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Grand débat : cette stratégie du bloc sociologique sur laquelle joue discrètement Emmanuel Macron pour sortir de la crise des Gilets jaunes
©Caroline BLUMBERG / POOL / AFP

Président des uns et… des uns

Dans le cadre du grand débat et au regard des sondages d'opinion, il apparaît que la stratégie du le chef de l'Etat pour apaiser la contestation des Gilets jaunes soit d'additionner les groupes sociologiques à travers les appels du pied plutôt que d'essayer de les transcender.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans le cadre du grand débat, Marlène Schiappa anime un débat féminin ce soir à Bordeaux sur le thème de l'égalité Homme/Femme avant la venue d'Emmanuel Macron dans la même ville, aux côtés d'Alain Juppé toujours dans le cadre du grand débat. Selon un sondage publié ce 28 février par Kantar Sofres pour le Figaro, Emmanuel Macron bénéficierait non seulement d'une consolidation de son électorat mais aussi d'une remontée de sa côté de confiance auprès des Français, notamment chez les écologistes (+14%), ainsi que chez les plus de 65 ans (+5% - ce qui confirme par une hausse de + 20 points chez les moins éduqués, surreprésentés chez les plus de 65 ans). Alors que la fracture française ne semble jamais avoir été aussi évidente, ne serait-on pas en train d'assister, à nouveau, à une stratégie d'addition de groupes sociologiques plutôt qu'à une tentative de transcender, chez les Français, ces mêmes groupes sociologiques ? 

Edouard Husson : S ‘agit-il vraiment de mouvements significatifs? On parle, pour les deux têtes de l’exécutif, d’une remontée de deux ou trois points en général. La remontée chez les écologistes est-elle plus qu’une normalisation après la déception causée par le recul face aux Gilets Jaunes? La remontée chez les personnes âgées correspond-elle à autre chose qu’un besoin de stabilité après 15 semaines de grand désordre? Pour compléter le tableau, quelque peu erratique, que trahit le comportement de l’électorat, Emmanuel Macron s’est évertué, ces dernières semaines, à attirer les électeurs LR, autour du thème de l’ordre. Mais c’est Wauquiez qui retrouve un peu d’oxygène chez les sympathisants LR. J’ai plutôt le sentiment d’un électorat déboussolé. 
L’addition de groupes sociologiques, cela avait été la stratégie de Barack Obama, en 2008 comme en 2012. C’était une stratégie de campagne présidentielle, deux fois gagnante. Or, lors de la campagne de 2017 en France, Emmanuel Macron a eu une toute autre stratégie, consistant à souder les habitants des métropoles autour de lui, en ignorant complètement la France périphérique, pour parler comme Guilluy. Aujourd’hui, en fonction de ce que lui disent les sondages à l’instant T, Emmanuel Macron réagit au coup par coup. Il n’est pas le seul: Laurent Wauquiez travaille exactement comme lui. On est arrivé au paroxysme d’une façon de concevoir la politique, qui remonte aux années 1970, comme une succession de réponses à la dernière majorité des sondages. La France meurt à petit feu de cette façon de faire de la politique. 

Maxime Tandonnet : Oui, ce phénomène correspond à l'américanisation de la politique française. Pour gagner les élections, il faut s'adresser à des segments de l'opinion les uns après les autres. Le corps électoral est ainsi pris en compte par catégories sociales, professionnelles, idéologiques, religieuses. Ce phénomène se rattache fortement à  la personnalisation à outrance de la politique française. Nous ne sommes plus dans la logique d'un débat d'idées, ni même d'un projet de société, mais dans une pure logique de séduction. Le pouvoir s'incarne dans un visage et une silhouette ultra-médiatisés, dont la vocation est de plaire et d'être aimé. Le leader s'adresse non pas à la raison du citoyen ou de l'homo politicus, mais à l'émotion d'un groupe. Peut-être que le geste du président Macron recevant Greta Thumberg le 22 février, cette adolescente suédoise militant pour la planète, a séduit l'électorat écologiste expliquant ainsi ce regain de popularité dans ce milieu. De même, la hausse de 20% de la popularité de M. Macron chez les plus de 65 ans pourrait être, au moins en partie, le fruit de son geste spectaculaire et ultra médiatisé que fut l'embrassade d'un retraité en larmes pendant sa visite au salon de l'agriculture le 23 février (sondage réalisé du 22 au 25). Ces épisodes ont marqué les esprits. Ils illustrent la politique moderne fondée sur la séduction et l'image médiatique.

