L'Union européenne parviendra-t-elle à libérer les peuples de leurs peurs ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
L'Union européenne parviendra-t-elle à libérer les peuples de leurs peurs ?
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Bernard Spitz publie "Merci l’Europe ! Riposte aux sept mensonges populistes" aux éditions Grasset. Inégalités, chômage, terrorisme, migrants, péril environnemental... L’Europe ne rassure plus les citoyens européens. L’auteur revient sur les bienfaits de l’Europe et dénonce les grands mensonges qui font le lit du populisme. Extrait 1/2.

Bernard Spitz

Bernard Spitz

Maître des requêtes au Conseil d’État, ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard, ancien membre de la direction générale de Canal+ et de Vivendi Universal, créateur d’entreprise, Bernard Spitz est depuis 2008 le président de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) ainsi que le président du pôle International et Europe du Medef. Animateur du think tank « Les Gracques » et ayant contribué au livre programme « Ce qui ne peut plus durer,… » (Albin Michel, 2011),  il compte parmi les voix réformistes qui poussent la gauche dans la voie de la modernisation.

Voir la bio »

Les peuples européens ont perdu le fil de leur histoire. Ils ne font plus confiance à leurs dirigeants. Ils se replient sur eux-mêmes et sur un mot magique : l’identité. Ce n’est pas seulement l’économie qui est en cause. Le malaise est plus vaste, provoqué par la mondialisation triomphante, l’accélération technologique, la montée des inégalités, le réchauffement climatique, le big data, le fanatisme religieux et la pression migratoire. L’Union arrivera-t-elle à libérer les peuples européens de ces peurs ou celles-ci seront-elles les plus fortes ? Là est la question qui va décider du sort de notre  continent. 

Les Européens ont peur pour le modèle économique et social qu’ils ont inventé ; ils ont raison, c’est le meilleur au monde, peut-être le meilleur de l’histoire du monde. Il vacille aujourd’hui. Pas seulement à cause de la pression venue de l’extérieur. Parce que, aussi performant soit-il, cet ensemble de pays qui pèse 7 % de la population mondiale et 22 % de sa production représente 50 % des dépenses sociales de la planète. Aussi attirant soit-il, il ne peut pas non plus accueillir –  comme le disait Michel Rocard  – « toute la misère du monde ». Il lui faut donc se réformer de l’intérieur et démontrer à ses habitants qu’il ne sacrifiera ni leurs langues, ni leur mode de vie, ni leur culture, ni leurs emplois sur l’autel de la mondialisation, pas plus qu’il n’abandonnera leurs données personnelles et des pans essentiels de leur économie aux géants de l’Internet américains ou chinois. 

Lors de l’élection triomphante de Bill Clinton en 1992, son bras droit, James Carville, interrogé sur le thème principal de sa campagne, avait répondu : « C’est l’économie, idiot ! » Avant les élections européennes, il ajouterait : « C’est aussi l’identité, idiot ! » La question identitaire ne surgit pas de nulle part. D’autres que les Européens sont déboussolés par un monde qui change trop vite pour eux. L’élection de Donald Trump, le Brexit, les progrès foudroyants des partis populistes en sont les dérangeantes – bien que démocratiques – illustrations. Même Fukuyama, qui avait écrit il y a un quart de siècle un best-seller qui annonçait la fin de l’histoire avec l’avènement universel de la démocratie libérale, constate depuis, dans un ouvrage sobrement intitulé Identity, que l’histoire continue. 

Depuis les deux guerres mondiales, les peuples qui composent l’Union européenne ont subi les conflits coloniaux. Le mur de Berlin et les fusées de Cuba les ont exposés au danger nucléaire. Ils ont vécu des coups d’État et des dictatures ; connu à nouveau à l’est du continent des charniers et des camps, la purification ethnique, les guerres civiles. Ils ont subi des agressions terroristes sur leur propre sol. Ils ont aussi enduré en 2008 la plus grave crise financière de l’histoire. Avec la récession économique et son cortège de faillites, de chômage notamment chez les plus jeunes, de perte de pouvoir d’achat et les ajustements sévères qui ont pesé sur les populations. 

Toutes ces épreuves, les Européens les ont partagées et surmontées. L’Europe a servi de modèle et d’espoir. D’ailleurs, la démocratie n’y a jamais été aussi étendue, les transferts sociaux aussi élevés, les systèmes médicaux aussi performants, l’espérance de vie aussi longue, nos grandes entreprises aussi compétitives. L’Europe nous a protégés des conflits entre nous, dotés d’une monnaie commune, conduits à une place de choix dans l’économie mondiale. Six décennies après le traité de Rome, pourquoi cette Europe-là semble-t-elle prête à basculer ?

On ne fait plus vibrer les peuples européens en se contentant de leur vanter les progrès de l’union bancaire. Confrontée à la plus grave crise depuis sa naissance en 1957, l’Union doit regagner la confiance de ses peuples. Pour cela, il lui faut prouver à ses citoyens qu’elle est capable, sans sacrifier ses valeurs, de retrouver ce qui lui manque depuis longtemps : un leadership de taille à affirmer sa souveraineté, une croissance plus juste socialement, la capacité d’assurer la sécurité des personnes et des biens et la protection des racines de notre identité. 

Jacques Delors avait utilisé l’image de la bicyclette pour évoquer la construction européenne. Quand elle n’avance pas, elle tombe. Fractures territoriales et migratoires, fractures sociales, fractures économique et commerciales, fractures idéologiques : tout ce qui a forgé notre unité au fil de l’histoire des trois derniers quarts de siècle se distend sous nos yeux. Des clivages inédits s’installent au sein des populations, comme celui relevé par David Goodhart au Royaume-Uni, entre les Anywhere (« Ceux de n’importe où »), cette population mobile, ouverte aux changements, pro-européenne par nature ; et les Somewhere (« Ceux de quelque part »), enclavés dans leur milieu, désenchantés voire critiques envers l’Europe, qu’on aurait appelés jadis la majorité silencieuse, si précisément elle ne sortait pas de son silence. Ici, ils incarnent le pays périphérique, décrit en France par Christophe Guilluy. 

Extrait de " Merci l’Europe ! Riposte aux sept mensonges populistes", de Bernard Spitz, publié aux éditions Grasset.

Lien direct vers la boutique Amazon : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !