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Comment le communisme a influencé les jeunes intellectuels de l'entre-deux-guerres
©JOEL ROBINE / AFP

Bonnes feuilles

Roger Scruton publie "L’erreur et l’orgueil : penseurs de la gauche moderne" aux éditions de L’Artilleur. Le philosophe anglais passe en revue les thèmes et ouvrages des principaux penseurs qui ont influencé la gauche occidentale des cinquante dernières années. Extrait 2/2.

Roger Scruton

Roger Scruton

Agé de 72 ans, Roger Scruton est un philosophe anglais. Depuis 1993, il est professeur invité à plusieurs universités (Boston, Saint-Andrew, Oxford). Il a parallèlement créé une revue politique conservatrice, "Salsbury Review", qu'il dirige depuis 18 ans. Il a également écrit une trentaine d'ouvrages dont beaucoup sont consacrés à l'esthétique : Art and Imagination (1974), The aesthetics of music (1997), Beauty (2009); ou à la pensée politique conservatrice :  "A political philosophy : arguments for conservatism" et "The Palgrave MacMillar Dictionary of Political Thought" (2007).

Par ailleurs, il a écrit deux romans et composé deux opéras. Pendant la guerre froide, il a participé à la création d'université clandestines en Europe centrale. 

En 2014, il écrit " De l'urgence d'être conservateur". Traduit en français par Laetitia Bonard, spécialiste du conservatisme, ce livre a été publié en France  en 2016.

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C’est justement en termes religieux qu’il nous faut appréhender la fascination exercée par le communisme sur de jeunes intellectuels de l’entre-deux-guerres. Les espions de Cambridge – Philby, Burgess, Maclean et Blunt – trahirent de nombreuses personnes jusqu’à la mort et, en révélant les identités des patriotes est-européens qui étaient en train d’organiser la résistance contre les nazis dans l’espoir d’un avenir démocratique plutôt que communiste, ils veillèrent à ce que Staline soit en mesure de « liquider » les principaux opposants à son avancée programmée sur l’Europe de l’Est. 

Cela ne causa aucun remords apparent aux espions, qui étaient animés par un rejet compulsif de leur pays et de ses institutions. Ils appartenaient à une élite dont les membres avaient perdu confiance dans leur droit aux privilèges héréditaires et qui s’étaient fait une religion de renier les valeurs inculquées par la société dans laquelle ils étaient nés. Ils étaient avides d’une philosophie qui justifierait leur fixation destructrice, et le Parti communiste la leur fournit, proposant non seulement une doctrine et un engagement, mais aussi appartenance, autorité et obédience – tout ce que les espions étaient décidés à rejeter dans sa forme héréditaire. 

Les organisations clandestines donnent naissance à des anges visiteurs qui évoluent parmi le commun des mortels, entourés d’un halo qu’eux seuls peuvent voir. Mais cette franc-maçonnerie des élus n’était pas la seule explication à l’attrait qu’exerçait le Parti communiste. Sa doctrine promettait à la fois un avenir radieux et un passage par une « lutte » héroïque pour y parvenir. La société européenne s’était presque autodétruite lors de la Première Guerre mondiale, et tout ce que les gens ordinaires avaient trouvé à la sortie avait été des pertes, sans aucune compensation. L’utopie était devenue un bien précieux pour les jeunes intellectuels désenchantés par cette nouvelle réalité. Elle seule était digne de confiance, justement parce qu’elle ne contenait rien de réel. Elle exigeait sacrifice et engagement ; elle donnait un sens à la vie par le biais d’une formule qui transformait le négatif en positif, la destruction en création. L’utopie donnait des instructions, implacables et secrètes, mais qui faisaient autorité et vous ordonnaient de trahir tout ce et ceux qui lui faisaient obstacle – c’est-à-dire tout et tout le monde. L’excitation que cela provoquait était irrésistible pour ceux qui voulaient prendre leur revanche sur un monde dont ils avaient refusé l’héritage. 

Il n’y a pas qu’en Grande-Bretagne que le Parti communiste a exercé son influence maligne. Czeszław Miłosz a décrit, dans un livre frappant et dérangeant, le pouvoir satanique du communisme sur sa génération d’intellectuels polonais, lesquels ont fermé leur esprit à tout argument contraire et ont anéanti, les unes après les autres, toutes les loyautés qui guidaient la vie de leurs compatriotes – à la famille, à l’Église, à la patrie et à l’ordre juridique. Les écrivains, artistes et musiciens français et allemands se sont eux aussi laissés ensorceler. Le Parti communiste ne séduisait ni par ses politiques concrètes ni par ses plans d’actions crédibles dans l’ordre des choses. Il séduisait parce qu’il s’intéressait au désordre intérieur de la classe intellectuelle, dans un monde où il n’y avait plus rien de réel en quoi croire. 

La faculté du Parti à transformer le négatif en positif et la répudiation en rédemption fournit exactement la thérapie psychique qui manquait à ceux qui avaient perdu toute foi religieuse et tout attachement civique. Leur condition négative a été parfaitement exprimée, pour le compte des intellectuels français, par André Breton, dans son Second manifeste du surréalisme de 1930 :

Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons à employer pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion. [Les surréalistes] entendent jouir pleinement de la désolation si bien jouée qui accueille, dans le public bourgeois, (…) le besoin qui ne les quitte pas de rigoler comme des sauvages devant le drapeau français, de vomir leur dégoût à la face de chaque prêtre et de braquer sur l’engeance des « premiers devoirs » l’arme à longue portée du cynisme sexuel.

Aussi puéril que cela puisse paraître avec le recul, il s’agit là d’un appel à l’aide évident. Breton en appelle à un système de croyance qui offrirait un nouvel ordre et une nouvelle forme d’appartenance – qui repousserait toute cette négativité et la remanierait en un langage d’affirmation de soi.

Extrait de "L’erreur et l’orgueil : penseurs de la gauche moderne", de Roger Scruton, publié aux éditions de L’Artilleur.

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