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Dégradation de la situation au Sahel : la France se donne-t-elle les moyens d’atteindre ses objectifs au Mali ?
©Thomas SAMSON / AFP

Bourbier saharien

Edouard Philippe, Florence Parly et Jean-Yves Le Drian se rendent ce vendredi à Bamako afin d'apporter leur soutien au gouvernement et aux forces militaires en présence. Le signe d'une fébrilité ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Edouard Philippe, Florence Parly et Jean-Yves Le Drian se rendent ce vendredi à Bamako afin d'apporter leur soutien au gouvernement et aux forces militaires en présence. Malgré des interventions françaises européennes et onusiennes sur place, les forces gouvernementales et internationales peinent à enrayer les violences. Comment expliquer leur succès ? 

Emmanuel Dupuy : Malgré la présence massive des forces militaires engagées dans la lutte contre les groupes armées terroristes depuis 2013, la situation ne cesse de se dégrader dans la bande sahélo-saharienne et plus spécifiquement dans sa partie occidentale dépassant le Mali pour toucher le Burkina-Faso et le Niger. Ce sont, en effet, près de 30 000 hommes qui agissent - ou devraient agir - pour la sécurité de la bande sahélo-sahélienne, soit un cout/jour de 4 millions d’euros ! Le dernier rapport (trimestriel) sur la situation sécuritaire de l’ONU (rapport rendu public le 1er février 2019) rappelait, qu’entre janvier 2018 et janvier 2019, près de 192 attaques avaient ravagé le Mali. Pour rappel, les années 2017 et 2018 auront été particulièrement meurtrières selon l’ONU : près de 400 attaques ont provoqué le décès de près de 400 personnes, dont la moitié sont des civils ; sans compter plus d’une cinquantaine de militaires maliens tués, près d’une centaine de Casques bleus tués depuis 2014 - rien que 26 en 2018, dont huit tchadiens tués lors de l’attaque contre un camp, de la Mission multidimentionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), fin février dernier - sans oublier les 22 militaires français décédés depuis 2013. Rien qu’au Burkina-Faso, 285 personnes sont mortes depuis la chute du président Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, sous les coups des actions concertées des groupes djihadistes terroristes et organisations narco criminelles.

L’Opération militaire française Barkhane, qui a succédé à Serval (11 janvier 2013-1er août 2014), constitue ainsi un tournant stratégique dans la lutte contre le terrorisme, car elle s’inscrit dans une logique de régionalisation, pour contrer un ennemi qui s’affranchit désormais sans difficulté des frontières, lesquelles ne sauraient donc s’inscrire dans une logique dépassée de Ligne Maginot !

L’enjeu réside ainsi dans la transformation d’une opération militaire frontale de contre-terrorisme au Mali (Serval) à celle, nettement plus “globale”, de lutte contre la résilience terroriste résiduelle dans la région sahélo-saharienne (Barkhane). Fondée sur un partenariat avec les forces armées des pays partenaires du G5 Sahel crée en février 2014 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), Barkhane s’appuie avec succès sur une démarche d’approche globale, qui incarne un indispensable continuum entre sécurité et développement.

Ainsi est née l’idée de créer une « Alliance pour le Sahel », proposée par la France, en juillet 2017, par le truchement notamment de la nouvelle stratégie de l’AFD « vulnérabilités aux crises et résilience (2017/ 2021) » mêlant actions de développements et appui au secteur de la sécurité est de nature à stabiliser après la phase de sécurisation. Cette dernière est ainsi voulue comme complément diplomatique et économique à l’opération militaire française Barkhane, engageant - depuis le 1er août 2014 - 4500 militaires (dont les 2/3 stationnés au Mali) sur 5 pays sahélo-sahariens - Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad, situés dans ce qu’il est coutume d’appeler la Bande Sahélo-Saharienne (BSS) et ce, pour faire face à la recrudescence et l’élargissement géographique de la menace des groupes armés terroristes (GAT).

Pourtant, malgré la “mutation” de l’opération Serval en Barkhane, rassemblant 4500 soldats, aux côtés d’une force onusienne de stabilisation (MINUSMA) mobilisant 12 000 hommes depuis 2014, rien qu’au Mali, auxquels s’ajoutent les missions de formations européennes (EUTM au Mali, EUCAP Sahel au Niger…), ainsi que les forces armées des pays concernés (notamment, dans l’objectif de constituer une Force conjointe, forte de 5000 hommes), la seule réponse militaire ne saurait suffire à éradiquer les groupes armés terroristes, qui continuent de semer la terreur dans la région.

La MINUSMA bénéficie ainsi de moyens considérables, mais ne dispose pas des capacités offensives, que son mandat onusien (né de la résolution 2100 du 25 avril 2013 et renouvelé jusqu’au 30 juin 2019, à travers la Résolution 2423 du 28 juin 2018) ne lui permet pas de mettre en action. D’un autre côté, la Force conjointe du G5-Sahel, en passe d’achever sa « génération de force », disposera, avec 4000 à 5000 hommes, de dispositifs capacitaires propres à mener des actions de contre-terrorisme, mais tarde à les mettre pleinement en action, faute de volonté politique consensuelle de part et d’autre de la bande sahélo-saharienne.

