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Les 5 raisons pour lesquelles séparer le Grand débat national de la campagne des européennes ne pourra produire qu’un (nouveau) coup de mou démocratique
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Erreur politique

La différenciation établie entre débat national et européen et la volonté de mettre entre parenthèses le "Grand débat" ne pourront conduire qu'à une alimentation de la défiance envers les politiques et les institutions. Et à la fin, c'est la démocratie qui trinque.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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1. Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre entre parenthèses le Grand Débat pour les élections européennes. Pour autant, le droit européen est souvent supranational  et les décisions prises à Bruxelles supplantent celles de Paris. Dans ces conditions, séparer les revendications émises lors du Grand débat et celles soulevées à l'occasion des élections européennes a-t-il du sens ?

Maxime Tandonnet : Oui, il y a quelque chose d'étrange dans ce processus. Un débat de société n'a de sens que s'il se  traduit à la fin par des élections, le choix d'une politique et d'une équipe pour la mettre en oeuvre. Sinon, ce ne sont que des échanges creux. Par définition, dans une démocratie, le débat collectif, exercé au niveau national, est le préalable à un vote. Il paraissait assez logique que ce Grand Débat débouche sur l'élection du Parlement européen. C'est ce que beaucoup de Français avaient compris. Aujourd'hui, on nous dit, semble-t-il, que les deux exercices doivent être déconnectés. C'est une manière de ramener le Grand Débat à une opération de communication sans issue électorale. D'ailleurs, la vérité, c'est que l'élection du Parlement européen a de tout temps été dominée par des considérations de politique intérieure. Il n'était donc pas illogique de voir dans le Grand Débat un exercice démocratique dans la perspective de ce suffrage.

2. Différencier débat national et européen n'augmenterait-il pas la fracture souvent dessinée de manière caricaturale entre "élites progressistes pro-européennes" et "classes populaires françaises enracinées" ? 

Maxime Tandonnet : Le Grand Débat est censé mobiliser la France profonde, oubliée de la mondialisation, appelée à s'exprimer lors de rencontres sur le terrain, dans les mairies, sur des sujets locaux ou nationaux. Il pouvait se présenter comme une main tendue à cette France périphérique. Mais dès lors que ce Grand Débat est mis entre-parenthèses pendant la campagne européenne, cela signifie que l'on passe alors à un autre niveau, européen, post frontière, post national. Il y a bien un découplage entre deux niveaux d'exercice de la vie démocratique, national et européen. Cela donne l'impression qu'avec l'ouverture de la campagne européenne, on passe à tout autre chose. Ce basculement des centres d'intérêt peut en effet attiser le malaise dans  la France populaire. Mais aussi être vécu comme une manière de sortir du Grand Débat sans véritable issue concrète.  

3. De plus ne faut-il pas pouvoir montrer en quoi l’Europe offre des solutions concrètes déjà existantes aux problèmes exprimés dans le grand débat ? N'y a-t-il pas un risque à voir l'Europe uniquement par le biais du projet politique ?

Maxime Tandonnet : Ce serait sûrement une excellente idée de mettre l'accent sur les réponses possibles que l'Europe peut apporter aux interrogations exprimées lors du Grand Débat par exemple en matière d'environnement. Ce serait évidemment la meilleure défense à apporter à la solidarité entre les peuples européens. Malheureusement, quand les Français pensent à la politique européenne dans ce domaine, c'est les ambiguïtés de Bruxelles sur les OGM qui leur viennent à l'esprit. Autre exemple précis, celui des éoliennes pour les énergies alternatives. Il n'est pas sûr du tout que leur impact sur les paysages soit franchement apprécié par la majorité des Français. Il faudrait tenter de convaincre sur des exemples précis. Mais lesquels? C'est pourquoi, dans l'incapacité de parler en termes favorables de choses concrètes touchant à la vie quotidienne, on en revient toujours aux généralités et aux caricatures, comme l'affrontement eschatologique entre le bien post national ou européïste et le mal nationaliste ou populiste, c'est-à-dire une sorte de quintessence de l'abêtissement politique, sans se poser davantage de questions sur la nature, les modalités, les conditions de l'unité européenne...

