonnes idées apparaissent tout à fait indépendamment de ce type de mouvements. La réduction de la pollution est par exemple une question très ancienne, qui ne nécessite pas de conversion intégriste à ce genre d’écologie. L’air est moins pollué aujourd’hui qu’il ne l’était au début du siècle précédent, où il y a 50 ans, où il fallait très régulièrement ravaler la façade de Notre-Dame. On sait dans les faits gérer bien des problèmes, et le plus souvent les vraies solutions environnementales se gèrent à l’échelle locale, de la même façon qu’on gère le tri et le ramassage des poubelles dans les communes. Ce n’est pas très sexy, certes. On préfère parler d’un sauvetage global de la planète.

Pour ce qui est de la décroissance, c’est quelque chose dans l’air du temps. On y retrouve une idée occidentale, chrétienne, de privation, de sobriété, de contrition. On observe une forme de réutilisation de ces sentiments propre à notre civilisation. Il faut effectivement surveiller que ce genre d’idées n’aillent pas trop loin.

N'y a-t-il pas par ailleurs quelque chose de gênant dans la fascination des adultes pour ce mouvement de jeunes ? Ne retrouve-t-on pas dans ce jeunisme le même cynisme d'une certaine classe politique que celui qui entourait des mouvements tels que Nuit Debout ?

Ferghane Azihari : Loin de moi l’idée de délégitimer la parole d’une personne en raison de son âge. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que j’y gagnerai au change. En revanche, l’âge n’est pas en soi une source de légitimité et de vérité. Or, ces derniers temps, il a beaucoup été question de la jeunesse qui se soulève. Mais très peu de médias ont abordé la crédibilité, l’utilité et la moralité des propositions entendues ici et là. Assurément, c’est un joli coup de communication pour les ONG écologistes qui tirent les ficelles. Mais peut-être le sérieux commande-t-il désormais d’évacuer le sensationnalisme pour remettre l’expertise au centre du débat. 

Benoit Rittaud : Aujourd’hui, il y a en effet le regard extérieur de ceux qui ne font rien mais qui préfèrent par une certaine forme de cynisme, et d’opportunisme aller dans le sens du peuple - s’il s’agit vraiment du peuple - et de ses lubies plutôt que contre. Il y a une chose que je trouve scandaleux, c’est d’accepter que ses propres enfants n’aillent pas à l’école, et encore plus de les encourager à sécher pour ce genre de manifestations. Manifester est acceptable, s’il s’agit de conditions de travail, de frais de scolarité trop cher etc. En revanche, pour une cause politique, je ne comprends pas comment cela ne suscite pas plus d’indignation. Utiliser une jeune fille comme Greta Thunberg comme égérie, une jeune adolescente malade qui se prive d’aller à l’école, et que tout le monde trouve ça très bien, et que personne ou presque ne se dise ce n’est pas normal et que c’est immoral, c’est inquiétant. Cela montre un réel affaiblissement moral, voire une forme de cynisme généralisé, comme si tout était permis après avoir dit les mots magiques de climat ou d’environnement. 

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