La détérioration et la migration géographique de la situation sécuritaire au Mali, impactant désormais autant le Nord que sa partie centrale - dans la boucle du fleuve Niger - fait que l’on ne peut plus décemment se contenter de ce jeu de dupes qui n’arrive à éradiquer durablement la violence au Mali, comme dans la région sahélienne ! Il devrait en être question lors des discussions que les deux premier ministres, Edouard Philippe et Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) devraient avoir, alors que la dernière réunion des chefs d’états du G5-sahel, tenue à Ouagadougou, inaugurant la présidence annuelle du G5-Sahel parle président du Burkina-Faso, Roch Marc Christian Kaboré, il y a quelques jours, est venue rappeler l’importance de le convergence des actions militaires et civils-militaires pour répondre à la menace terroriste.

Quelles sont les forces jihadistes en présence ? Comment résistent-elles ?

La lutte contre les groupes armées terroristes (GAT) a évolué tant géographiquement que sociologiquement. Ainsi, il existe deux principales organisations terroristes qui obèrent la sécurité du septentrion malien depuis 2013. D’un côté, l’on trouve le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans - Jama’at Nusrat al-islam wal-Muslimin- (JNIM/GSIM) née du regroupement des mouvements Ansar Dine, MUJAO et AQMI-Al Mourabitoune, en mars 2017, sous l’égide de Iyad Ag Ghali ; Par ailleurs, l’on retrouve l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), émanation de Daesh dans la bande sahélo-saharienne, depuis sa création en mai 2015, à l’initiative de Adnane Abou Walid al-Sahraoui.

Au-delà de ces organisations terroristes structurées et «  enkystés »  dans le Nord du Mali, dans la porosité des frontières avec l’est mauritanien, le sud algérien et la frontière avec le Niger, nombre de groupes armées sèment ainsi désormais la terreur et la désolation dans la partie centrale du Mali, le long de la boucle que fait le fleuve Niger, dans la région de Mopti, du Macina et du Liptako-Gourma, à cheval entre le Mali, le Niger et le Burkina-Faso. La mise "hors d’état de nuire" par un raid des forces françaises en novembre dernier du prêcheur islamique radical d’origine peule, Amadou Koufa, à la tête d’une katiba djihadiste (Front de libération du Macina) semble ainsi confirmer qu’un nouveau « théâtre d’opérations »  descend désormais, se rapprochant de la capitale Bamako, obligeant les forces armées maliennes à se redéployer. Pas plus tard que le 12 février dernier, un véhicule de l’armée malienne a été touché par deux attaques terroristes simultanées, près de la localité de Dialloubé et à Hombori, près de Mopti, tuant 3 militaires maliens, ainsi que le chef du bureau des douanes.

Du reste, depuis les attentats qui ont touché Bamako, à travers l’attaque meurtrière contre l’hôtel Radisson Blu, en novembre 2015 (20 morts) ou encore plus récemment, celle qui a visé un complexe touristique en juin 2017, tuant cinq personnes, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader dans Bamako même, sans que la responsabilité en soit néanmoins uniquement imputée aux seules organisations terroristes djihadistes. Le meurtre de l’imam Abdou Aziz Yatttabaré, le 19 janvier dernier, en plein Bamako, suivi de celui d’un commerçant, Kalilou Coulibaly, est venu, du reste, confirmer l’existence d'un nouveau «  front » de la violence endémique dans Bamako - cristallisant de plus en plus de colère parmi la population.   Cette banalisation de la violence urbaine semble désormais opposer durement et durablement les représentants de l’islam politique au Mali de plus en plus revendicatif (Haut Conseil islamique du Mali) aux autorités politiques issues des urnes en août dernier. L’opposition entre le président élu en août dernier, Ibrahim Boubakar Keïta (IBK) et l’imam Mahmoud Dicko, Président du Haut Conseil islamique - soutenu par le Cherif de Nioro, Bouyé Haïdara - ne cesse de croitre. Un récent meeting, le 10 février dernier, à l’appel de l’imam Dicko s’est transformé en véritable appel « politique » à une opposition plus frontale contre IBK, jugé laxiste face à la recrudescence des incivilités urbaines et mis en cause dans son incapacité à mettre fin à la menace terroriste.

L’on ne doit, pas oublier non plus les nombreuses victimes qui sont mortes dans le cadre de heurts communautaires, entre communautés peul et bambara  qui endeuillent traditionnellement le Mali, sur fond de luttes ancestrales agro-pastorales et foncière. Leur nombre ne cesse cependant d’augmenter de façon particulièrement inquiétante depuis quelques années. L’on estime le nombre de victimes à près d’une centaine, l’année dernière.
Face à la concomitance de ces menaces, il en va ainsi de la nécessité de crédibiliser un dispositif transfrontalier de lutte contre le terrorisme, pour lequel le plus compliqué reste néanmoins à accomplir : transformer une opération militaire frontale de contre-terrorisme au Mali en celle, plus globale, d’une lutte contre la résilience des groupes armées et organisations terroristes dans l’ensemble de la région sahélo-saharienne, de l’Ouest de la Mauritanie à l’est/ nord-est du Tchad, et englobant les septentrions malien, nigérien, burkinabé ainsi que les confins sud algérien, tunisien et libyen.

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