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Autopsie d'une reine : comment Anne d'Autriche a succombé... à un cancer du sein
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Bonnes feuilles

Philippe Charlier et David Alliot publient "Autopsie des morts célèbres" aux éditions Tallandier. La récente apparition de la paléopathologie – cette médecine appliquée aux cadavres anciens – a permis de réelles avancées dans le domaine des connaissances et a même contribué à résoudre des "énigmes historiques". Extrait 1/2.

Philippe Charlier

Philippe Charlier

Philippe Charlier est maître de conférences des universités (UVSQ), chercheur au Laboratoire d’Éthique Médicale et de Médecine Légale (EA 4569, Paris-Descartes) et praticien hospitalier (AP-HP, CASH de Nanterre). Il est spécialisé en médecine légale et en anthropologie.

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David Alliot

David Alliot

Spécialiste de Louis-Ferdinand Céline, David Alliot est l'auteur du remarqué D'un Céline l'autre, publié dans la collection 'Bouquins' chez Robert Laffont.

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Le cancer du sein d’Anne d’Autriche (1601-1666) est médicalement intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, il est plutôt bien documenté pour l’époque. Épouse de Louis XIII, reine de France et mère de Louis XIV, tous ses faits et gestes sont publics. Aussitôt diagnostiquée, sa maladie devient une affaire d’État ; à chaque numéro de La Gazette, les lecteurs peuvent suivre l’évolution de son cancer. Ensuite il est révélateur de la perception de la maladie au XVIIe siècle, qui, fondamentalement, est mal connue. Ce n’est qu’un siècle plus tard qu’arriveront les premières hypothèses physiopathologiques allant dans le sens que l’on connaît aujourd’hui. Au temps du Grand Roi, le cancer est une maladie mystérieuse, parce que d’origine invisible, et quand il est diagnostiqué, il est hélas trop tard. 

Les soins sont au diapason : plutôt que de s’en remettre aux médecins pour assurer la guérison, on se tourne vers Dieu. Il faut dire qu’à l’époque, le pronostic est sombre. Pas de traitement curatif expressément reconnu, uniquement des soins « de confort », tous plus mutilants les uns que les autres, à commencer par l’amputation du sein au fer chaud. Pour éviter d’en arriver à cette extrême limite, c’est l’ensemble de la nation qui est appelée à prier pour le salut de la reine mère… De son côté, Anne d’Autriche prendra cette maladie comme une nouvelle épreuve, qu’elle affrontera avec dignité et abnégation, « en chrétienne », sans jamais se plaindre ni s’épancher.

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Lorsque le cancer d’Anne d’Autriche apparaît en novembre 1664, sur son sein droit, elle est âgée de 63 ans. D’un point de vue médical, Anne d’Autriche présentait également des facteurs à risque pour le développement de ce type de cancer. Tout d’abord, apparition précoce des règles, combinée à deux grossesses tardives, Louis et Philippe, respectivement nés en 1638 et 1640, c’est-à-dire alors qu’elle a 37 puis 39 ans, sans oublier plusieurs fausses couches qui jalonneront son existence. 

L’évolution du processus tumoral est relativement rapide. Très vite, les pansements ont du mal à couvrir l’inflammation qui gagne tout le volume du sein. Et face à la maladie, les praticiens directement rattachés à la reine sont impuissants. Comme de coutume à cette époque, on pratique la saignée, ce qui ne fait qu’affaiblir la patiente et précipiter sa fin. Autres tentatives thérapeutiques, l’application de la ciguë sur le centre de la tumeur. Depuis l’Antiquité, la ciguë était connue pour « refroidir » l’organisme, et son emploi vise clairement, dans l’esprit de la pharmacopée du XVIIe siècle, à « glacer » la tumeur, c’est-à-dire à empêcher sa croissance et sa dissémination à défaut de la guérir. 

Autre tentative de traitement essayée, la « thérapie alimentaire ». On considère alors que le cancer est un être vivant qui se nourrit aux dépens de l’organisme où il se développe. Un parasite invisible qui se propage dans la paroi de la peau et la grignote lentement. Pour soigner la maladie, on incise la tumeur dans laquelle on insère des morceaux de viande de bœuf. Pendant que le parasite se nourrira des morceaux de viande, le reste du corps sera épargné, du moins le pense-t-on – cette pratique thérapeutique perdurera jusqu’au début du XIXe siècle. À nouveau sans succès, puisque Anne d’Autriche sera finalement amputée de son sein, tandis qu’une nouvelle tumeur apparaît dans l’autre.

Devant l’inefficacité de tous les traitements disponibles, chacun y va de sa petite proposition, entre gri-gri et recette de grand-mère. Parmi celles qui sont parvenues jusqu’à nous, un curé originaire de la région d’Orléans offre à la reine du sel géologique du lac Érié (actuel Canada) théoriquement capable de pétrifier le cancer… Un autre curé présente une pommade à base de belladone et de cendres de roche de la Beauce… sans plus de succès, évidemment. Le 27 mai 1665, alors qu’Anne d’Autriche séjourne au château de Saint-Germain-en-Laye, on constate une douloureuse plaque rougeâtre sur son bras et son épaule. Le diagnostic d’érysipèle est posé et, pour la soulager, il est décidé d’inciser ladite plaque. Il en sort un liquide sanglant qui ne la soulage qu’à peine… La pâleur de la reine mère est extrême et beaucoup pensent qu’elle ne passera pas la nuit. Mais elle survit.

En mars 1665, on fait venir un praticien lorrain, Pierre Alliot (1610-1685), accompagné de son fils Jean-Baptiste (1639-1729), tout frais diplômé en médecine. Le père est fameux, à l’époque, pour la récente publication d’un opuscule dans lequel il propose de soigner le cancer sans amputation, en usant d’une poudre de sa composition. Très clairement, Alliot père et fils sortent du lot en considérant l’origine des cancers non comme un corps étranger (un animal parasite rongeant les chairs) mais comme une anomalie des tissus causée par des acides. Ils figurent parmi les premiers à reconnaître des cas de cancers héréditaires au sein de la même famille. Ils décrivent aussi le système des métastases et des récidives tumorales après extirpation chirurgicale de la tumeur principale. 

Malgré toutes ces tentatives, et après un début d’amélioration, l’état clinique de la reine empire. En août 1665, l’ensemble du sein est gangrené et les cataplasmes à base de chaux qu’on y dépose sont sans effet, mais particulièrement douloureux. À la fin du mois, devant l’avancée de la maladie, mais aussi devant l’insistance des proches, la reine consent au traitement sanglant. La tumeur est « refroidie » puis découpée par tranches. Autrement dit, le sein est partiellement amputé et la tumeur est (théoriquement) extirpée en totalité. Médecins, chirurgiens, familiers et membres de la Cour assistent à ce qui ressemble plus à une boucherie qu’à de la chirurgie au sens moderne du terme.

Le 20 janvier 1666, considérablement amaigrie, atteinte désormais à l’autre sein mais aussi aux poumons, peu calmée par les jus de pavot, Anne d’Autriche finit par mourir mais demande, tant la souffrance a été forte de son vivant, que lors de son embaumement on ne prélève que son cœur pour le déposer au Val-de-Grâce, laissant le reste du cadavre intact.

Extrait du livre de Philippe Charlier et David Alliot, "Autopsie des morts célèbres", publié aux éditions Tallandier.

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