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Pourquoi la croisade anti-Airbnb de la mairie de Paris est un emplâtre sur la jambe de bois de la crise du logement
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Négligeable

La ville de Paris a décidé d'assigner AirBnb en justice pour non-respect d'enregistrement de ses loueurs et réclame une amende de 12,5 millions d'euros contre la plate-forme de location américaine. Anne Hidalgo entend également réguler davantage le nombre de nuitées disponibles à la location chaque année.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : L'offensive de la Mairie de Paris tend à faire d'Airbnb l'un des responsables de la difficulté à se loger à Paris. Quelle est la part réelle de responsabilité de la plateforme américaine dans la crise du logement de la capitale?

Michel Ruimy : Au-delà de cette action en justice, il faut savoir, concernant l’offre globale de logements à Paris, que cette société américaine proposerait, pour la France, selon des chiffres de 2018, environ 500 000 logements, mis en location par 400 000 « hôtes », dont 65 000 à Paris. De plus, il y aurait, selon l’INSEE, 107 000 résidences secondaires sur les 1,1 million de logements. Soit, un total d’environ 15% c’est-à-dire qu’un logement sur six ne sert plus à loger, de manière permanente, des Parisiens. 
Ceci pose la question de savoir qui peut alors accéder à un logement à Paris, plus particulièrement, dans les quartiers touristiques, comme ceux situés à proximité des sites de Notre-Dame-de-Paris, du Louvre ou de l’Opéra (les quatre arrondissements centraux).
Du côté de la demande, une étude de l’INSEE de décembre 2018 constatait que 60 000 Parisiens s’étaient éloignés de la capitale depuis 2011, soit l’équivalent des villes d’Arles, de Beauvais ou de Troyes ! Paris est le seul des huit départements franciliens à avoir perdu des habitants quand, dans le même temps, d’autres grandes villes du pays en gagnent, à l’image de Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse ou encore Montpellier. 
Un bilan bien peu glorieux pour le maire de Paris qui est pourtant si prompt à vanter l’attractivité de sa ville aux quatre coins de la planète. La capitale ne cesse de battre de nouveaux records de fréquentation touristique : 40 millions de visiteurs en 2018. 

Quel est l'objectif d'Anna Hidalgo en lançant cette attaque ? Airbnb ne fait-il pas figure de coupable idéal ?

