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Offensive néerlandaise sur Air France-KLM : l’Europe pourra-t-elle survivre au grand écart entre les discours d’union et les actes ?
©Reuters

Double discours

En réaction à la montée au capital d'Air France par l'Etat néerlandais, Bruno Le Maire a déclaré : "il est essentiel de respecter les principes de bonne gouvernance et qu'Air France-KLM soit géré sans interférence étatique nationale".

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico: Ne peut-on pas voir une problématique propre au gouvernement français à vouloir trop promouvoir l'idée européenne tout en oubliant parfois les besoins de préservation des intérêts nationaux ? Ne serait-ce pas rendre un service à l'Europe, sur ces questions économiques, que de privilégier également la "case nationale" ?

Florent Parmentier: Les grandes compagnies nationales ont longtemps été considérées comme des acteurs stratégiques. KLM, l'entreprise nationale néerlandaise, a été fondée en 1919, Air France quelques années plus tard, en 1933. L'Alliance Air France - KLM est le résultat d'un certain nombre d’évolutions du marché aérien : une concurrence accrue au niveau international, l'arrivée des compagnies low-cost et l'émergence de nouveaux marchés ont contraint ces grandes compagnies à redoubler d'efforts pour rester compétitives. Cela a induit la multiplication des partenariats et des alliances. Ces évolutions ont conduit à la création d'Air France KLM par la fusion des groupes français et néerlandais en 2004. Laissant un sentiment de méfiance latent du côté de KLM, plus vieille compagnie encore active au monde, sentiment encore renforcé par les différences de compétitivité entre les deux entreprises. Depuis 2004, le chiffre d’affaires de KLM a presque doublé, alors que celui d’Air France a stagné.

 A quoi vient-on d’assister ? L'Etat néerlandais vient d'acheter en toute discrétion des actions de ce groupe à la Bourse de Paris (acquérant 12,68% du capital), devenant ainsi le deuxième actionnaire du groupe après l'État français (14%). La présence capitalistique de l'État français n'est pas remise en cause par Bercy : on peut la justifier par le choix de l'État français de détenir des actifs stratégiques. Dès lors, comment dénier ce même droit de présence capitalistique de l'État néerlandais au sein d’une entreprise pouvant être considérée comme stratégique ? Il est difficile de reprocher à d'autres ce que l'on fait soi-même.

 On peut effectivement reprocher à nombre de nos élites françaises de ne pas comprendre le fonctionnement et les évolutions européennes : la négligence vis-à-vis du Parlement en est un exemple flagrant. L’idée selon laquelle le poids politique de la France lui permettra d’éviter d’être montrée du doigt tout en restant parfaitement crédible et audible en est un autre exemple. La magie du verbe et de l’image ne suffira pas longtemps à masquer le double discours français, mal perçu par nos partenaires. 

Quels sont les exemples, les dossiers économiques, ou le gouvernement français, peut montrer, parfois dans son discours, une forme d'incohérence entre cette nécessité de préserver les intérêts du pays, et ce souhait de vouloir "escalader" les questions au niveau européen ?

 La France, du fait de sa tradition colbertiste, des liens entre ses élites économiques et administratives ainsi que de ses conceptions économiques et politiques, accepte le marché unique et la mondialisation du bout des lèvres, en souhaitant conserver sa gouvernance sans l’adapter en conséquence, au détriment de son système productif.

Nos relations avec l'Italie, bien avant l'arrivée de la coalition populiste actuellement au pouvoir, ont été gâchées par nombre de différends d'ordre économique. Certes, l'immigration, la Libye, les activités des Italiens accueillis en France et recherchés pour terrorisme pendant les années de plomb y sont pour beaucoup dans la complication des relations entre les deux pays. Lorsqu’en 2006, l'entreprise italienne Enel fait une offre pour acheter Suez, le gouvernement français fait front pour y opposer une alliance nationale avec GDF. Les relations entre Air France et Alitalia monte également fait la preuve de nombreuses difficultés. Les investissements français en Italie on d’ailleurs fait l'objet de nombreuses critiques des partenaires de Silvio Berlusconi à l’époque. Phénomène aggravant pour l’Italie, la France n’a pas eu les mêmes scrupules dans certains dossiers industriels avec les Etats-Unis et l’Allemagne, où nous n’avons pas fait preuve de la même résistance.

 Dans le cas du champion français des industries navales, Naval Group, l'alliance avec l'italien Fincantieri a été faite sur le plus petit dénominateur. L'ambition n'a pas été de créer un champion national européen, tout juste d’accepter une relation dont les deux pays s’accordent sur la pertinence.

Quel serait le discours le plus adapté permettant de montrer le lien entre préservations des intérêts du pays, et ceux de la construction européenne ?

 Le problème de la cohérence entre le discours et la pratique en France mérite effectivement d'être soulevé. Le plus grave est certainement qu’il s’agit d’un déni de réalité plus général sur les fondamentaux économiques et politiques du pays, ce qui explique des déconvenues.

 Nous sommes face à des injonctions contradictoires, avec une compréhension assez française des enjeux. D’un côté, nous souhaitons voir dans l'Union européenne le multiplicateur de la puissance française : cela suppose de mettre sur pieds des champions européens à même de résister au-delà de nos frontières. De l'autre, nous souhaitons faire avancer au mieux les intérêts des entreprises du pays, avec l'appui et les moyens de l'État, quitte à froisser nos partenaires. Quitte également à ce que nos partenaires adoptent des pratiques similaires, à notre détriment. D’où l’intérêt d’avoir une stratégie sur un état des lieux sérieux, et de s’y tenir dans l’action. C’est bien ce à quoi l’Etat néerlandais nous amène précisément à réfléchir.

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