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L’affaire Benalla, ou la preuve qu’Emmanuel Macron est lui-même son pire ennemi politique
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Manu à mano

L'affaire Benalla est en train de devenir une affaire d'état alors qu'elle aurait pu être désamorcée à l'origine par le gouvernement.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Que cela soit dans l'affaire Benalla, le mouvement des Gilets jaunes, ou encore d'autres problématiques, ne peut-on pas considérer qu'Emmanuel Macron est son meilleur ennemi ? En quoi porte-t-il lui même la responsabilité de ses propres difficultés ? 

Edouard Husson: Emmanuel Macron est une bonne illustration de la formule d’Héraclite: « Le caractère, c’est le destin ». On peut disserter à l’infini de tel ou tel trait de conduite de l’actuel président de la République. Mais j’en resterai à l’impression, la première fois que je l’ai entendu, lors d’un discours de remise de décoration, en novembre 2015, alors qu’il était ministre: j’ai été frappé par le contraste entre l’énergie, la volonté de puissance que dégage le personnage et la banalité de la pensée. Le logiciel macronien est en gros celui de l’Inspection des Finances depuis VGE, une vision de l’Europe et du monde qui a mûri dans les années 1960, est arrivée un première fois au pouvoir dans les années 1970, a échoué une première fois avec la défaite de son champion en 1981 et a fini, paradoxalement, par gagner l’ensemble des élites à partir du ralliement de François Mitterrand à ses options. On peut la résumer en quelques points: la politique de change fixe entre le franc et le mark, devenue par la suite euro, doit servir de levier à la modernisation de la société française. Réforme, ouverture, libération des moeurs sont les maîtres-mots de cette modernisation. La conjonction entre libéralisme économique et libéralisme moral aboutit au déchirement du tissu social. Emmanuel Macron a été élu parce qu’il a su parler à la moitié la plus riche, la plus individualiste, la plus ouverte au monde. Et c’est sans doute sa volonté de puissance qui l’a porté à radicaliser le discours de la France d’en haut, au point de rendre parfaitement visible la coupure avec l’autre moitié des Français. 

Or, le plus frappant, c’est que, depuis 1981, une politique de type giscardien a toujours fait perdre celui qui la mettait en oeuvre: défaite de la gauche aux législatives de 1986, 1993, 2017 et aux présidentielles de 1995, 2002 et 2017; défaite de la droite aux législatives de 1981, 1997, 2012, 2017 et aux présidentielles de 1988, 2012 et 2017. 

Alors que les partis d'opposition semblent encore profondément affaiblis, comment expliquer une situation ou l'exécutif ne parvient pas à se renforcer sur cette faiblesse ? 

Il faut différencier. La France Insoumise est affaiblie parce que Jean-Luc Mélenchon est apparu comme ayant un style de vie en contradiction avec son plaidoyer pour la France des délaissés. LR s’est affaibli en ne voulant pas rompre avec le macronisme, qui à droite s’appelle juppéisme ou giscardisme. Le Rassemblement National, lui, reste stable. On peut même parler d’un rétablissement spectaculaire après les déboires du débat d’entre-deux-tours. Mais, en fait, on va arriver à une sorte d’équilibre entre deux partis représentant chacun 20 à 25% de l’électorat. Tandis que Marine Le Pen a un problème avec les classes supérieures, Emmanuel Macron, lui, a un problème avec le peuple. Aucun des deux n’est sorti de l’attitude fondamentale de sa campagne présidentielle. Marine Le Pen un peu plus, malgré tout, en tâtonnant: elle dit ne plus faire de la sortie de l’euro une priorité. Des deux, c’est Macron, donc, qui semble avoir le plus de mal à viser un autre électorat que son vivier d’origine. Il a pour l’instant choisi la facilité: mordre sur le centre-droit; mais comme il perd une partie de son électorat de gauche, cela lui permet tout juste de maintenir un socle. Il faudrait à présent gagner à soi une partie d’électorat populaire, en tout cas de la partie déboussolée des classes moyennes et des personnes âgées. Mais Emmanuel Macron a du mal avec des publics qui ressemblent trop à ceux de sa ville natale, Amiens. Est-ce du fait de son mariage allant contre les codes de la bourgeoisie de province ou parce qu’il se vivait, en allant à Paris comme la n-ième incarnation de Rastignac? Toujours est-il que le président donne le sentiment d’être incapable de parler à ceux que Jean-Pierre Raffarin désignait comme « France d’en bas ». 

Quelles sont les leçons qu'Emmanuel Macron pourrait tirer de ses –presque - deux années de présidence, afin de préserver les trois prochaines ? 

Dans un documentaire sur la campagne présidentielle, on voit Emmanuel Macron au téléphone avec Barack Obama, qui l’encourage. Mais le nouveau président élu a oublié l’enseignement le plus important du premier mandat d’Obama: fraîchement élu, ce dernier avait convoqué son équipe et leur avait demandé de passer au crible tous les ratés de la campagne. Une fois ce travail effectué, une feuille de route avait été dressée, pour préparer la campagne de 2012. Barack Obama savait que la victoire est soeur de la défaite. Si Emmanuel Macron avait pris le temps de regarder objectivement son élection improbable, il se serait demandé comment on transforme une majorité anti-Le Pen en une majorité d’adhésion. En fait, le président a fait exactement le contraire: il a pris un malin plaisir à décourager ou déboulonner tout ce qui n’était pas LaREM: torpillage de Bayrou, sans lequel il n’aurait pas été élu; provocations, telles la fête de la musique vis-à-vis de son électorat LR; découragement des retraités, qui pouvaient devenir un électorat naturel; brouille avec Nicolas Hulot et donc risque de coupure avec l’électorat écologiste. Il faudrait donc qu’outre le développement d’une empathie avec les classes populaires, Emmanuel Macron accepte de reconnaître qu’il ne peut stabiliser sa majorité qu’en étant le chef d’une coalition et non plus un président hautain, cultivant son propre isolement, soutenu au Parlement par un parti à qui est interdit de prendre quelque initiative que ce soit sans que le Président ait entériné. 

Non seulement on est en pleine confusion des pouvoirs; mais, paradoxalement, je suis prêt à parier que le parti du Président, avec la fraicheur de beaucoup de ses élus et la découverte, stupéfaite, ces dernières semaines, de la révolte d’une partie de l’électorat qu’ils avaient visiblement manquée, seraient en ce moment le meilleur atout d’Emmanuel Macron pour entamer une reconquête de l’opinion. 

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