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L’euro : une monnaie à la légitimité politique fragile
©Thomas COEX / AFP

Bonnes feuilles

Jean Quatremer publie "Il faut achever l’Euro : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’euro (sans oser le demander)" chez Calmann-Lévy. Ce livre est une plongée dans la grande histoire de la construction monétaire européenne. Si les gouvernements n’ont pas le courage d’achever la construction de l’euro, cette monnaie disparaîtra. À l’heure du Brexit, Jean Quatremer lance un avertissement : ce qui se joue, c’est l’avenir de notre argent. Extrait 1/2.

Jean Quatremer

Jean Quatremer

Jean Quatremer est journaliste.

Il travaille pour le quotidien français Libération depuis 1984 et réalise des reportages pour différentes chaînes télévisées sur les thèmes de l'Europe.

Il s'occupe quotidiennement du blog Coulisses de Bruxelles.

Il est l'auteur de Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012)

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C’est pourquoi les périls qui menacent l’euro sont moins économiques ou financiers que politiques : le risque est grand de voir les Européens céder aux sirènes des démagogues (un mot que je préfère à populiste, le peuple n’étant pas la propriété de la droite radicale) qui ont fait de la monnaie unique le facteur explicatif de tous les problèmes que rencontre leur pays. Car si l’euro est commun, tout le reste est national : il faut imaginer les États-Unis sans secrétaire au Trésor, mais dotés d’un conseil des ministres réunissant les cinquante secrétaires au Trésor des États fédérés décidant à l’unanimité, un conseil qui n’aurait à sa disposition ni budget fédéral, ni capacité d’emprunt sur les marchés, ni bien sûr politique économique fédérale, l’économie américaine n’étant que l’addition de 50 économies fédérées. Une telle fragmentation de la politique économique et budgétaire est évidemment intenable et dans ces conditions la puissance américaine ne serait pas ce qu’elle est. 

Pour pallier cette absence de fédéralisme, au-delà de la politique monétaire, la zone euro a construit une usine à gaz technocratique : c’est la Commission, organe à la légitimité politique extrêmement ténue, qui est chargée de surveiller les budgets nationaux sous le contrôle de l’Eurogroupe, les ministres des Finances de la zone euro, une enceinte qui statue à huis clos et à l’unanimité, ces deux institutions agissant sans contrôle parlementaire, ni national, ni européen. Il faut se rappeler, pour comprendre la pièce qui se joue, que les révolutions nationales se sont toujours faites pour obtenir un contrôle des citoyens sur la fiscalité, contrôle que l’union monétaire a subrepticement confisqué. L’euro a permis l’instauration d’un régime illibéral qui ferait rêver n’importe quel autocrate. Si la crise de la zone euro (2010-2012) n’a pas abouti à une explosion de la monnaie unique, c’est parce que les pays attaqués étaient tous de petits États. Si la Commission ou l’Eurogroupe avaient tenté d’infliger à l’Italie, à la France ou à l’Allemagne le même traitement qu’à la Grèce ou à l’Irlande, on peut imaginer sans peine ce qui se serait passé. 

En outre, l’euro, et ce n’était pas inscrit dans ses gènes, a permis l’instauration d’une hégémonie allemande. D’abord parce que l’Allemagne a été capable de faire les sacrifices nécessaires au début des années 2000 pour adapter son économie à la nouvelle donne mondiale, ce qui l’a placée au centre de l’échiquier européen. Ensuite parce qu’elle a réussi à imposer en grande partie son agenda à ses partenaires durant la crise de la zone euro, la chancelière allemande, Angela Merkel, usant de sa réticence à aider ses partenaires comme d’une arme. Enfin en donnant au Bundestag un rôle de décideur en dernier ressort qui a fait de son parlement le parlement de la zone euro. Bref, si l’euro a rempli son rôle géopolitique en assurant une Allemagne européenne, l’Europe est devenue allemande. 

Tous ces déséquilibres imposent un choix simple : parachever l’euro ou l’achever. Se contenter de l’euro tel qu’il est, de ces déséquilibres inacceptables en termes tant politiques qu’économiques, c’est se résigner à sa disparition à terme à l’occasion d’une crise qui ne manquera pas de se produire, et ce dans l’improvisation la plus totale, ce qui démultipliera les conséquences désastreuses. Si les États font le constat que la volonté politique fait défaut, mieux vaut commencer à réfléchir au démantèlement de la monnaie unique afin d’essayer, je dis bien essayer, d’en limiter les conséquences pour les économies européennes. Mais il ne faut pas rêver : dans les deux cas, l’Europe et le monde souffriront quoi qu’en disent les europhobes qui tentent de faire croire à des lendemains qui chantent. La faillite d’une petite banque d’affaires américaine, Lehman Brothers, en septembre 2008, a entraîné le monde occidental dans la plus grave crise économique depuis 1929. Alors imaginez ce que donnerait la disparition de la seconde monnaie mondiale. Ce qui revient à dire que le seul choix raisonnable est d’achever la construction monétaire en allant au bout de sa logique fédérale. Il n’est pas faux de dire que l’euro, c’est comme « l’hôtel California » de la chanson des Eagles : vous êtes libre d’y entrer, mais il est impossible d’en sortir…

Extrait du livre de Jean Quatremer, "Il faut achever l’Euro : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’euro (sans oser le demander)", publié chez Calmann-Lévy.   

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