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Relativisme ricanant + certitude d’incarner le Bien = l’équation tragique de la “Ligue du LOL”
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Schizophrénie idéologique

Six journalistes ont été écartés après des accusations de cyberharcèlement suite aux révélations de l'affaire dite de la "Ligue du LOL"

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Depuis quelques jours la question de la "Ligue du LOfaceL" enflamme les réseaux sociaux et les médias. Des journalistes de Libération, des Inrockuptibles et de Télérama ont harcelé  des féministes  sur les réseaux sociaux. Ce comportement étonne. Comment des journalistes, connus pour leur adhésion aux valeurs de tolérance et de relativisme peuvent-ils en arriver à harceler ? Cette attitude n’est-elle pas élitiste ?

Bertrand Vergely : Dans cette histoire il y a manifestement trois phénomènes.

     Au départ, on a affaire à un groupe de journalistes qui, pour s’amuser, décide de faire des blagues en créant une ligue sur Face Book, la ligue Lol.  Tel quel cela ressemble à une plaisanterie de potaches. Sauf que l’affaire tourne mal en prenant des formes que les journalistes eux-mêmes n’avaient pas prévues. D’abord, cela devient violent et sexiste.  Cette ligue s’attaque à des féministes et à des femmes en les harcelant. Ensuite, cela dure des années. Comme le dit Vincent Glad, l’un des journalistes incriminés : « On voulait faire de l’humour noir. Nous avons créé un monstre qui nous a échappé ». La plaisanterie de potache  qui bascule dans la violence, n’est plus drôle du tout. Il s’agit là d’un classique. Pour faire rire que ne fait-on pas ! Que ne dit-on pas ! À force de trop en faire,  on finit par être bête et méchant.

     Par ailleurs toutefois, on a affaire à un phénomène singulier. Libération, Télérama, Les Inrockuptibles, le féminisme : il s’agit là  du même horizon idéologique, à savoir celui de l’émancipation. Normalement, quand on fait partie d’un même clan moral et culturel on ne se tire pas dessus. Or, ici, à quoi assiste-t-on ? À une agression interne entre membres d’un même groupe. Ce phénomène  porte un nom. Il s’appelle la toute puissance.

     Quand on veut avoir vraiment du  pouvoir, on ne s’attaque pas simplement à ses ennemis. On s’attaque à ses amis. Aujourd’hui, beaucoup de groupes idéologiques venant de tous les horizons, cherchent à s’approprier la bannière du plus émancipé des émancipateurs. En devenant provoc et rebelle face à ces groupes, on emporte cette bannière.

     Une chose montre que cette hypothèse n’est pas invraisemblable : dans le milieu journalistique qui connaissait l’existence de cette ligue Lol et des journalistes qui en faisaient partie, les journalistes craignaient cette ligue et ses journalistes. Ils les craignaient tellement que, durant des années, personne n’a osé dire quoi que ce soit. Le pouvoir. Se faire craindre. On a là le ressort caché de cette triste histoire.

     On se demande si cela est élitiste. Oui, le propre de l’élite étant  le fait de se croire tout permis à l’extérieur et de se dévorer à l’intérieur. D’où un troisième phénomène lié à cette histoire, à savoir le phénomène intra-journalistique, médiatique et communicationnel.

     Dans le monde qui est le nôtre, la lutte pour avoir le pouvoir sur les medias, sur la communication, sur l’image et sur l’in formation est féroce.  Pour l’emporter, on ne sait plus quoi inventer. On a inventé la radio, la télé, la toile. Il y a aujourd’hui Face book et twitter, ces formidables accélérateurs de propagation d’opinions.  Deux nouveaux arrivants ont fait leur entrée : les fake news, les rumeurs, les fausses nouvelles et la méchanceté. La ligue Lol est l’image de ce phénomène, un phénomène qui l’a elle-même dépassée et dont elle est en train de se rendre compte. On le sait, déjà, sur les réseaux sociaux, la haine qui s’y déploie est stupéfiante. Normalement, les grands medias devraient être un rempart contre cette méchanceté. Le phénomène de la ligue Lol montre qu’ils peuvent être les premiers à l’activer. Il y a quelques années de cela un hebdomadaire signalait l’arrivée sur la scène sociale du pervers narcissique manipulateur. Cette arrivée se confirme. À l’époque du communisme en Russie, un écrivain dissident racontait avoir entendu une femme désolée s’écrier dans la rue : « Mais qu’est-ce qui nous est arrivé pour que nous soyons devenus si méchants ?  ». Nous ne sommes pas sous un régime totalitaire mais cette question nous est aujourd’hui posée : « Qu’est-ce qui nous est arrivé pour que nous soyons devenus si méchants » ?