Quelles sont les limites d'une telle stratégie politique qui semble destinée à ressouder le bloc macroniste, notamment au travers "d'appels du pied" envoyé aux électeurs ayant une sensibilité écologiste, ou au travers des annonces concernant les Seniors ? Ne peut-on pas y voir une forme d'aveu d'impuissance politique au regard des enjeux ? 

Edouard Husson : Le centrisme d’Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à une stratégie de l’essuie-glace: un coup à droite, un coup à gauche. Les deux balais sont censés bouger au même rythme et de concert mais il y a quelquefois des couacs entre le Président et le Premier ministre....Et puis la voiture a un moteur bridé, limité pour rouler à 80 km/h - quel symbole des interventions tâtillonnes de l’Etat que cette mesure! Quant au carburant - la masse monétaire - il est rationné ! C’est cela l’impuissance politique dont vous parlez. On peut toujours faire de nécessité vertu, en se disant que l’on fait du bien à l’environnement en roulant lentement et que c’est mieux car il y a un passager âgé dans la voiture. La vérité, c’est que cette politique est structurellement erronée, c’est une politique profondément réactionnaire, au sens plein du terme: on fracasse les manifestants à coups de matraques ou on les éborgne; on bride la production du pays par la pénurie monétaire organisée - on ne répétera jamais assez que dans l’histoire économique, il  n’y a pas de crise de surproduction  ni d’excédents commerciaux exagérés: il y a, dans tous les cas, une quantité de monnaie insuffisante à disposition pour répondre à la loi de l’offre et de la demande; enfin, dernier point, au lieu d’investir massivement dans la Troisième révolution industrielle, qui a un potentiel écologique gigantesque, on applique des mesures dont la logique remonte aux années 1980. Le pays est bien en marche....arrière. 

Maxime Tandonnet : La limite de cette politique s'impose d'elle-même. Elle joue sur une corde émotionnelle. Elle repose sur l'image médiatique de l'instant. Elle peut donc se traduire par une hausse de quelques points dans les sondages, en provenance d'une catégorie sensible à tel ou tel geste emblématique, telle ou telle parole du chef de l'Etat. Le monde médiatique s'extasie de cette remontée. Mais d'abord elle est toute relative. 26% de confiance populaire, cela reste extrêmement bas. Pour de Gaulle, l'institution présidentielle reposait toute entière sur la confiance du peuple. Un président durablement impopulaire était inconcevable. Or, depuis les années 2000, les taux de popularité des présidents de la République sont en chute constante. Leur surexposition permanente fait d'eux les réceptacles naturels du mécontentement populaire. La sur-communication ressemble aux saignées de Molière: un remède à l'impopularité qui ne fait qu'aggraver le mal. Ensuite, elle est extrêmement superficielle. Quelques points de gagnés en raison d'une apparition médiatique réussie, risquent de se reperdre bien vite. Un véritable regain de la confiance dans les profondeurs du pays ne pourrait tenir qu'à la réussite durable d'une politique: une baisse marquée du chômage (par rapport au niveau européen), de la pauvreté, une amélioration de la sécurité quotidienne, de la maîtrise de l'immigration, une diminution des déficits publics, etc. La confiance, c'est tout autre chose que le grand spectacle.

Dans une tribune publiée par le Figaro, le politologue Luc Rouban écrit : "c'est le niveau d'antilibéralisme économique et d'anticapitalisme qui reste la variable déterminante" du nouveau clivage français, sans que celui ci ne soit de gauche ou de droite, mais tout en contestant l'idée d'une disparition du clivage droite-gauche. Au regard de ces différentes analyses, quelles seraient les lignes de force politique qui permettraient de transcender ces différentes catégories sociologiques, plutôt que de chercher à en faire l'addition ? 

