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Macron face aux chefs d’entreprise  : ces 3 choses qu’il faudrait leur dire… mais qu’il ne dira pas
©ETIENNE LAURENT / POOL / AFP

Le silence est d'or

Si Emmanuel Macron se revendique d’une politique de libéralisation du marché du travail, il est possible de constater quelques anomalies dans son discours sur certaines questions

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que le président semble faire de la formation l’alpha et l’oméga de sa lutte contre le chômage, ne peut-on pas considérer que, si une politique de formation est utile, celle -ci reste conditionnée à une politique de croissance ?

Michel Ruimy : Concernant l’éducation, il y a beaucoup de choses à dire.

La conviction selon laquelle l’éducation devient de plus en plus importante repose sur l’idée suivante : les progrès de la technologie d’aujourd’hui augmentent notamment les possibilités d’emploi pour ceux qui travaillent avec l’information. Autrement dit, les ordinateurs facilitent les tâches intellectuelles et nuisent aux travailleurs manuels. Il convient donc de former les individus en ce sens.

Mais, les ordinateurs sont une aide efficace pour des tâches routinières. Cependant, certains travaux, qui ne peuvent pas être réalisés en suivant des règles explicites - nombreux types de travail manuel, des chauffeurs de camion aux concierges -,tendent croître même face aux progrès de la technologie. Aux États - Unis, il ne reste plus beaucoup d’emplois dans les chaînes de montage alors que de nombreux travaux intellectuels, actuellement exécutés par des travailleurs instruits et relativement bien rémunérés, pourraient bien être informatisés. Autrement dit, la croissance du commerce international des services pourrait, à terme, creuser davantage les marchés nationaux de l’emploi.

En fait, plus que la formation en général, il conviendrait de réduire les « inégalités de départ » : certains enfants brillants, issus de familles peu aisées financièrement, ont moins de chances de finir leurs études secondaires que ceux des familles plus fortunées, ayant moins d’appétence pour les études. C’est un énorme gaspillage de potentiel humain.

Ceci dit, il est certain qu’avoir une qualification grâce à une formation adéquate est important.Tout d’abord, elle commencerait avec une formation initiale bien assimilée qui constituerait le socle avec des allers-retours avec l’entreprise (stratégie d’apprentissage) et, ensuite, alors que nous avons un emploi, continuer à se former, via la formation continue, pour rester employable et non uniquement employé. À cette fin, un test consisterait à consulter les offres d’emploi et comparer le profil recherché avec sescompétences et qualifications. Un grand écart doit nous alerter.

Mais la formation est insuffisante. Il faut également un « momentum » c’est-à-dire que les qualifications et / ou compétences et le profil recherchés arrivent « au bon moment » pour le travailleur. C’est quand le bon moment ? Quand l’offre de travail qui émane du travailleur rencontre la demande de l’employeur. La population active, qui compte, en France,29 millions d’individus, est constituée d’environ 90% de salariés. En d’autres termes, de personnes qui dépendent d’un tiers : l’entreprise.

Or, à supposer que les candidatures à un poste soient là, il faut que l’entreprise offre le poste. Pour cela, il faut qu’elle bénéficie d’un environnement économique favorable c’est-à-dire de perspectives de croissance où elle peut envisager un surcroit d’activité qui va nécessiter des investissements tant humains que matériels.C’est pour cela qu’il faut également rechercher une politique de croissance.

Emmanuel Macron ne ferait-il pas mieux de consacrer son quinquennat à une politique de simplification de la vie des entreprises et des entrepreneurs que de continuer dans la voie de la « théorie du ruissellement » ?

La théorie du ruissellement est, de manière succincte, une théorie politique selon laquelle les individus les plus riches redistribuent, à leur guise, leurs revenus dans l’économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l’investissement contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société. Cette théorie est notamment avancée pour défendre l’idée que les réductions d'impôt, y compris pour les hauts revenus, ont un effet bénéfique pour l’économie globale. L’image utilisée est celle des cours d’eau qui ne s’accumulent pas au sommet d’une montagne mais ruissellent vers le bas. Emmanuel Macron préfère parler de « premier de cordée ».

Il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas de progression proportionnelle entre le revenu d’un individu et ses dépenses. Passé un certain niveau de revenus, une partie de l’argent n’est plus injectée mais épargnée ou investie et ce d’autant plus que le revenu est important. Ainsi, la thésaurisation et l’enrichissement personnel semblent être la règle et que le phénomène de ruissellement, une exception.

Dans ces conditions, il conviendrait que le gouvernement facilite la vie des entreprises pour dynamiser la croissance de l’activité, notamment celle des PME. Et ce, dès le début, au moment de la création. Un entrepreneur devrait s’émanciper assez rapidement des questions administratives pour se consacrer à son entreprise. Pendant son expansion, il faudrait revoir les « seuils » fiscaux et sociauxà partir desquels l’entreprise se voit imposer des obligations, comme l’établissement d’un règlement intérieur ou le paiement de certaines cotisations. Il en existe 49 seuils différents ! Que cela soit du code du Travail, celui de la Sécurité sociale, la législation fiscale ou encore du code du commerce. Un peu de simplification permettrait d’éviter des tracasseries administratives. La charge administrative d’une entreprise ne doit pas se transformer en « phobie ». Enfin, lors de la transmission de l’entreprise, il conviendrait de simplifier et accélérer les procédures de cession.

Ne peut-on pas également voir l’approche politique d’Emmanuel Macron, très clivante pour les rapports sociaux - comme source de tensions pour les salariés, notamment vis à vis des entreprises et de leurs dirigeants ? Un discours d’apaisement, moins clivant dans la forme ne serait-il pas plus efficace en ce sens ?

Undiscours clivant est politiquement irresponsable et peu à même de proposer des éléments de réponse aux maux dont la population souffre. Il jettede l’huile sur le feu des conflits sociaux, rendant impossible toute réconciliation entre les forces en présence. De manière rapide, un discours clivant est à l’opposé des règles de fonctionnement d’une démocratie « apaisée ».

En fait, un discours clivant vient préciser clairement ce que désire son auteur, mais aussi ce qu’il ne veut pas. Il ose présenter un Autre c’est-à-dire un choix politique différent, opposé, inconciliable même. L’une de ses caractéristiques essentielles est donc de remplir pleinement le rôle premier du politique selon Carl Schmitt : la distinction de l’ami et de l’ennemi.

Or, en ayant ce type de discours, Emmanuel Macron risque de dérober à la tâche qui fait l’essence même de sa fonction : sa capacité à présenter un vouloir-vivre ensemble. Définir un « ennemi » permet de se construire et d’assumer des choix. Et la démocratie repose sur la nécessaire ritualisation d’un conflit par définition « clivé », et non dans un débat édulcoré entre le même et le même.

Parce que le discours clivant retrouve une nécessité de l’action politique, et parce qu’il rejoint des valeurs qui n’ont pas totalement été éradiquées du corps social, il continuera à séduire une part grandissante de l’électorat… si du moins celui-ci souhaite prendre en main son destin et affirmer ses valeurs. « Se faire des amis, écrivait Montherlant, c’est un devoir de commerçant. Se faire des ennemis, c’est un plaisir d’aristocrate ». Quoi qu’on en dise, la guerre entre les deux visions du monde n’est pas prête de se terminer.

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