Il faut se rendre à l’évidence. La vie parisienne n’enflamme plus les Français tant la pollution, la saleté, la vie chère - Airbnb indique qu’un Parisien sur cinq utilise aujourd’hui le site pour améliorer ses revenus et faire face au coût de la vie -, l’insécurité, les embouteillages, le stress et la morosité de la capitale y sont devenus de véritables repoussoirs. La capitale se dépeuple depuis plusieurs mois, notamment en son centre. C’est un fait. 
Mais plutôt que de reconnaître les échecs de sa politique et de faire l’examen de conscience de sa propre action municipale, Anne Hidalgo incrimine la plateforme de locations d’accentuer la crise du logement. Elle préfère ainsi désigner à la vindicte populaire un coupable idéal : Airbnb en dénonçant une « économie de prédation qui concurrence les hôtels et prive les Parisiens de logements ».
Le discours est savamment travaillé pour permettre, une nouvelle fois, à la maire de Paris de s’affranchir de ses responsabilités. Selon l’Hôtel de Ville, l’explosion du prix de l’immobilier ces dernières années, repoussant les familles et les classes moyennes en banlieue ou en province, résulterait de la location de meublés touristiques de courte durée.
Or, celle-ci a bien peu à voir avec la flambée des prix de l’immobilier parisien. On ne saurait raisonnablement attribuer la responsabilité de l’envolée des prix à un seul et unique facteur. D’une part, seuls 5% des logements parisiens ont été proposés au moins une fois sur le site, ce qui est largement insuffisant pour expliquer la forte hausse de l’immobilier d’autant que, dans certains quartiers, situés, eux aussi, quasiment au centre de Paris, (Madeleine, Opéra, Louvre-Rivoli, Bourse…), l’immobilier de bureaux est devenu majoritaire. D’autre part, les arrondissements centraux ne représentent qu’environ 15% des annonces parisiennes en 2018 alors que les XVIIIème et XIème arrondissements affichent le plus grand nombre de propositions.
Ces plateformes de location sont, par ailleurs, complémentaires d’une offre hôtelière saturée et inabordable pour certains touristes comme les familles ou les jeunes pour qui les tarifs des hôtels restent inaccessibles. N’oublions pas que dans 5 ans, la capitale accueille les Jeux Olympiques d’été…
En fait, l’autre facteur qui pousse l’immobilier parisien vers les sommets est la « course au logement social » dans laquelle s’est engagée la Ville de Paris. Déterminée à poursuivre la transformation démographique et électorale de Paris amorcée par Bertrand Delanoë, la Ville de Paris s’est fixée comme objectif - exorbitant - d’atteindre 30% de logements sociaux d’ici 2030. En près de vingt ans, le parc social parisien a ainsi augmenté de près de 50%. Le XXème et le XIIIème arrondissements affichent les plus forts taux de dotation en logement social - plus de 35% - suivis des XIVème, XIIème et XVIIIème arrondissements qui dépassent, tous, les 20%. 
Toutefois, malgré les 400 millions d’euros consacrés, chaque année, au logement social et une dette municipale qui devrait être multipliée par 7 en 2020 - 1 milliard en 2001 ! -, la création nette de logements reste limitée tant le foncier disponible à Paris est rare.
Pour contourner cette situation, la mairie de Paris a engagé une politique de la préemption massive de logements privés - déjà occupés pour la plupart - et le conventionnement de milliers de logements. Illogisme économique et social puisqu’en dépensant des centaines de millions d’euros pour acheter au prix fort des appartements dans le privé, elle ne crée aucun nouveau logement mais participe, bien au contraire, aux tensions haussières sur les prix immobiliers dans la capitale.

Sur quels points devrait plutôt s'axer Anne Hidalgo pour rendre plus accessible le marché du logement à Paris ? 

Un constat : les plus pauvres ne sont plus les seuls à éprouver des difficultés pour trouver un toit en Ile-de-France. Ce sont des milliers de ménages à revenus moyens qui ont désormais du mal à se loger. Ils sont coincés entre des logements sociaux qui affichent « complet » et des prix trop élevés dans le privé. En quelque sorte, ils sont trop riches pour accéder aux logements du parc social et trop pauvres pour accéder aux logements du parc privé.

Faute de trouver à se loger, les Franciliens concernés aujourd’hui n’ont pas d’autre choix pour s’en sortir que de s’éloigner en Grande Couronne ou de s’entasser dans des habitations toujours plus petites voire même, quitter la région. Ceci pose un vrai problème en termes d’attractivité de la région car l’Île-de-France joue un rôle majeur dans l’économie du pays et elle ne peut pas se passer des actifs à revenus moyens. Il faudrait donc construire environ 100 000 logements de type « intermédiaire » - ceux qui font actuellement défaut -, soit 10 000 par an pendant dix ans à raison de 5 000 dans le social et 5 000 dans le privé.

Plus que l’action menée par la Ville de Paris, il serait plus sage de reconsidérer la politique de logement à l’échelle de toute la région de l’Île-de-France, et en particulier, de sa zone urbaine dense, plutôt que de poursuivre la densification de quartiers déjà largement surdotés en logements sociaux, au mépris de toute mixité sociale.

Ainsi, loin de se reconsidérer une politique de logement coûteuse et déraisonnable qui accélère la flambée immobilière autant que de l’hémorragie démographique, Anne Hidalgo s’est trouvé un parfait bouc-émissaire. Un si petit arbre qui cache une si grande forêt...

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