Edouard Husson : Le problème de beaucoup d’analyses, c’est qu’elles continuent à utiliser une phraséologie dépassée. Luc Rouban est-il en mesure de définir le libéralisme? Parle-t-on de Friedrich Hayek ou de Keynes? Les deux ont été qualifiés de libéraux à des époques différentes ! Les Gilets Jaunes sont-ils contre l’économie de marché? Peut-être quelques récupérateurs marxistes du mouvement mais, gloibalement, non ! L’économie circulaire ou collaborative ou symbiotique sont-elles des économies de marché? Oui, mais il ne s’agit pas du marché globalisé. On dira, au mieux, qu’il existe une aile gauche du mouvement des Gilets Jaunes, plus égalitariste; et une aile droite, plus sensible au poids des impôts, plus gaullienne par sa demande d’un référendum d’initiative civique. Ensuite, il faut distinguer entre deux choses: le mouvement des Gilets Jaunes est d’abord un mouvement des villes petites et moyennes et de la France périphérique en général. En tant que tel, ce mouvement s’oppose à la France des métropoles. Cependant, c’est bien à droite ou à gauche que l’on gagne une élection, si l’on veut mener une politique solide. Le drame du 2è tour de 2017, c’est précisément qu’Emmanuel Macron ne s’assume pas comme le candidat de la gauche; Marine Le Pen ne veut pas être la candidate de la droite; d’ailleurs, la gauche populaire ne veut pas voter Macron et la droite bourgeoise n’a pas envie de voter Marine Le Pen. Le défi, pour la prochaine élection présidentielle, c’est que nous ayons un candidat progressiste qui pense vraiment au progrès de tous les citoyens, sans distinction de classes; et un candidat conservateur qui s’intéresse autant à la conservation du capital et de la richesse nationale qu’à celle de l’identité. A moins d’une métamorphose, un nouvel affrontement entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au deuxième tour en 2022 ne ferait que prolonger la crise politique française. Mais il reste plus de trois ans et il y a suffisamment de temps pour qu’émerge une droite conservatrice et une gauche progressiste toutes les deux interclassistes, s’affrontant pour le bien du pays. 

Maxime Tandonnet : Le paysage idéologique français est confus et morcelé. Il est évident qu'il ne peut plus se réduire à la classique opposition droite gauche. Au moins deux clivages se superposent. L'un est celui qui oppose la bourgeoisie urbaine, formée dans les écoles et les universités, à l'aise dans la modernité, ouverte sur l'international et sur l'Europe, à la France populaire, rurale, banlieusarde, oubliée de la mondialisation, bref, la France périphérique. L'autre met face à face une approche conservatrice et l'autre dite progressiste sur les sujets de société (immigration, mariage, religion, etc.) En croisant ces deux clivages, on obtient grosso modo quatre grands blocs idéologiques, à peu près calqués sur les principaux partis, LR, LREM, RN, Insoumis/gauche. La cassure entre ces quatre blocs est profonde, irréconciliable, radicale, rendant quasi impossible la constitution d'une majorité. D'autant qu'ils sont eux-mêmes fragmentés. C'est par un bouleversement de la culture politique que l'on peut espérer affaiblir ces clivages et essayer de réunir 2 Français sur 3. Il faut sortir la politique de l'impasse émotionnelle ou elle s'engloutit chaque jour, la personnalisation à outrance, les jeux d'adoration, d'idolâtrie et de lynchage qui poussent à la haine des Français les uns contre les autres. Et au contraire tenter de la refonder sur un discours de vérité – où en est-on, que peut-on faire vraiment - et sur l'action authentique en faveur de l'intérêt général: que faire concrètement pour lutter contre le chômage, l'insécurité, améliorer la maîtrise de l'immigration, redresser le niveau scolaire, réduire la dette publique, restaurer la compétitivité de la France, réduire drastiquement le niveau des impôts...  

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