4. Traditionnellement, les élections européennes sont une élection où l'électorat CSP+ est souvent surreprésenté. N'y a-t-il pas un risque - en séparant grand débat et élections européennes - à entériner la fracture sociologique qui a été révélée par la crise des Gilets jaunes ?

Maxime Tandonnet : Le risque majeur, dans tout cela, c'est en effet d'attiser encore la désespérance ou le dégoût d'une immense majorité de personnes, bien au-delà de la seule crise des gilets jaunes. Sans doute que l'électorat CSP+ s'intéresse davantage aux élections du Parlement européen. Mais au-delà, le pays tout entier risque de s'enfoncer dans un scepticisme toujours plus grand envers la politique. C'est là le drame. La surmédiatisation du chef de l'Etat autour du Grand Débat et la personnalisation du pouvoir à outrance, jamais égalée dans l'histoire récente, qui semble tout écraser sur son passage, sont le signe d'un véritable néant politique. L'invasion du paraître ne fait que recouvrir la disparition du faire. Le spectacle permanent et la déferlante de gestes et de paroles visent à couvrir la destruction de la politique en tant que mode d'action collective pour le bien commun. Mais l'éternelle faute des dirigeants politiques français, de l'extrême gauche à l'extrême droite, est toujours de sous-estimer le bon sens populaire. Les Français, de toutes catégories socio-professionnelles, ressentent parfaitement bien toutes les formes de mystification dont ils font l'objet. D'où le vote de colère et surtout la poussée de l'abstentionnisme. Les élections européennes de 2019 pourraient bien donner lieu à un nouveau record...

5. Alors que le pouvoir d'achat des Français est lié au contexte macroéconomique et monétaire et que la fiscalité dépend en forte partie des politiques de Bruxelles, est-il cohérent de séparer débat national et européen ?"

Michel Ruimy : Tout d’abord, deux réflexions. La première est qu’il s’agit d’une décision qui peut paraître surprenante dans la mesure où nous avons en face de nous un homme politique adepte du « en même temps », formule qui lui est prêtée pour sa capacité à réunir deux éléments en apparence irréconciliable. 
La seconde est qu’une campagne peut en cacher une autre, mais surtout qu’une campagne peut aussi en gâcher une autre. La cohérence de cette décision n’est pas économique. Elle est politique.
En séparant ces deux consultations, il souhaite éviter qu’un grand nombre des thèmes que les « gilets jaunes » ont mis en lumière comme les inégalités territoriales, les difficultés d’accès à l’Internet, la présence des services publics dans les zones rurales, soit escamoté par les sujets européens et, au final, que ceci engendre beaucoup plus de frustrations que d’espoirs. En outre, il veut éviter que les enjeux européens soient confisqués par ceux qui sont les plus critiques c’est-à-dire les nationalistes et les anti-européens.
Ensuite, en se lançant dans les élections européennes à travers son texte publié dans la presse, il prend l’initiative de faire progresser les idées pro-européennes face à des oppositions peinant à donner de l’élan à leur campagne. Il garde d’autant cette initiative qu’il duplique la méthode qu’il avait choisie pour le Grand Débat national avec la « Lettre aux Français » du 15 janvier. En étant le premier, il souhaite « planter le décor » et, ainsi, cadrer le débat autour de ses propositions, comme il l’avait fait en posant 34 questions aux Français avant le Grand Débat.
Enfin, il est important de distinguer le Grand Débat des élections européennes car les interventions du président pourraient être considérées comme des meetings électoraux. Ceci pourrait conduire La République en marche à intégrer le coût dans ses comptes de campagne au risque de dépasser le plafond, fixé à 9,2 millions d’euros.
En faisant cette distinction, Emmanuel Macron souhaite retrouver sa place au centre du jeu politique après plusieurs mois durant lesquels il avait paru subir les évènements, de l’« affaire Benalla » à la crise des « gilets jaunes » en passant par la démission de ministres de premier plan. Pour bien mettre sur les rails l’acte II de son quinquennat, il s’est fixé deux objectifs pour ce printemps : réussir la sortie du Grand Débat et gagner les élections européennes.

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