Par le passé, le communisme, qui se fondait sur un corpus théorique soutenu, n’hésitait pas à harceler lui aussi. Aujourd’hui, alors que le communisme et ses bases idéologiques ont disparu, sur quoi repose cette nouvelle forme de harcèlement ? Sur l’élitisme pur et simple ?

    Depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à l’écroulement du parti socialiste lors des dernières élections présidentielles,  , la société française a connu une intense propagande de gauche menée au nom de la guerre idéologique contre la bourgeoisie. Un mot était alors très à la mode « Dénoncer ». On dénonçait à tours de bras. On le faisait avec bonne conscience. Comme on le faisait au nom de la libération des opprimés, on se sentait légitimé. La gauche, pour l’instant,  est morte, mais cette mode est demeurée. Avec un changement majeur toutefois. Ce sont les medias qui dénoncent.

     Hier, c’étaient les communistes et la gauche qui avaient le pouvoir de décréter ce qui fréquentable ou pas, dicible ou pas, audible ou pas, visible ou pas, pensable ou pas. En matière de culture, de pensée, de morale et de politique, pour reprendre des catégories utilisées par Foucault, ils avaient le monopole du permis et du défendu Aujourd’hui, ce sont les medias. Les communistes, à l’époque, et, avec eux, la gauche, se considérant comme les avant-gardes, formaient une caste hautaine, méprisante et snob qui savait mieux que tout le onde ce que penser veut dire. Si l’on n’était pas dans le bon camp,  on  n’existait pas. Comme on était un « chien », on ne parlait pas aux chiens.  Le fonctionnent médiatique aujourd’hui relève du même type. Il y a dans le monde médiatico-culturel contemporain une élite qui sait mieux que tout le monde ce que penser veut dire. D’où ce paradoxe : le communisme est mort, mais sa rhétorique émancipatrice demeure  en étant maniée de façon feutrée par l’élite médiatico-culturelle.  La ligue Lol frappe aujourd’hui ce nouveau pouvoir, comme hier les querelles au sein du Parti frappaient les esprits. Quand on pense incarner l’empire du bien sur terre, il est toujours traumatisant de découvrir que l’on est aussi pourri que ce contre quoi on lutte.

Comment expliquer que les "élites intellectuelles et morales" s’égarent dans de tels comportements ? 

Il en va pour les élites intellectuelles comme il en va pour tout. Il y a ceux qui travaillent et il y a ceux qui veulent gagner. Qu’est-ce qui fait que l‘on est une élite intellectuelle et morale ? Le fait que l’on se moque d’être une élite, l’important étant le travail, la rigueur, la droiture, le sens du devoir et des responsabilités, l’honnêteté, la modestie, la simplicité. Qu’est-ce qui fait que l’on se pervertit ? Le fait que l’on s’enorgueillit d’appartenir à une élite, qu’on se regarde, qu’on veut être regardé, que l’on cesse de travailler, d’être rigoureux, droit, responsable, honnête, modeste et simple. La seule élite qui vaille est celle qui a, non pas une quantité de pouvoir, mais une qualité de cœur. La décadence des élites survient quand la quantité de pouvoir l’emporte sur la qualité de cœur.

     La société du spectacle dans laquelle nous vivons est une épreuve terrible pour les journalistes et les intellectuels. Quand on veut être vu, lu, entendu et célébré dans cette société, on vend son âme On se pervertit. On fait ce qui plaît. On ne fait plus ce que l’on aime. Ce qui est arrivé à la ligue Lol en est une illustration. Quand les journalistes qui la composent se sont mis à vouloir « rigoler », ils ont oublié les fondamentaux de leur métier.

      On ne rigole pas avec l’information. Rigoler vouant dire que l’on est les meilleurs et que l’on peut tout se permettre, dans le domaine de l’information comme ailleurs ça ne pardonne pas.

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